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Lucky Charms & Apple Jacks

de

Il suffit d’aller faire un tour du côté de Engrish.com pour savoir que les Japonais peuvent se montrer très créatifs avec l’anglais, à tel point que cela n’augure jamais rien de bon pour le produit final. C’est un peu le genre de doute qui m’habitait lorsque j’ai décidé de me lancer dans Lucky Charms & Apple Jacks, après en avoir aperçu quelques pages sur le site de la revue Ikki, sorte de laboratoire d’expérimentation de Shôgakkan. Lecture faite, si l’utilisation de l’Anglais reste approximative (en particulier pour les titres des chapitres), Lucky Charms & Apple Jacks se révèle être une agréable surprise toute en subtilité et en amertume.

Etonnament pour une production Japonaise, ce récit se déroule dans une petite ville américaine, une ville du Midwest comme il y en a tant, un trou noir où il ne se passe rien. Entre petits jobs et grands espoirs, on va suivre les trajectoires parallèles de Gaz et Avi, deux amis liés par plus que de l’amitié, que la vie va bousculer sans vraiment rien leur épargner. Gaz est au bord de l’aventure — guitariste d’un groupe sans cesse au bord de l’implosion, à lui les galères des tournées minables, avant de revenir vers une famille qui ne l’a jamais accepté ; Avi n’a que sa grand-mère qui se meurt, et fait le portier dans un hôtel pour réussir à gagner de quoi tout juste vivre.
Il y aurait là matière à dérouler du pathos, et pourtant Lucky Charms & Apple Jacks y préfère la retenue, laissant place à des silences et à de la résignation. En fait, le récit n’aura pas vraiment de conclusion, pas de véritable résolution — se contentant de relater une sorte de flottement, d’égarement, d’abattement presque. Pas vraiment slackers mais plus simplement jeunes adultes à la dérive, on va les découvrir prisonniers d’une vie qu’ils n’ont pas choisie, attendant le moment où leurs rêvent voudront bien se décider à décoller.
Le dessin épuré de Tada Yumi est au diapason, traitant avec justesse les regards et les attitudes, ponctuant le récit de rues désertes, d’arbres dénudés et autres clôtures de grillages — vision sans éclat d’une suburbia inanimée où les seuls lieux de recontre sont des espaces impersonnels : diners, motels et autres supermarchés.

Trois courts récits complètent l’histoire principale — la complètent, ou plutôt la prolongent. «Last Night» retrouve ainsi Gaz et Avi, tout en traitant avec beaucoup de pudeur leur amitié particulière (loin des amours flamboyantes et dramatisées des productions bishônen et yaoi), alors que «PJ’s» se veut être une sorte d’épilogue laissant les personnages en suspens, après avoir descendu de son piédestal Boot, le chanteur flamboyant du groupe.
Seul le récit «Yes, My Love Yes» (dépourvu de lien avec le reste du recueil) donnera l’occasion d’une sorte de résolution, sans que l’on puisse vraiment parler de «happy end».

En décalage avec l’attachement habituel des Japonais pour le «seishun» (le «coming of age» des anglophones), Lucky Charms & Apple Jacks préfère s’intéresser à des personnages en souffrance, soutenu par une narration sensible et pudique. Une belle tranche de désespoir ordinaire.

Site officiel de Tada Yumi
Chroniqué par en juin 2006