La traversée du Louvre
Jusque là, les auteurs de bandes dessinées qui ont pris pour sujet le Louvre dans le cadre de ce partenariat Futuropolis - Louvre éditions, se sont toujours attachés à faire plus ou moins subtilement mystères du lieu ou des œuvres. Les résultats sont des musées imaginaires manquant souvent d’imagination, se présentant dans toute leur splendeur narcissique où s’égrènent moins les œuvres comprises que leurs images faire-valoir.
Si tout cela ne fût pas totalement sans intérêt, cela resta le plus souvent dans le confort d’un schéma plus ou moins conscient de déférence, d’une neuvième chose toujours en bas vers ces autres choses plus que jamais en haut.
La bande dessinée comme langage, comme regard, restait absente, elle n’était là que comme savoir-faire ou genres plus ou moins brillants et idèmement attractifs.[1]
La traversée du Louvre change enfin cette donne. David Prudhomme s’intéresse moins aux œuvres qu’aux regards qui œuvrent, qu’ils soient les siens ou ces milliers d’autres venus des quatre coins du monde globalisé. Se déplacer des choses regardées aux regardeurs chosifiés aurait pu être un autre écueil où s’échouer. Mais, comme l’indique si bien le titre, il s’agit d’une traversée, d’un départ et d’une arrivée, d’un début et d’une fin, comme dans une histoire. Entre les deux, le regard véloce de l’auteur/lecteur de bande dessinée allant d’œuvre en œuvre comme on va de vignette en vignette. Car oui, pour lui, « sur tout les murs il y a des cases » mais qui forment moins le cadre que le moyen de cadrer, d’attirer le regard de celui qui contemple autant que ceux à (ou de ce qui est à) contempler.[2] En ce sens, pour Prudhomme, les images sur le vif de son/ses sujet(s), ont aussi à voir avec la photographie, de ce regard subjectif par l’objectif allant des plus courtes aux très longues focales. Les jeux de plans, les rapports entre les vivants et les œuvres, tout cela évoque un œil photographique mais aussi une relation — une culture du regard — qui irrigue la photographie elle-même et son histoire.[3] A cela nous pouvons ajouter son usage amateur dont l’archétype de preuve qui la justifierait aux yeux touristiques — celui du « j’y étais », celui du souvenir — a fondé des pratiques familières dont le « plus grand musée du monde » témoigne en permanence à ample échelle et dont se délecte l’auteur.[4]
Pour celui-ci, tous ces aspects interrogeant la notion de regard, deviennent un moyen autant qu’une mémoire visuelle, formant une dynamique latente supplémentaire accentuant et justifiant sa démarche, ou plutôt sa démarque qui le positionne en neuvième chose par le dessin en déséquilibre.[5] Dans l’urgence d’un rendez-vous, il circule rapidement, sa vitesse justifie les oublis, les contrastes saillants, le surexposé gommant les détails, vers l’essentiel de traits suggérant ou croquant l’éphémère.[6]
L’autre point fort de ce livre est que l’auteur se met en scène avec nez rougi et couvre-chef digne des trappeurs, un peu comme un explorateur « comics ». Mais ne serait-ce pas là encore cette histoire de déférence me direz-vous ?
C’est davantage une limite qu’impose un tel ouvrage ne s’adressant pas qu’aux « fans de bédé » comme on dit si bien quand on ne la connaît pas. Ce qui permet d’aller dans ce sens est le préambule officieux que tient l’auteur en répondant à son éditeur, qui l’appelle sur son portable alors qu’il contemple un autoportrait de Rembrandt. Dans ses propos justifiant son projet, on trouvera un peu de démagogie pour rassurer (musée « plus fort que Tintin »), et une petite explication de ce qui maintenant aurait pu être fait (« des histoires muettes ») si, par exemple, un des éditeurs n’était pas non spécialisé en bande dessinée, etc.[7]
Notons enfin que, à la manière d’un Benoît Peeters parlant d’un « tableau en miette » pour évoquer certaines caractéristiques de la bande dessinée, David Prudhomme voit dans les fragments de sculptures antiques ou d’objets archéologiques, d’autres miettes, d’autres échos de sa pratique. Quant à sa muse, sa chère et tendre inatteignable, si ultimement elle ne garde que la tête comme un point final, c’est aussi parce qu’elle n’’était pas dans le musée.[8] Est-ce pour autant la marque d’un rendez-vous manqué avec cette incarnation ou d’une conversation coupée en ce lieu qui fait album ? Vu la qualité de l’œuvre, plutôt une manière de dire que décidément en neuvième chose tout se passe dans la tête, lieu du verbe, lieu du regard. Pourquoi continuerait-on à la chercher dans un musée ?
Notes
- Lire à ce propos le livre de Jean-Noël Lafargue, Entre la plèbe & l’élite aux éditions Atelier Perrousseaux.
- N’est-ce pas là le principe d’une case ?
- On a par exemple parlé de piéta pour la photo d’Eugene Smith montrant une mère baignant son enfant victime d’une pollution au mercure, ou bien et plus polémique, pensons à la « Madone d’Alger » d’Hocine Zaouar, prise en pleine guerre civile algérienne en 1997.
- Par exemple : se faire photographier devant l’œuvre ou le monument ; plus « original » : mettre sa tête entre les mâchoires d’un immense lion en pierre, ou à la place d’une statue antique décapitée par les aléas de plusieurs millénaires.
- Une interrogation de l’auteur sur le regard qui se retrouve joliment amplifiée et à nouveau questionnée, quand il prend le métro, déambule dans ses couloirs ou se retrouve dans la promiscuité des heures de pointes.
- Les tableaux eux-mêmes se retrouvent heureusement dessinés. Pas de ces absurdes copier-coller d’images d’œuvres qui montrent l’exact contraire de leur présence.
- Le dossier en fin de volume va aussi dans ce sens. Pour l’un des éditeurs, la bande dessinée est avant tout un gentil moyen d’amener au Louvre, d’expliquer ses caractéristiques, etc.
- Pourtant lieu qui est consacré aux muses, qui par ailleurs sont déjà neuf.
Super contenu ! Continuez votre bon travail!