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Souvenirs de l’empire de l’atome

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Souvenez-vous, le mot «empire» ne désigne pas qu’un lieu, un domaine où s’exerce un pouvoir dominateur, une autorité souveraine. Il peut aussi désigner une influence stylistique, le fameux empire de la mode par exemple, peu éloigné ou favorisant celui des sens ou du cœur. S’en souvenir signifie que le temps a passé. L’anticipé est précédé, est devenu antériorité. Toute l’emprise d’un style, la nouveauté qu’il affirme, le futur à court terme voire au présent qu’il essaye de construire se retrouve pris dans des rets qu’il ne voyait pas, où ne cherchait pas à voir. Il est devenu post- ou anté- quelque chose, désigne l’époque qui l’a vu naître, ceux qui l’ont pratiqué, ceux qui l’on vécu.

C’est dans ces derniers, précisément parmi ceux enfants alors, que germera 25 ans plus tard la désignation «style  atome». Pourquoi ? Parce que du haut de leur adultat neuf ce style fait langage et les structure depuis leurs premiers apprentissages. Et ces «jeunes gens modernes», dans leurs temps forcément obscurs car en crise depuis 73, poursuivront cette langue, en feront un moyen d’expression avec l’idée de «ligne claire» en général.
Ajoutons que cette désignation d’un style offre la possibilité d’une synthèse, d’accrétions autour de pratiques et de motifs faisant structures, compréhensions. Semblant aujourd’hui vite confondu avec la «streamline» ou «la modernité» qui le contiennent, cet «atomisme»  est pourtant à l’origine seulement lié à la bande dessinée. Il s’y ajoute par conséquent une innocence rattachée à l’enfance puisque la neuvième chose n’avait pas d’autres ambitions à cette époque que d’édifier un jeune public. Par contraste, après plusieurs décennies, cet «empire de l’atome» a pu sembler oublieux de sa double naissance par les bombe A[1], désirer exorciser la pétrification Est-Ouest et les fantômes d’une guerre mondiale autrement glaçants moralement en se réchauffant au prométhéisme du foyer nucléaire, moins par le bikini (censure oblige) que par l’Atomium en apothéose. Un dernier objet architectural d’autant plus symbolique que sa structure est de neuf sphères.

Cette génération qui s’est vue héritière d’Hergé, qui a fait du symbole de l’Exposition Universelle de 1958 celui d’une collection de bandes dessinées avant-gardistes aujourd’hui paradoxalement emblématique des années 80[2], se voit aujourd’hui à la place de ceux qu’elle voyait. Le livre commence donc par un père parlant avec sa fille. Que lui dit-il sur des ruines antiques ? Que tout se construit à toute échelle, que celle-ci soit infiniment grande (intergalactique), infiniment petite (atomique) ou de nature psychologique[3]. Il faut remonter dans le temps par une qualité profondément humaine, pour voir comment tout cela s’est emboîté, fait scénario au sein de mémoires dans l’anticipation, plutôt que pratiquant une futurologie faisant parler autrement les astres ou les entrailles animales. Comment tout cela émerge, voire ré-émerge ?

Thierry Smolderen fait une histoire culturelle du «style atome» sous la forme d’une fiction. Ce style qui se cristallise sur l’école de Marcinelle, synthétise les influences traduites ou qui ont traversé les auteurs, voire aussi les lecteurs. Souvenirs de l’empire de l’atome touche à un zeitgeist et ses origines sur deux générations. Un esprit du temps qui n’aurait pas forcément tenté d’avoir une conscience précise de lui-même car se percevant comme une étape décisive dans le progrès. L’homme à l’égal de Dieu maîtrisait enfin la structure de la matière. La science en marche n’était plus fiction.
L’intelligence des auteures est de ne surtout pas tomber dans le retro-futurisme qui s’oublie dans la forme et l’anecdotique cachant trop souvent à bon compte une absence de sens ou d’idées. Le «style atome» passe par la neuvième chose vécue comme langage se cherchant et se construisant, au point de faire savoir-faire pour ne pas dire science. En cela le travail d’Alexandre Clérisse n’est pas ici dans l’illusion de l’allusif, ou la virtuosité de l’imitateur. Il est bien dans une rhétorique graphique qui appuie et amplifie un discours des profondeurs utilisant la fiction[4]. Pas de ligne claire, mais bien un style sur un style analysé dans ses structures les plus fines.
Au final ces «souvenirs» montrent que cet empire n’était pas un terme à l’analyse mais bien le début[5]. L’anticipation ne se confondrait pas avec la prégnance d’une technique ou d’un «progrès» sur la pensée, mais s’épanouirait dans la persistance d’une qualité humaine porté vers un futur fait autre et en dialogue avec un présent[6].

Notes

  1. Hiroshima et Nagasaki, soleils levant artificiels.
  2. La collection «Atomium» chez Magic Strip.
  3. Voire psychanalytique, si le divan est à réaction.
  4. Une science/savoir-faire fiction.
  5. Tout cela commence dans l’enfance et continuera pas forcément sur un divan, dans d’autres livres peut-être, en tout cas jusqu’au mot «fin».
  6. Pour en savoir plus, voir ici.
Site officiel de Dargaud
Chroniqué par en février 2013