Numérologie 2014

de

Cycles

«Sentant le filon, le monde de l’édition s’est converti au charme de la série, quitte à basculer dans la série à rallonge. Le public voulait des suites. On les lui a données, au point de déboucher parfois sur des séries à n’en plus finir.»

— David Barroux, «BD : On achève bien les séries»,
sur le blog EchosBD, LesEchos.fr, 16 juin 2012

Lorsque l’on considère le développement de la bande dessinée au cours du vingtième siècle, il ne fait aucun doute que les dynamiques sérielles revêtent une importance particulière pour l’industrie. Mises en place tout d’abord par le biais des périodiques, puis étendues aux albums reliés qui en étaient issus, elles continuent aujourd’hui de structurer la majorité de l’offre : en 2013 encore, le rapport de l’ACBD estimait que près des deux tiers (62 %) des bandes dessinées publiées (hors comics et manga) relevaient de séries.
Cependant, l’analyse du cycle de vente des ouvrages de bande dessinée et des séries auxquelles ils sont rattachés se heurte à plusieurs limites :
– d’une part, les données historiques à notre disposition, qui ne couvrent (au mieux) que la période 2000-2013, avec des indications de ventes pour les seuls 50 titres les plus vendeurs ;
– d’autre part, le nombre d’éléments qui peuvent influencer significativement ces données (date de sortie, organisation en diptyque, sortie d’une adaptation au cinéma, etc.).
Ceci étant, il nous semble que d’une certaine manière, le marché du manga, avec ses sorties rapprochées et ses très fortes dynamiques sérielles, nous propose un concentré (en accéléré) des dynamiques à l’œuvre dans le marché de la bande dessinée.


La courbe des ventes du premier tome de Naruto (sorti en mars 2002[1] ) adopte une forme en cloche, typique des modèles de diffusion de l’innovation, à mesure que l’on atteint des groupes de consommateurs successifs. On observe une évolution similaire pour les titres suivants, évolution qui n’est pas sans rappeler celle des ventes globales, et qui est typique des modèles de diffusion de l’innovation, tels que décrit par Everett Rogers dans son ouvrage Diffusion of innovations en 1962 — voyant l’adoption progressive d’un nouveau produit par les consommateurs (répartis en diverses populations : innovateurs, primo-adoptants, jeune majorité, suiveurs et enfin arrière-garde) jusqu’à saturation du potentiel du marché.
Cependant, dès le volume 16 (sorti en mars 2005), la courbe en cloche laisse place à une courbe en «L» qui va devenir de plus en plus marquée au fil des années. Cette évolution est le signe de la constitution progressive d’une population «convertie», qui va acheter le nouveau volume dès sa sortie.

Cette dynamique est contrebalancée par des effets d’érosion que l’on observe en particulier sur les ventes «à la nouveauté» (c.-à-d. l’année de sortie) dès 2011. Ainsi, suite à l’abandon de certains lecteurs, seule une partie des acheteurs se reporte d’un volume sur l’autre. Dans le cas de Naruto, on observe un premier décrochage assez marqué entre 2002 et 2003 (puisque seuls 66 % des acheteurs du tome 1 sont encore présents pour le tome 6), puis une érosion assez stable par la suite (de l’ordre de 12 % d’une année sur l’autre).
L’étude des ventes de l’ensemble du segment du manga pour les 304 nouvelles séries sorties sur la période 2011-2013 met en évidence un modèle d’érosion relativement stable. On y observe un décrochage, très marqué au début (-25 % entre le premier et le second), puis qui s’atténue progressivement. Selon ce modèle, les ventes du quatrième volume d’une série ne représentent que 50 % des ventes du premier. À cette érosion forte des premiers volumes succède un tassement beaucoup plus progressif des ventes, la série fonctionnant alors en régime établi.
Pour autant, on constate que l’ensemble des titres sortis sur une année bénéficient généralement tous d’un tirage identique. Les éditeurs n’ignorent pas ce facteur structurel du segment, mais préfèrent souvent prendre un risque calculé, en particulier sur les débuts de série : si l’érosion est présente même lors d’une sortie simultanée des deux premiers tomes, l’avantage procuré par une visibilité accrue en linéaire et l’assurance de ne pas manquer de ventes dans l’éventualité d’un succès priment sur la perspective de pertes liées aux invendus. Ainsi, la plupart des éditeurs fonctionnent sur un mode adaptatif, dans lequel les tirages sont ajustés a posteriori (à la baisse, mais aussi à la hausse) en fonction de la performance des titres.

Pour revenir à notre cas d’étude Naruto, la courbe globale des ventes résultant de ces deux phénomènes conjugués (diffusion au sein de la population de lecteurs, et érosion progressive du lectorat) met en évidence trois phases distinctes :

– De 2002 à 2007, on observe une phase d’acquisition, durant laquelle les ventes des nouveaux volumes progressent année après année, correspondant au recrutement de nouveaux lecteurs. Cette phase bénéficie également du rattrapage opéré par ces derniers : elle est marquée par des ventes importantes des volumes parus précédemment.

– À partir de 2007, on passe dans une phase de régularisation, caractérisée par deux tendances : d’une part, les ventes des nouveaux volumes ne progressent plus ; d’autre part, on assiste à une forte baisse des ventes des volumes précédents, alors que les lecteurs encore actifs rattrapent progressivement le rythme de publication.

– À partir de 2010 s’amorce enfin une phase d’exploitation, dans laquelle les ventes des nouveautés prennent le pas sur les ventes du fonds. Cependant, celle-ci est moins apparente dans notre cas d’étude, du fait de la réduction du nombre de sorties annuelles : ayant rattrapé la publication japonaise, Naruto passe notamment de six sorties annuelles[2] à trois, entraînant de facto la réduction de moitié des ventes à la nouveauté.

Ce modèle n’est pas limité au seul manga : l’observation de la «vague Titeuf» sur les années 2000-2005 met en évidence une structure comparable, avec acquisition jusqu’en 2002 (année du pic de ventes), régularisation sur 2002-2004, et enfin exploitation à partir de 2004. Les ventes des comics semblent également régies par les mêmes dynamiques, comme on peut le voir avec celles de The Walking Dead (en dépit de données limitées à la période 2010-2013) ; on constate d’ailleurs que la série-phare du segment approche de la fin de sa phase d’acquisition, avec l’apparition des courbes en «L» caractéristiques.

Deux éléments apparaissent ainsi comme déterminants pour les dynamiques sérielles : le recrutement de nouveaux lecteurs et la sortie régulière de nouveaux volumes. Dans l’ouvrage Les éditeurs de bande dessinée de Thierry Bellefroid (Niffle, 2005), Claude de Saint-Vincent faisait état du même constat : «Un objet parfait comme les huit premiers albums de XIII pourrait rester une série culte, mais elle aurait eu de plus en plus de mal à trouver de nouveaux lecteurs. On peut imaginer un tas de choses pour faire vivre le fonds, mais rien ne le dynamise mieux qu’une nouveauté.»

Manga

«Il est inquiétant d’apprendre (les chiffres le prouvent) que les mangas ont démodé en quelques mois les bandes dessinées françaises, et de savoir que de grandes maisons d’édition arrêtent les collections de dessinateurs européens pour ne plus « faire que du manga ».»

— Pascal Lardellier, «Ce que nous disent les mangas…»,
Le Monde Diplomatique, décembre 1996

L’évolution du marché du manga en France tient en grande partie à la spécificité du format éditorial qu’il a introduit en librairie : le format périodique. En mars 1990, Glénat commence à publier Akira en kiosque sous la forme de petits fascicules. Néanmoins, il ne s’agit pas là d’une création, mais de la seule traduction d’une version américaine[3]. La véritable création sera Dragon Ball, également publié en kiosque par Glénat en demi-volumes mensuels à partir de février 1993. Certes, une publication périodique en kiosque n’avait alors rien de novateur — c’était, depuis longtemps, le format adopté par l’ensemble des revues de bande dessinée ou des Petits Formats*. La véritable innovation est alors de transposer ce modèle à la librairie dès mai 1993, avec la publication bimestrielle régulière des volumes reliés de Dragon Ball.
Les années qui suivent (1994-1996) voient la plupart des éditeurs entrant sur le segment adopter ce format périodique. Sur les 21 séries que nous avons pu répertorier sur cette période, la moitié sont bimestrielles, les autres étant pour la plupart mensuelles ou trimestrielles[4]. Ils vont également tous largement piocher dans les séries dont les adaptations animées ont été diffusées à la télévision française, à l’exception de Tonkam, du fait de son passé historique lié à une librairie d’import. À l’époque, il ressort fortement que cette stratégie de publication vise, à l’époque, avant tout à profiter au maximum de ce qui n’est alors considéré que comme une mode éphémère.

Standard

Vingt ans plus tard, ce format bimestriel est désormais un standard établi. Sur la période 2004-2013, 71 % des sorties (sur près de 13 000 références !) sont espacées de moins de trois mois — et près de la moitié (48 %) de moins de deux mois. L’ensemble du segment voit ainsi une durée médiane de 70 jours entre la parution de deux volumes d’une même série.
Cependant, ce modèle est en train d’être (modérément) remis en cause, du fait du rattrapage mécanique du rythme de parution japonais[5]. En comparant l’espacement des sorties ramenées à production égale, on observe une évolution très nette : la production en 2004 s’organise autour de deux pics, à 5 semaines (20 % des sorties) et à 9 semaines (37 % des sorties) ; en 2008, seul domine le pic de production à 9 semaines (40 % des sorties) ; enfin, en 2013, la production se montre beaucoup plus étalée, le pic à 9 semaines étant toujours présent mais atténué (24 % des sorties), et désormais accompagné d’un nouveau pic à 13 semaines (17 % des sorties).
Ce ralentissement dans le rythme des sorties est plus marqué pour les séries longues : si en 2004 la durée médiane entre deux volumes s’établissait autour de 62 jours jusqu’au 15e volume (au moins), en 2013 on observe une durée médiane à 77 jours pour les 4 premiers volumes, de 84 jours pour le 5e volume (qui marque dont un point charnière), et de 91 jours pour les volumes compris entre le 6e et le 15e.

Il n’est pas surprenant que ce modèle se soit largement installé. Pour les éditeurs, il présente de nombreux avantages. Tout d’abord, on y retrouve les dynamiques connues de la série — en effet, à la différence de ce qui s’est passé aux États-Unis, ce sont les éditeurs en place (les éditeurs de séries de bande dessinée franco-belge) qui se sont installés très tôt sur le segment du manga. Sur un marché où les one-shots* restent toujours difficiles à vendre, le format de la série est plus rassurant. De plus, le rythme bimestriel ou trimestriel permet quatre à six sorties annuelles. On est loin de la sortie annuelle (au mieux) des grandes séries franco-belges. Ainsi, pour la période 2006-2007, on note un seul nouvel album de Titeuf (autre phénomène éditorial du début des années 2000), qui réalise sur ces deux années des ventes de 680 000 exemplaires selon Ipsos. Sur la même période, ce sont 13 volumes de Naruto qui sont parus, pour des ventes cumulées de 1 540 000 exemplaires, toujours selon Ipsos.
Ainsi, dans le cas d’un succès, les sorties rapprochées assurent des ventes soutenues, auxquelles se rajoute la dynamique d’acquisition qui voit le recrutement de nouveaux lecteurs désireux de rattraper leur retard. À l’inverse, ce rythme de publication soutenu permet à un éditeur d’écouler rapidement les derniers tomes d’un titre qui battrait de l’aile, tout en s’acquittant de ses obligations contractuelles avec les éditeurs japonais. Les sorties «couplées» de deux volumes de Gintama (chez Kana) ou Dr. Kôto (chez Kana également) relèvent de cette approche.

Cependant, il faut souligner les inconvénients que présente ce rythme de parution bimestrielle.
Tout d’abord, il est nettement plus élevé que le rythme de publication japonais (qui est, au mieux, trimestriel). Il amène ainsi plus ou moins rapidement à une situation de «pénurie» lorsque l’on rattrape la publication japonaise. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en 2011 pour Naruto, qui est passé de six sorties annuelles (et même sept pour l’année 2007) à trois, enregistrant mécaniquement une baisse de ses ventes d’un tiers[6].
Par ailleurs, cette stratégie paraît encore moins adaptée dans le cas de séries plus courtes, puisqu’elle ne permet pas à l’éditeur de capitaliser dans le temps sur son éventuel succès. Le cas de Death Note, l’un des derniers grands succès shônen*, est en cela exemplaire : ses douze volumes ont été publiés entre janvier 2007 et décembre 2008[7].
Enfin, cette périodicité élevée occasionne une accélération de l’ensemble du cycle de vie du livre dans le circuit commercial — y compris pour ce qui concerne la fin de l’exploitation de certains titres. Nous ne disposons pas d’informations exhaustives sur les arrêts de commercialisation, mais les données que nous avons collectées (et qui couvrent 1 733 références, soit plus de 10 % de l’ensemble des sorties sur la période 2004-2013) font état d’une durée médiane d’un peu moins de quatre ans de commercialisation pour ces titres dont l’exploitation a été interrompue[8]. Le cas le plus extrême concerne la série Nabi (publiée par Kana), dont le 5e volume n’est resté en vente que six mois avant l’arrêt de commercialisation début décembre 2011.
On peut alors s’interroger sur l’impact d’une telle situation sur le réseau de l’occasion — réseau qu’une population de lecteurs jeunes, aux ressources financières limitées, est d’autant plus susceptible de fréquenter, et dont les revenus échappent de fait aux éditeurs.

Dynamiques

C’est donc un phénomène marquant en 2011 : après avoir rattrapé la publication japonaise, Naruto connaît donc un ralentissement fort de ses ventes globales (-32 %) avec seulement trois nouvelles sorties (contre six annuelles précédemment). Restreinte à trois nouvelles sorties également, l’année 2012 montre une nouvelle dégradation de la performance de la série (-21 % pour les ventes en volume) — les ventes totales de Naruto se voyant quasiment divisées par deux (-47 %) en l’espace de deux ans.
Cette évolution met en évidence les dynamiques d’installation qui sont liées à la forte périodicité du manga. En effet, si ce format de publication génère rapidement des volumes conséquents, le recrutement ultérieur de nouveaux lecteurs vient soutenir la croissance, le temps de rattraper la publication en cours. Une fois la période d’acquisition passée (période à forte croissance), les séries longues adoptent un rythme de croisière (phases de régularisation puis d’exploitation) et voient leurs ventes se limiter de plus en plus aux seules nouvelles sorties. L’ensemble du lectorat potentiel a été atteint et consomme désormais au rythme de parution.
À ces dynamiques propres à l’installation de la série, il faut en rajouter une autre, liée au caractère feuilletonesque de la plupart des séries manga : le principal avantage, soit une forte fidélisation du lecteur, en est également le point faible, puisque chaque nouvel épisode est l’occasion d’une érosion de ce lectorat, un phénomène qui peut prendre des proportions conséquentes sur la durée.

Ces deux aspects du segment du manga encouragent chaque éditeur à sa manière à une certaine inflation du nombre de nouveautés. D’une part, tous sont à la recherche des succès à venir, espérant renouveler les cas Dragon Ball, Naruto ou One Piece. D’autre part, ils savent que les dynamiques d’érosion entraînent une prime aux premiers volumes, un lancement étant plus intéressant que l’exploitation (forcément à la baisse) d’une série.

Lectorat

En revenant sur les données de l’étude sur le lectorat de la bande dessinée en 2011, on observe ainsi une double fracture éditoriale au sein du lectorat du manga. D’une part, on distingue un clivage fort entre les lecteurs et les non-lecteurs, qui met en évidence l’implication forte que demande ce rythme bimestriel — et qu’une large partie des lecteurs de bande dessinée n’est pas en mesure de fournir. D’autre part, on remarque la présence d’un noyau de gros et de très gros lecteurs très réduit mais très actif. Là encore, on s’aperçoit que le reste du lectorat se retrouve rapidement à saturation en ce qui concerne sa capacité de consommation. En schématisant, on aurait les très gros lecteurs à plus de 120 volumes annuels (ou une vingtaine de séries) ; des gros lecteurs à 48 volumes annuels (ou huit séries) ; et le reste des lecteurs autour de 12 à 20 volumes (deux ou trois séries).

Face à cette cible très concentrée, les éditeurs se retrouvent dans une position difficile. Ces gros lecteurs (qui forment le noyau dur du marché) sont très impliqués, mais également très bien renseignés et vont chercher leurs informations à la source japonaise — allant même jusqu’à prendre les pratiques des éditeurs japonais comme référence, ignorant bien souvent les différences (tant économiques, structurelles ou culturelles) des deux marchés. Les éditeurs français se retrouvent alors dans l’obligation d’une reproduction à l’identique des éditions japonaises, et sont tenus de respecter scrupuleusement le rythme bimestriel. Qu’un éditeur vienne à ralentir la parution d’une série sans excuse valable en provenance du Japon (rattrapage du rythme de publication ou interruption liée à des raisons diverses) et il s’expose à une perte de confiance de ces lecteurs capables d’arrêter en masse leur investissement dans la série en question[9].

Afin de répondre à une demande forte, on a vu émerger autour de certains auteurs des stratégies éditoriales d’exploitation intensive, dont résultent des calendriers de parution des plus encombrés. Ainsi, le seul Adachi Mitsuru a vu en 2007 la parution de pas moins de 20 volumes en 12 mois, avec des moments particulièrement difficiles, comme en mai où trois volumes de trois séries différentes sortaient en l’espace d’une semaine. On pourrait trouver des excuses (dans une certaine mesure) à cette situation du fait de l’implication de trois éditeurs différents[10] mais d’autres exemples laissent plutôt entrevoir une gestion éditoriale tournée vers l’exploitation intensive. Ainsi, en 2010 chez Glénat, ce ne sont pas moins de 17 volumes signés Toriyama Akira qui paraissent sur trois séries, les volumes de Dragon Ball Perfect Edition et de Dr. Slump Ultimate Edition sortant le même jour, en alternance un mois sur deux avec les volumes de Dragon Ball Z cycle 3. On pourrait encore citer le cas de Fujisawa Tôru en 2008 avec 13 volumes sur trois séries chez Pika (Rose Hip RoseTokkô, Young GTO), ou celui des CLAMP en 2009 : pas moins de 26 volumes pour huit séries, avec 15 volumes à mettre au compte de Pika (X version double, Card Captor Sakura version doubleTrèfleKobatoTsubasa RESERVoir CHRoNiCLES) et 11 au crédit de Tonkam (XXX HolicTokyo BabylonRG Veda).

Par ailleurs, il faut reconnaître les difficultés d’un manga différent des standards shônen*/shôjo* à s’installer sur le marché. Qu’il s’agisse des productions alternatives ou des démarches patrimoniales, ces initiatives suscitent peu d’intérêt auprès du noyau dur de lecteurs, qui rejettent souvent d’emblée des approches graphiques trop différentes ou datées, et rechignent face à des prix plus élevés que ceux des best-sellers. On notera de plus que les médias s’en font rarement les relais (à l’exception de quelques noms connus ayant accédé au statut d’auteur, Tezuka et Taniguchi en tête), et que la situation de flux tendu en librairie limite fortement la visibilité de titres dont le succès se construit généralement sur la durée. La distribution des ventes reflète cet état de fait, et met en évidence un plafond de verre d’environ 5 000 exemplaires (en étant généreux) pour la plupart des séries[11].

Enfin, malgré tous leurs efforts pour satisfaire ce cœur de marché exigeant (toujours plus, plus vite, moins cher), les éditeurs sont condamnés à l’échec. S’ils ont profité un temps de cette «addiction» au manga, ils paient aujourd’hui le prix de ne pouvoir continuer à y répondre — voyant ces lecteurs se tourner vers le côté obscur du scantrad*, avec ses publications au plus proche du rythme japonais. Dans un tel cadre, la meilleure réponse serait la mise en place d’une offre légale en ligne, mais celle-ci reste assujettie au positionnement des éditeurs japonais eux-mêmes, qui conservent bien souvent les droits d’exploitation numérique de leurs séries.

Perspectives

Au final, on peut légitimement se demander si le segment du manga représente bien un marché, ou s’il s’agit seulement d’une niche. En effet, depuis 2009, les trois premières séries (Naruto — One Piece — Fairy Tail) représentent un quart des ventes totales, et l’on constate la forte dépendance de leurs éditeurs à leurs ventes : ce sont respectivement 45 % des ventes de Kana, 43 % des ventes de Glénat, 36 % des ventes de Pika[12]. Au-delà de ces best-sellers indéniables, on trouve fort peu de succès grand public. En 2011, Ipsos ne relevait que neuf séries dont les nouveautés vendaient plus de 25 000 exemplaires ; en 2013, il n’y en avait plus que trois. De manière générale, c’est le manga shônen* (à destination d’un public adolescent et masculin) qui domine le marché et occupe les six premières places des séries les plus vendues en France.

L’examen des nouvelles sorties pour les années 2011-2013 révèle une distribution des ventes «classique», où 25 % des titres réalisent 75 % des ventes. Contrairement à ce que les discours entourant le succès du manga en France pourraient laisser penser, le segment ne comporte que de rares gros vendeurs et présente des disparités très importantes pour ce qui est des ventes. Ainsi, sur un peu plus de 1 600 nouveautés chaque année, plus des deux cinquièmes s’inscrivent en dessous des 1 000 exemplaires vendus, un quart vendent entre 1 000 et 2 000 exemplaires, et seulement un dixième des sorties dépassent les 5 000 exemplaires vendus.
On constate à nouveau que les meilleurs lancements se recrutent essentiellement au sein des publications shônen*, et ce, malgré l’investissement marqué de certains éditeurs sur le segment des séries shôjo*. On notera enfin que la période correspondant à Japan Expo (qui se tient habituellement chaque année durant les premiers jours de juillet) n’apparaît pas comme particulièrement privilégiée, que ce soit en termes de sorties ou de succès, d’autres périodes comme le premier trimestre ou la rentrée scolaire se montrant aussi encombrées ou propices.

Tous ces facteurs laissent augurer de lendemains difficiles. L’évolution du marché au global et son recul des quatre dernières années montrent que l’on a atteint les limites du modèle en place, un modèle dont l’alimentation est fondé sur deux leviers : d’une part, le recrutement de nouveaux lecteurs et d’autre part, la sortie de nouveaux volumes. En cela, le cas Naruto considéré précédemment apporte des conclusions inéluctables. La fin du recrutement de nouveaux lecteurs sur 2007-2010 a vu les ventes reculer de 30 %. Le ralentissement du nombre de sorties à partir de l’année 2011 (avec passage de 6 nouveautés annuelles à 3) a vu les ventes divisées par deux entre 2010 et 2013. C’est donc une division par trois que connaissent les ventes de ce best-seller en l’espace de sept ans.

La question du vieillissement du lectorat rajoute une nouvelle dimension, dans le cadre d’un segment qui s’est établi avant tout comme lecture générationnelle, cristallisée par la «culture manga» que l’on peut observer au sein des éditions successives de Japan Expo. Alors que l’on observe (selon l’étude sur «La lecture de la bande dessinée») les plus gros taux de lecteurs de manga sur les tranches 11-17 ans, les trois seuls véritables best-sellers du segment[13] vont bientôt être plus âgés que ces derniers et l’étendue des volumes déjà parus pourrait constituer un obstacle au recrutement de nouveaux lecteurs.

À moyen terme se pose également la question du «réservoir» de nouveautés encore disponibles auprès des éditeurs japonais. Interrogé par Livres Hebdo en 2010, Guy Delcourt reconnaissait d’ailleurs une certaine fébrilité «même au Japon, où il n’y a pas tellement de nouvelles locomotives»[14]. Lorsque l’on considère les 30 séries les plus vendues au Japon en 2012, il ne reste que deux titres qui ne soient pas déjà publiés ou annoncés en Français pour 2013 : Daiya no A, une série de baseball, et Giant Killing, une série de football (rappelons que le sport en manga est un genre notoirement mauvais vendeur en France).
De plus, il faut souligner que de bonnes ventes au Japon ne sont aucunement une garantie d’une performance comparable (toutes proportions gardées) en France. Derrière Fairy Tail et Naruto, enregistrant de loin les meilleures performances, émerge un peloton de milieu de tableau (One Piece, Bakuman, Bleach, Black Butler). Le reste des séries les plus populaires au Japon peine beaucoup s’installer sur le marché français.
Pour les séries déjà exploitées en France, on observe un tarissement marqué des réserves de titres non traduits. Sur les trente séries les plus vendeuses sur les trois dernières années (2011-2013), neuf étaient arrivées à leur conclusion avant la fin 2013, et trois autres étaient sur le point de le faire ; six autres séries avaient rattrapé le rythme de parution japonais (moins d’un volume de retard), ce qui ne laissait véritablement que dix séries qui disposaient d’un peu plus d’une année de réserve à un rythme bimestriel.


Enfin, il faut souligner la fragilité des points de vente dédiés qui se sont ouverts durant la période d’expansion du segment, et qui, dans un contexte global difficile pour la librairie, sont d’autant plus touchés par le recul du marché. Comme pour le livre en général, c’est ici la diversité éditoriale qui est en jeu, et qui pourrait remettre en question la pérennité des séries les moins vendeuses.

En l’absence de changement, le scénario catastrophe qui se dessine est le suivant : les éditeurs continuent leur exploitation industrielle soutenue du segment, limitant par là-même le recrutement de nouveaux lecteurs. Parallèlement, ils doivent faire face aux effets combinés de l’érosion progressive des marques installées et de l’épuisement des réserves japonaises. À court terme, cela occasionnera une contraction significative du marché, face à laquelle les éditeurs réagiront en se désengageant fortement et en réduisant le nombre de sorties pour se focaliser sur les meilleurs titres vendeurs. Par un effet mécanique, le marché se contractera à nouveau, entraînant une austérité encore plus marquée des éditeurs. Austérité qui, à son tour, etc. L’installation d’une telle spirale négative est précisément ce qu’il s’est déjà produit aux États-Unis : deux années de recul très net (2011-2012), autour de -20 %… en réponse à une diminution du même ordre du nombre des sorties.

Afin d’éviter cette évolution, l’enjeu principal des années à venir va être de transformer le segment du manga en un véritable marché. Cela passe par le recrutement de nouveaux lecteurs, via le développement d’un discours adapté et la mise en place de formats éditoriaux diversifiés. Cela passe également par un élargissement de l’assise des éditeurs, afin de réduire leur dépendance aux best-sellers.
Dans ces circonstances, la position qu’adopteront les éditeurs japonais qui se sont installés ces dernières années en France demeure un point d’interrogation majeur. Si les perspectives du numérique se trouvent certainement dans leur camp, il reste à savoir comment ils réussiront à concilier le fait d’être à la fois les partenaires commerciaux (via la cession de droits) et les principaux concurrents de leurs homologues français. Le choix qu’a fait Shûeisha de privilégier Kazé Manga pour ses prochaines licences à venir à partir du début 2013 ne fait qu’illustrer ces relations complexes.

Enfin, au-delà des considérations économiques, c’est sans doute la richesse éditoriale de l’offre disponible en français qui constitue l’enjeu principal pour les prochaines années. La période dorée de la décennie passée, surfant sur les années d’installation du manga, a permis la mise en place de toute une chaîne d’intervenants (éditeurs, traducteurs, journalistes et libraires) qui fait du marché français un véritable Eldorado en comparaison des autres pays. L’avènement d’une crise du manga remettrait en question ce fragile équilibre, et réduirait d’autant la richesse du panorama de la bande dessinée japonaise qui nous est proposé aujourd’hui.

Comics

«Jusqu’alors confidentiel, le marché des comics américains a pris de l’ampleur grâce au phénomène Walking Dead et à la mise en place d’Urban Comics.»

— Vincy Thomas, «Les comics revivent grâce aux zombies et aux éternels superhéros», Livres Hebdo n°959, 21 juin 2013

Il peut sembler paradoxal de voir dans les comics un «nouveau» segment, tant ceux-ci existent depuis longtemps sur le marché français. Certes, leur présence s’est pendant longtemps essentiellement limitée aux ventes en kiosque, sous la forme de petits fascicules vendus par Lug puis Semic. Cette approche a d’ailleurs contribué à mettre en place une situation éditoriale particulière pour la production américaine : si certains pans sont largement inexplorés, d’autres n’ont été abordés que de manière parcellaire et souvent anarchique dans ces formats périodiques[15]. Vu que ces derniers (par essence d’une existence commerciale éphémère) représentent une écrasante majorité des publications, on pourrait dire, d’une certaine manière, que tout reste à faire.
Cependant, on compte également de nombreuses tentatives d’implantation du genre en librairie, que ce soit la collection Comics USA chez Glénat, les éditions Zenda (premier éditeur de Watchmen ou V pour Vendetta à la fin des années 1980), l’investissement de Delcourt dans le catalogue Dark Horse et les adaptations Star Wars, ou encore les expériences mort-nées du Téméraire et des Éditions Bethy à la fin des années 1990. Plus proche de nous, dans les rapports annuels de l’ACBD, Gilles Ratier comptabilise près de 1 500 sorties pour le segment sur la période 2001-2008 — mettant en lumière un segment qui n’a rien de véritablement nouveau.

Les résultats de l’étude «La lecture de la bande dessinée» confirment d’ailleurs cet état de fait. Les comics y apparaissent comme un genre source de moins de clivages que le manga, puisqu’un lecteur de bande dessinée sur deux affirme en lire (contre seulement 37 % pour le manga). Néanmoins, il s’agit également du genre le moins investi par ses lecteurs, puisque seulement 10 % déclarent en avoir lu plus de 20 au cours des 12 derniers mois (le score le plus bas, bien loin du manga et ses 21 %). On relève également pour ces mêmes lecteurs une moyenne de 9,1 comics lus dans l’année, soit l’avant-dernière place, les plaçant un souffle devant les romans graphiques (à 9,0).
Enfin, les résultats de l’enquête mettent en évidence deux populations distinctes : d’une part, les plus jeunes (les taux de lecteurs les plus hauts sont enregistrés sur les 7-14 ans), et d’autre part, les 30-39 ans qui en ressortent comme les plus gros consommateurs. Néanmoins, la désignation du genre étant assez générale[16], on peut légitimement s’interroger sur la réalité de ces deux populations face à une offre éditoriale largement adulte.

Eldorado ?

Si le segment des comics déclenche ainsi l’enthousiasme, ce n’est qu’à la faveur de la faiblesse récente dont fait preuve le manga, qui voit les commentateurs faire les yeux de Chimène pour un genre qui a vu ses ventes en France doubler en l’espace de deux ans (2010-2012) — n’hésitant pas à y voir un nouvel Eldorado : «Pour les éditeurs à la recherche de relais de croissance sur un marché de la BD en relative stagnation, la nouvelle poule aux œufs d’or a un nom : « comics ». Importés des États-Unis, ces héros de papier se sont imposés dans les bacs.»[17]
Avec une progression plus modeste en 2013 (+9 % en volume, +17 % en valeur), l’effervescence semble être retombée — d’autant plus que le segment des comics continue de ne représenter qu’une niche de taille bien modeste (4,8 % des ventes en volume en 2013) par rapport à un manga bien installé (autour de 35 % des ventes en volume sur les quatre dernières années). Plus encore, il apparaît que l’essentiel de la progression de ce segment est intrinsèquement liée à deux phénomènes — à savoir le succès de la série The Walking Dead, et l’arrivée sur le marché en 2012 d’un nouvel acteur, le label Urban Comics (filiale de Dargaud), qui va s’installer aussitôt comme numéro 3 du segment[18], fort d’un accord de cinq ans signé avec Warner qui lui donne accès à l’ensemble du catalogue DC Comics.

Série-phénomène, The Walking Dead (scénario de Robert Kirkman, dessin de Charlie Adlard, publiée en français chez Delcourt) a vu ses ventes décuplées en cinq ans (2009-2013), pour s’inscrire autour de près d’un demi-million d’exemplaires pour la seule année 2013, et représente désormais un tiers des ventes en volume du segment des comics. Cette domination est sans partage depuis 2011 : non seulement les 18 volumes disponibles de la série occupent les 18 premières places du top des ventes pour 2011-2013, mais de plus la 19e meilleure place est très largement distanciée (un peu plus de 17 000 exemplaires vendus, contre près de 46 000 pour le «dernier» volume de The Walking Dead classé 18e).
Cependant, cette progression phénoménale commence à ralentir, selon les mêmes dynamiques d’acquisition[19] que celles observées précédemment pour Naruto : la phase de recrutement important étant désormais terminée, la série devrait atteindre un pic de ventes pour 2013-2014 (phase de régularisation), suivi d’une contraction importante lors du passage à un rythme de croisière (phase d’exploitation).

Devenu deuxième acteur du segment en 2013, Urban Comics doit son succès à une stratégie agressive et un nombre de nouveautés conséquent : plus de 120 titres en 2012, et près de 140 en 2013, ce qui le place d’emblée au second rang en terme de production. En s’appuyant sur des titres reconnus (les Watchmen et V pour Vendetta en tête, mais également Batman), Urban Comics a rapidement construit un catalogue attractif, tout en garantissant un certain niveau de ventes.
Sur le long terme, cette approche soulève deux interrogations essentielles. D’une part, l’éditeur n’est-il pas en train de brûler toutes ses cartouches en sortant autant de titres en si peu de temps ? Et d’autre part, ce rythme soutenu de nouveautés ne va-t-il pas rapidement montrer ses limites, sur un segment-niche aux acheteurs peu nombreux ?
Le traitement du catalogue du label Vertigo[20] de DC Comics (98 sorties[21] pour un peu moins d’un quart des ventes d’Urban Comics) est assez emblématique de cette approche : alors que tous ces titres s’adressent peu ou prou à un même public, le risque de cannibalisation est d’autant plus fort que l’effort financier demandé est conséquent (chacun des volumes coûtant plus de 15€[22]). Et c’est sans même évoquer la question de la présence à moyen terme de l’ensemble de ces titres dans les rayons de librairies où préside de plus en plus une rotation élevée des ouvrages.

Perspectives

L’évolution à venir des ventes de The Walking Dead et les interrogations sur les réserves de progression d’Urban Comics remettent fortement en doute les perspectives d’un genre qui, en dehors de ses deux leviers de croissance, marque nettement le pas. Si Marvel France/Panini avait réussi à maintenir son activité en 2012 malgré une transition[23] que l’on imagine difficile (-2 % en volume, -1 % en valeur), l’année 2013 a marqué un net recul (-20 % en volume, -5 % en valeur).
Plus généralement, on peut s’interroger sur la véritable santé d’un segment qui peine à dégager des volumes importants. À la toute fin de l’article des Échos cité en début de chapitre, on pouvait ainsi lire cette réserve apportée à l’enthousiasme initial : «Reste pour tous ces acteurs à relever le pari économique. Car, entre les achats de licences, les frais de traduction, les minima garantis ou les coûts techniques, il n’est pas toujours évident de rentabiliser des albums qui se vendent en moyenne au mieux à 5.000 exemplaires.»[24] Les données Ipsos à notre disposition font état d’un panorama bien moins reluisant, enregistrant une moyenne au titre de 2 100 exemplaires (et une médiane à 1 500 exemplaires) pour les sorties 2010-2012 à fin 2013[25].

Albums

«On assiste à un phénomène d’érosion général sur les séries anciennes de tous les éditeurs.»

— Guy Delcourt, in Fabrice Piault & Anne-Laure Walter,
«La planète des sages», Livres Hebdo n°893, 20 janvier 2012

Très certainement un héritage de la prépublication dans les hebdomadaires[26], les grandes séries franco-belges ont depuis longtemps adopté un rythme de sortie annuel, souvent à date fixe, afin d’établir un rendez-vous avec le lecteur. Au fil des années, cet espacement entre les sorties s’est vu érigé comme un garant de qualité, au point de considérer d’un œil suspicieux les auteurs qui se montreraient plus prolifiques.
On notera cependant les expérimentations plus ou moins récentes autour de nouveaux formats de publications. Ainsi, les séries «à concept» (Le Décalogue, Jour J, Empire USA, Zodiaque, etc.) font état d’une périodicité plus élevée, se rapprochant du périodique.
Ces dernières années ont aussi vu le développement de séries dérivées (XIII Mystery, Cixi de Troy, Les Mondes de Thorgal, Alix Senator, etc.) qui viennent compléter une offre déjà établie. Dans la plupart des cas, les sorties s’opèrent dans le «créneau» habituel de la série (en simultané ou en remplacement de la sortie d’un tome de la série principale), afin de capitaliser sur ce rendez-vous avec le lecteur/acheteur.

De fait, l’examen du planning de sorties met en évidence une approche presque «industrielle» de la part de ces grands éditeurs, s’appuyant sur un rythme bien réglé. On peut ainsi souligner la régularité exemplaire du Chat de Philippe Geluck[27], qui sort immanquablement à la mi-octobre ; ou encore celle du Lombard avec le Léonard de Turk et de Groot, qui paraît systématiquement durant la première moitié de mars[28] ; ou même les Blake et Mortimer, abonnés au mois de novembre (à l’exception du Sanctuaire du Gondwana, sorti en mars 2008). Pour d’autres, on note de menus ajustements, qu’il s’agisse des Schtroumpfs (décalés à la première semaine d’avril après avoir occupé la mi-janvier de 2005 à 2008), ou des Lucky Luke (qui font le yo-yo entre début décembre et mi-octobre). De même, après avoir assis son succès à la mi-août (juste avant la rentrée), Bamboo a progressivement fait glisser Les Profs fin novembre.

 «Classiques»

Quelle que soit l’explication que l’on invoque (désengagement de la grande distribution, atténuation de l’effet du marketing[29], érosion du lectorat, lassitude des lecteurs), il est indéniable que les grandes séries franco-belges, qui constituaient hier l’essentiel des meilleures ventes et soutenaient la santé du marché de la bande dessinée, connaissent depuis quelques années un fléchissement notable de leurs ventes.

En considérant les données à notre disposition, nous avons choisi de nous intéresser à l’évolution des ventes des nouveautés de 19 séries sur la période 2005-2013, en prenant comme indice 100 la performance de l’année 2005[30].
Le graphique suivant met avant tout en évidence une nette évolution baissière pour l’ensemble des grandes séries considérées, puisque la plupart réalisent en 2013 moins de 60 % de leurs ventes de 2005. La petite taille de l’échantillon et la diversité des comportements observés ne permettent pas de mettre en évidence avec certitude un modèle d’érosion qui régirait l’ensemble de ces évolutions. Cependant, après avoir testé plusieurs hypothèses[31], c’est encore une évolution géométrique qui ressort comme l’option approchant le mieux les données, impliquant une érosion annuelle des ventes de l’ordre de 9 %[32].

Les données historiques laissent par ailleurs supposer que cette érosion commence à se faire ressentir au moins à partir des années 2001-2002 pour la plupart des séries — favorisant ainsi l’hypothèse d’une érosion «structurelle» liée aux dynamiques sérielles, que des facteurs tels que le désengagement des grandes surfaces n’aurait fait qu’amplifier ces dernières années.
De fait, l’examen d’une poignée de «nouvelles» séries (comptant moins de dix volumes parus avant 2005) permet d’observer des évolutions typiques du cycle acquisition-régularisation-exploitation. Il apparaît ainsi que Les profs (Bamboo), Les blagues de Toto (Delcourt) ou encore Les Rugbymen (Bamboo) sont entrés dans leur phase d’exploitation, alors que Les Légendaires (Delcourt) sont toujours dans une phase d’acquisition.

Tirages

La mise en regard des tirages initiaux de ces mêmes nouveautés fait apparaître une évolution sensiblement différente. En fait, on constate que sur la période 2005-2010, ce sont quasiment les mêmes quantités que l’on retrouve, année après année, alors même que les ventes fléchissent. Ce n’est que depuis 2011 que l’on enregistre des réajustements importants à la baisse.

En réalité, l’objectif des éditeurs demeure d’assurer une large présence en magasin, quitte à imprimer trop — une vente «manquée» aujourd’hui ayant peu de chance d’être rattrapée à l’avenir. On notera d’ailleurs que, une fois amortis les coûts fixes de la création d’un livre, le coût de fabrication d’un exemplaire devient marginal.

Interrogé par Livres Hebdo, Benoît Frappat (directeur commercial chez Soleil) «constate surtout une hausse des retours, car les mises en place restent bonnes.»[33] Cette analyse est visiblement valable pour l’ensemble du marché du livre, Livres Hebdo relevant pour le dernier trimestre 2012 «une flambée des stocks et des retours» :

En effet, le taux moyen de retours atteint un inquiétant sommet à 29 % au 4e trimestre 2012, soit trois points de plus qu’au dernier trimestre 2011. Près d’un livre sur trois a donc été retourné en fin d’année. Les hypermarchés (38 %, soit cinq points de plus à un an d’intervalle) et les librairies de 2e niveau ont un taux de retours au-dessus de la moyenne. À l’inverse, les grandes surfaces culturelles et les grands magasins présentent des taux de retours beaucoup plus faibles, inférieurs à un livre sur quatre.[34]

Par ailleurs, dans un contexte de crise, l’annonce de la réduction du tirage initial pourrait être interprétée comme un mauvais signe, entraînant une perte de confiance des acteurs de la chaîne de diffusion/distribution et, par un processus de prédiction auto-réalisatrice, une forte diminution des ventes. L’importance du tirage d’un ouvrage devient alors une force commerciale (réelle ou psychologique), et non plus l’expression «raisonnable» d’un véritable potentiel de vente.

Fonds

La situation des ventes du fonds (c.-à-d. des anciens titres des séries, parus depuis plus de douze mois) apparaît comme plus complexe à évaluer, car influencée de manières diverses par les sorties de l’année et des années précédentes. Une approche méthodologique plus rigoureuse nécessiterait par exemple d’écarter les nouveautés pendant l’ensemble de leur première année d’exploitation commerciale (plutôt que de les affecter au fonds dès le 1er janvier de l’année suivant leur sortie), mais nous ne disposons pas des données nécessaires à ce type d’analyse.
Néanmoins, les chiffres à notre disposition révèlent également une évolution baissière touchant la quasi-totalité des séries. On notera que comme pour les ventes des nouveautés, la petitesse de l’échantillon considéré (toujours limité par les données à notre disposition) ne permet pas de dégager un modèle statistique évident. À nouveau, l’évolution géométrique ressort comme l’option approchant le mieux les données, indiquant une érosion annuelle des ventes de l’ordre de 9 %.

Quelques séries font montre de dynamiques différentes, qui trouvent leur explication au niveau de particularités éditoriales. Ainsi, l’évolution des ventes de la série Les Profs (qui progressent avant de «rentrer dans le rang» et s’éroder fortement) sont certainement à mettre sur le compte de dynamiques d’acquisition — malgré ses 14 volumes, il s’agit en effet de la série la plus récente de notre sélection (puisqu’elle date de 2000). De plus, elle bénéficie en 2005 d’une double sortie dans l’année (tomes 7 et 8), qui contribue logiquement à des ventes du fonds accrues les années suivantes.

De même, l’évolution en forte augmentation des ventes de XIII sur les années 2007-2008 est liée d’une part à la conclusion de la série[35] (événement exceptionnel encourageant les lecteurs à compléter leur collection), et d’autre part par la double sortie de l’année 2007.
Même constat pour Blake et Mortimer, qui présente (en décalé) une belle performance sur 2010-2011 suite à la sortie des deux volumes du diptyque La malédiction des trente deniers en 2009 et 2010.

Enfin, ces évolutions sont également fortement influencées par les opérations commerciales de la part des éditeurs. En cela, le cas de la série Largo Winch est emblématique : en 2008, à l’occasion de la sortie du premier film tiré de la bande dessinée de Jean Van Hamme et Philippe Francq, Dupuis a procédé à la sortie de «fourreaux»[36] regroupant les différents diptyques qui constituent la série — une relative nouveauté, puisque les précédents «fourreaux» remontaient à 1999. L’opération visait clairement au recrutement de nouveaux lecteurs, les deux premiers diptyques étant proposés à un prix très attractif[37] (10,40€ les deux volumes, contre 20,80€ pour les diptyques suivants).
Combinée à l’exposition apportée par la sortie du film, cette injection importante de produits Largo Winch a redynamisé les ventes du fonds, et contrecarré sur la période 2008-2009 le phénomène d’érosion mis en évidence précédemment. Cependant, on notera une évolution 2009-2011 en léger retrait, marquant un retour à la normale confirmé dès 2012.

En 2013, la série Blake et Mortimer a bénéficié d’une approche comparable, avec le lancement d’une «nouvelle maquette» et la réédition de la quasi-totalité des volumes disponibles — illustrant à nouveau les stratégies de repackaging qui s’adaptent aux rotations élevées de la chaîne de distribution.

Romans Graphiques

«Il fut un temps où tout était simple. Un album de bande dessinée faisait une quarantaine de pages encerclées par une couverture cartonnée de 24 centimètres sur 32. Cette période est révolue.»

— David Barroux, «La bande dessinée dans tous ses états»,
Les Échos, 6 mai 2014

S’il semble que le terme de «roman graphique»[38] existe en France dès les années 1980, il fait son apparition dans le vocabulaire courant des observateurs au tournant des années 2005-2006[39]. Aujourd’hui encore, il est pourtant bien difficile d’en définir précisément les contours, au sein d’une nomenclature qui s’appuie avant tout sur des considérations de format (l’album), d’origine géographique (manga), ou d’une combinaison des deux (comics). Comme le résume Joseph Ghosn dans son livre Romans graphiques[40], il s’agit avant tout d’œuvres qui «ont pour elles de posséder une esthétique forte, un propos singulier, faisant surgir à chaque fois la voix d’un auteur, jamais celle d’un faiseur ou d’un copiste». Cette affirmation d’une singularité passe bien souvent par le rejet des standards dominants de la bande dessinée (soit une pagination importante, l’utilisation du noir et blanc ou le rejet des approches sérielles) au profit de marqueurs symboliques renvoyant à une forme considérée comme plus légitime (revendication du «livre», couverture souple, etc.).

Présente en bande dessinée en France dès les années 1980, il faut reconnaître que cette catégorie d’ouvrages va connaître une phase de mutation profonde sur la période 2004-2008, voyant en quelques années le nombre de ses sorties annuelles multiplié par trois, passant d’environ 150 en 2004 à plus de 500 titres en 2008. Sur cette période, les «indépendants historiques»[41] ont maintenu une production constante adaptée à la (petite) taille de leurs structures et privilégiant le «travail» du livre, qui représente autour de 110 titres annuels. Des structures comparables, que nous désignerons par les «nouveaux alternatifs»[42] (à défaut d’une meilleure appellation) sont apparues et/ou ont développé leur offre pour représenter dès 2008 une production comparable en nombre de titres. Mais surtout, on note une arrivée massive des grands éditeurs, par le biais de collections spécifiques[43] (et, pour certaines, dirigées par des auteurs issus des «indépendants historiques», comme c’est le cas pour la collection Shampooing chez Delcourt dont Lewis Trondheim est responsable, ou pour la collection Bayou chez Gallimard Jeunesse, sous la houlette de Joann Sfar), qui représentent alors près de la moitié de la production du segment.

L’évolution en forte hausse de ce segment[44] a eu deux conséquences. D’une part, elle a entraîné le déplacement de l’attention d’une certaine partie des prescripteurs, qui délaissent les séries «classiques» au profit d’un roman graphique plus valorisé culturellement. D’autre part, elle a amené à un certain affaiblissement de la position des «indépendants historiques», qui ont dû faire face à cette concurrence accrue (et, pour le lecteur, formellement indifférenciée), en particulier au sein de la librairie généraliste qu’ils avaient réussi à «défricher» et investir.
Au-delà de la question artistique, se posent surtout les enjeux économiques, dans un rapport de forces (commerciales) souvent très déséquilibré — les éditeurs alternatifs ne disposant pas des mêmes ressources que les grands éditeurs. Sans surprise, c’est aussi sur la période 2008-2010 (où l’on observe une stabilisation des forces en présence) que se sont manifestées les difficultés de l’édition alternative.

Plus récemment, sur 2011-2013, on note un recul important des collections des grands éditeurs, leur contribution à la production se retrouvant divisée par deux. Dans le détail, cette évolution est le résultat combiné d’une relative modération d’acteurs toujours très présents (KSTR, Drugstore, Futuropolis, Quadrants, Shampooing), et d’un désengagement fort de la part d’autres labels (Gallimard Jeunesse, Poisson Pilote).
La réalité des chiffres de vente a certainement joué un rôle dans ces changements de stratégie éditoriale. Cependant, il faut également souligner que ces collections spécifiques ne sont plus le seul lieu où l’on peut retrouver ce type d’ouvrages. Ainsi, la disparition d’un label comme Expresso a vu la poursuite d’une politique éditoriale comparable au sein d’autres labels Dupuis, avec des titres comme N’embrassez pas qui vous voulez (de Marzena Sowa et Sandrine Revel, dans la collection Dupuis «Auteurs») ou Chère Patagonie (de Jorge Gonzalez, dans la collection Aire Libre).
Alors que la quasi-totalité du catalogue des «indépendants historiques» est publié dans un format livre (c.-à-d. broché à dos carré, couverture souple), les grands éditeurs, dans la foulée du «nouveau» Futuropolis relancé en 2005, ont de facto introduit un nouveau standard de publication, le format «cartonné à dos rond», désormais proposé comme une sorte de prolongement de l’album classique (le «48CC*») dans une version plus luxueuse, et menant à son terme l’opération de récupération.

Spin-offs*

«À quoi servent vraiment les spin-offs ? […] Ils permettent aux auteurs d’avancer d’autres idées, peut-être de prendre un peu plus de risques, tout en bénéficiant de l’appui d’un marketing rôdé. Et surtout, ils récompensent le lecteur avide de tout connaître de son univers préféré.»

— Benjamin Roure, «À quoi servent les spin-offs ?»,
BoDoï, 22 juin 2009

La première série dérivée franco-belge est certainement Les Schtroumpfs, du nom des personnages découverts dans les pages d’un album de Johan et Pirlouit (La Flûte à Six Schtroumpfs). On pourrait également citer Rantanplan (évadé de Lucky Luke) ou le Marsupilami (apparu chez Spirou et Fantasio). Ce n’est que plus récemment et sous l’influence d’une certaine industrialisation du marché que les séries dérivées ont adopté des titres faisant ouvertement référence à la série principale, Dupuis inaugurant la formule avec Le Petit Spirou en 1987.
Cependant, le lancement de la collection «parallèle» des XIII Mystery (Dargaud) a marqué le début d’une nouvelle phase d’implantation du concept des séries dérivées au sein des grandes séries franco-belges. Ce genre d’initiative s’est en effet largement répandu, essaimant chez la plupart des grands éditeurs : Cixi de Troy (Soleil), Les Mondes de Thorgal (Le Lombard), Alix Senator (Casterman), Les Légendaires Origines (Delcourt), etc.
On peut enfin rattacher à ce phénomène, des objets se situant parfois en marge de la bande dessinée, mais rattachés à la série, comme Le Guide du zizi sexuel (2001) et Petite poésie des saisons (2005), présentés comme «hors-série» de Titeuf, ou encore les deux ouvrages-compilations d’Astérix, Astérix et la rentrée gauloise (2003) et L’anniversaire d’Astérix et Obélix — Le Livre d’or (2009), qui sont pourtant intégrés à la série principale (en tant que 32e et 34e albums[45] ).

Si ces initiatives cherchent à capitaliser sur une notoriété déjà établie, il faut bien reconnaître qu’elles n’arrivent à séduire qu’une partie du lectorat des séries principales, réalisant en moyenne des ventes diminuées de moitié[46]. L’intérêt (et la qualité de réalisation) de ces initiatives est d’ailleurs souvent discutable. Plus encore, on constate que ces séries dérivées sont régies par les mêmes modèles d’érosion que nous avons mis en évidence précédemment. Ainsi, en l’espace de quatre volumes et en autant d’années, la série XIII Mystery a vu ses ventes à la nouveauté diminuer de 30 %.

Si les séries «dérivées» cherchent à cibler le même public que la série principale, l’approche adoptée pour les versions «jeunes» de héros adultes relève d’une autre stratégie, cherchant sans doute à s’appuyer sur la caution parentale pour essayer de séduire un lectorat enfantin. Kid Lucky, Gastoon ou encore P’tit Boule et Bill ressortent ainsi de cette démarche, dont la pertinence et l’efficacité restent encore à prouver dans un contexte de difficultés durables pour une certaine bande dessinée jeunesse. On se contentera de signaler la forte dégringolade du Petit Spirou, dont les ventes à la nouveauté ont été divisées par cinq en l’espace de dix ans.

Adaptations

«Les producteurs [de cinéma] sont conscients que la BD n’est pas pour eux la panacée, mais aussi qu’elle est porteuse d’univers graphiquement forts.»

— Louis Delas, Directeur Général de Casterman,
in Anne-Laure Walter & Fabrice Piault, «Quel salut hors de la case ?»,
Livres Hebdo n°761, 23 janvier 2009

Pour le meilleur et pour le pire, la bande dessinée est depuis quelques années une source d’inspiration régulière pour le cinéma. Ainsi, sur la période 2000-2013, plus d’une centaine de films adaptés de bandes dessinées sont sortis en salle, attirant près de 200 millions de spectateurs. Il faut cependant souligner que pour les deux tiers, il s’agit d’adaptations d’œuvres étrangères (très majoritairement américaines), et que les super-héros y ont la part belle.

A priori, éditeurs et auteurs bénéficient doublement de ces sorties : d’une part, par le biais de la cession des droits cinématographiques, et d’autre part, par la large exposition apportée par le cinéma, qui génère par la suite des ventes supplémentaires de l’œuvre originale.
Sur la période 2000-2013, les tops des meilleures ventes comportent quelques exemples de ce type de dynamique liée à la sortie de l’adaptation correspondante : les bonnes ventes d’Astérix et Cléopâtre en 2002, de L’Enquête corse en 2004, du «monovolume» de Persepolis en 2007, ou encore du Secret de la Licorne en 2011.
Pour autant, il est important de relativiser ces performances : sur les 22 films adaptées d’œuvres franco-belges ayant dépassé le million d’entrées entre 2000 et 2013, seul Persepolis enregistre un «taux de conversion» du film vers la bande dessinée conséquent (8 %)[47]. Pour les autres, ce sont (au mieux) 2 % des spectateurs du film qui vont se tourner vers l’œuvre originale. Plus encore, les «produits dérivés» en bande dessinée publiés à l’occasion (comme l’album Astérix aux Jeux Olympiques — Les secrets du tournage ou l’adaptation de Bienvenue chez les Ch’tis parue chez Delcourt) connaissent des performances plus modestes encore, en deçà des 1 % de conversion.

L’impact de la sortie d’un film sur les ventes de l’ensemble de la série est difficile à jauger, mettant en lumière des situations très contrastées. Ainsi, la sortie d’Astérix aux Jeux Olympiques (6,8 millions d’entrées), film bénéficiant d’une promotion à nulle autre pareille en 2008, s’accompagne d’un recul assez net de 16 % des ventes de la série par rapport à l’année précédente. Même constat très mitigé pour les deux films tirés de Largo Winch (1,77 millions d’entrées en 2008, 1,35 millions d’entrées en 2011), dont on peine à observer les répercussions sur les ventes de la série.
À l’inverse, le succès au cinéma de Tintin — Le Secret de la Licorne (5,3 millions d’entrées), accompagné d’une campagne médiatique retentissante, propulse la série à la première place (hors manga) en 2011 avec plus de 720 000 exemplaires écoulés. Cependant, ses ventes n’augmentent «que» de 50 % sous l’effet de la sortie du film — soit un gain de l’ordre de 250 000 exemplaires sur l’année, avec le seul album Le Secret de la Licorne présent dans le Top 50 des meilleures ventes pour 2011 (à la 50e place avec 38 600 exemplaires vendus). Absent des meilleures ventes, le diptyque lié au film, réédité en un seul volume pour l’occasion et tiré à 180 000 exemplaires, aura donc été un relatif échec et témoigne d’une certaine saturation du marché à l’égard de la série.

Le verdict est encore plus dur du côté des comics, malgré les bonnes performances au cinéma de Avengers (6e / 4,5 millions d’entrées), de The Dark Knight Rises (8e / 4,4 millions) ou encore de The Amazing Spider-Man (16e / 2,5 millions).

En considérant la liste des séries adaptées, il n’est pas surprenant d’observer de telles dynamiques. En effet, le cinéma s’intéresse avant tout à des séries déjà bien établies, dont on peut supposer que le potentiel de ventes a été largement exploité auparavant.

Patrimoine

«Sur les fonds patrimoniaux aussi, on assiste à une montée en puissance des opérations commerciales et de leur rythme, et la concurrence s’intensifie.»

— Louis Delas, directeur général de Casterman,
in Fabrice Piault & Anne-Laure Walter, «La planète des sages»,
Livres Hebdo n°893, 20 janvier 2012

Confrontés à l’érosion des ventes des grandes séries franco-belges, les éditeurs se sont engagés dans des programmes souvent soutenus de revalorisation de leurs catalogues, par le biais d’intégrales[48]. Comme exposé par Martin Zeller (alors responsable des intégrales chez Dupuis) lors d’une journée d’intervention à la BnF[49], l’approche a de multiples avantages :
– tout d’abord, au même titre que le «repackaging», l’intégrale crée une nouvelle référence, ce qui réinjecte dans le circuit de distribution des albums qui l’avaient peut-être quitté — et leur permet en outre de bénéficier de l’exposition et de la mise en avant accordées aux nouveautés ;
– ensuite, l’intégrale d’une série connue est un produit qui représente relativement peu de risques, même si (et c’en est la contrepartie) son succès est généralement plus modeste (en terme de potentiel) que dans le cas d’une réelle nouveauté[50] ;
– enfin, ces intégrales sont également (voire surtout) l’occasion d’une approche patrimoniale, tant dans la constitution même des volumes (choix des séries, appareil critique) que dans la préservation du catalogue par le biais de sa numérisation (opération coûteuse mais nécessaire).

Cependant, il est peu probable que ces intégrales aillent dans un premier temps conquérir de nouveaux lecteurs : cette approche s’appuie principalement sur la nostalgie et l’attachement de certains lecteurs aux «grands classiques». Du fait de la richesse de son catalogue historique (basé sur le Journal de Spirou), Dupuis s’est d’ailleurs montré l’un des éditeurs les plus actifs sur cette approche, au point de sortir chaque année autant de rééditions que de nouveautés depuis 2008.
On notera que les performances commerciales de ces projets sont très contrastées. Cet aspect est renforcé par la multiplication conséquente de ce type d’initiatives sur le marché, occasionnant des situations d’embouteillage en librairie, en particulier à l’abord des fêtes de fin d’année. Leur inscription dans la durée est ainsi fortement remise en question — débouchant sur l’étrange paradoxe d’approches patrimoniales condamnées à une existence éphémère en librairie…

Sur le segment du manga, l’approche patrimoniale ne correspond pas à une revalorisation d’un existant, mais bien à une création éditoriale. On constate d’ailleurs que l’édition d’œuvres ressortant du patrimoine japonais reste encore largement minoritaire au sein de la production. Les collections dédiées sont rares («Vintage» chez Glénat, «Classic» chez Taïfu ou encore «Sensei» chez Kana, auxquelles il faut rajouter la collection «Tezuka» chez Asuka[51] ), et les auteurs abordés peu nombreux. Le positionnement volontaire d’Isan Manga sur ce segment particulier depuis son lancement en mars 2013 fait vraiment figure d’exception.
En fait, on constate que la découverte de certains auteurs du patrimoine ne tient souvent qu’à la capitalisation d’un éditeur sur une «marque» recueillant accueil critique et performance commerciale, comme celle que représente Taniguchi Jirô (partagé entre écritures et Sakka chez Casterman) ou Hirata Hiroshi (chez Delcourt).

Chez Kana, la collection «Sensei» («La collection des grands maîtres du manga») est assez emblématique dans sa manière d’aborder la problématique du patrimoine. Tout d’abord, son catalogue voit les «grands maîtres du manga» réduits à la portion congrue : huit auteurs[52] en tout et pour tout, pour 44 volumes publiés, et surtout une domination écrasante de la figure désormais médiatique de Kamimura Kazuo, qui représente plus d’un tiers des volumes sortis depuis la création de la collection fin 2007 (15 sur 44).
Ensuite, on soulignera l’investissement de courte durée de l’éditeur dans cette collection, qui après une période «faste» en 2011 (avec pas moins de 11 sorties, soit le quart des titres de la collection) végète avec à peine deux sorties pour 2013 et autant en 2014[53].
Enfin, cette collection est composée essentiellement de formats «courts», principalement trilogies et tétralogies, assorties de quelques one-shots*. Vu les faibles volumes que rencontrent généralement ce genre de publication, le choix d’un tel format permet d’éviter des érosions trop fortes sur la durée, et pourrait même encourager la complétion d’une série entamée : un lecteur sera en effet plus enclin à «terminer» une trilogie lorsqu’il lui manque le dernier tome, que d’investir dans le troisième volume d’une série qui en compterait une dizaine d’autres à suivre.

Notes

  1. Dans le cadre de cette analyse, nous nous sommes limités à ne considérer que les volumes de Naruto parus en février ou en mars sur la période 2002-2011 (soit les volumes 1, 6, 10, 16, 22, 28, 34, 40, 47 et 52), afin de ne pas introduire de biais lié à des différences dans la durée de commercialisation l’année de sortie.
  2. Depuis 2004, à l’exception d’une année 2007 bénéficiant de 7 sorties.
  3. Cette version colorisée par Steve Oliff et publiée en sens de lecture occidental par Marvel par le biais de son label Epic sera interrompue au 31e numéro aux États-Unis, ce qui occasionnera en février 1992 l’arrêt total de la parution de la version française. Les recueils cartonnés paraissent à partir de la fin 1990 avec une périodicité irrégulière proche du trimestriel, mais connaîtront aussi une interruption. Il faudra attendre fin 1994 (et la mise en place d’une traduction à partir du japonais) pour voir paraître, avec un rythme annuel, les trois derniers volumes reliés complétant la saga.
  4. Appleseed (Glénat) et Asatte Danse (Tonkam) étant les deux exceptions semestrielles. Notons également que les débuts de Casterman en 1995 ont combiné des titres tirés des expériences de Kôdansha avec des auteurs occidentaux (comme L’autoroute du soleil de Baru), et de véritables productions japonaises (dont L’homme qui marche de Taniguchi Jirô). La périodicité erratique des séries comme Gon ou L’habitant de l’infini (deux sorties consécutives pouvant être espacées de plus d’un an) résulte plus d’une faible implication de l’éditeur que d’une véritable volonté éditoriale. Il est assez symbolique que Casterman soit, vingt ans plus tard, l’éditeur de premier plan le moins présent sur le segment du manga.
  5. En fonction de la revue dans laquelle une série est publiée (hebdomadaire, bimensuel, mensuel, bimestriel, etc.), les rythmes de parution des recueils au Japon varient énormément. Dans le cas des grandes séries shônen*, généralement publiées dans des hebdomadaires, les recueils sortent tous les trois mois et demi à quatre mois — soit généralement trois volumes annuels, et quatre les années fastes.
  6. Notons ici que le cas de Naruto fait partie des scénarios les plus «favorables», puisqu’il s’agit d’une série publiée au Japon dans un hebdomadaire, et donc bénéficiant d’un rythme de sortie élevée en version originale. Pour un grand nombre de séries au rythme de parution plus lent, la transition est souvent beaucoup plus abrupte.
  7. Les ventes cumulées de la série Death Note sur 2007-2008 représentent un peu plus d’un million d’exemplaires. À titre indicatif, c’est le quart des ventes de Naruto sur la même période.
  8. Cette durée d’environ quatre ans doit être naturellement rapprochée de la durée standard des contrats établis avec les éditeurs japonais, généralement de trois ans et renouvelable pour une période équivalente.
  9. Il faut souligner que les éditeurs payent sans doute ici la gestion passée et présente de leurs catalogues. Ainsi, les éditions Tonkam ont annoncé début avril 2013 l’arrêt de commercialisation d’une quinzaine de séries, et la mise au pilon de 26 autres, invoquant des coûts de stockage chez leur distributeur trop élevés.
  10. Soit Tonkam (H2, mais aussi Cross Game), Pika (Katsu !) et Glénat (Touch). Takahashi Rumiko connaît en 2007 une situation similaire, avec 15 volumes parus sur trois séries : Inu Yasha chez Kana, Urusei Yatsura chez Glénat, et Maison Ikkoku chez Tonkam.
  11. En se basant sur les ventes du premier volume des 743 nouvelles séries de la période 2010-2013, chiffres Ipsos.
  12. Soulignons à nouveau ici l’importance du positionnement de la grande distribution sur le manga, qui vient renforcer encore les résultats de ces best-sellers en se concentrant sur un faible nombre de références.
  13. À savoir donc : Fairy Tail (près d’une quarantaine de volumes depuis septembre 2008), Naruto (plus de soixante volumes depuis mars 2002) et One Piece (plus de soixante-dix volumes depuis septembre 2000).
  14. Rapporté dans «Un virage très Net», Fabrice Piault et Anne-Laure Walter, Livres Hebdo n°805 (22 janvier 2010), pp.67-73.
  15. Bien souvent ce type de publication regroupe l’équivalent de deux numéros des fascicules américains, et va piocher au sein des multiples publications mensuelles consacrées à un même héros ou groupe de héros.
  16. «Comics et autres bandes dessinées américaines» pouvant tout aussi bien recouvrir les habituels récits de super-héros (auxquels le terme de «comics» est généralement associé) que des productions à licence, comme Les Simpson ou encore les productions américaines publiées sous la forme de roman graphique, comme les œuvres de Chris Ware, Daniel Clowes ou Charles Burns.
  17. Cf. «Les comics envahissent les bacs des libraires», David Barroux, Les Échos, 25 avril 2012.
  18. Derrière Delcourt et Marvel France/Panini, ce trio de tête contrôlant près de 90 % du segment (en volume et en valeur) en 2012.
  19. On notera que The Walking Dead a vu son rythme de sortie passer de trois volumes annuels sur 2007-2010 à seulement deux volumes annuels depuis 2011, après avoir rattrapé la publication américaine. L’impact de ce changement n’est cependant pas visible sur les courbes de ventes, la série étant alors toujours dans sa phase d’acquisition de nouveaux lecteurs.
  20. Label «adulte» de l’éditeur de Superman, Vertigo est l’éditeur aux États-Unis de séries comme The Sandman, Hellblazer, Preacher, 100 Bullets, DMZ, Fables ou encore Y le dernier homme.
  21. Même si une partie de ces nouveautés consiste en des rééditions de titres précédemment parus chez Panini Comics.
  22. On peut également s’interroger sur le choix d’une édition cartonnée, assez inhabituelle du segment.
  23. Éditeur des titres du catalogue DC Comics de 2005 jusqu’en 2011, Marvel France/Panini avait dû faire face à la perte de l’exploitation de titres qui représentaient un quart de ses ventes, suite au contrat passé entre Warner et Urban Comics.
  24. Cf. «Les comics envahissent les bacs des libraires», David Barroux, Les Échos, 25 avril 2012.
  25. En faisant abstraction des ventes des nouveaux titres de The Walking Dead. En incluant ces derniers, la moyenne au titre pour les sorties 2010-2012 à fin 2013 s’inscrit légèrement au-dessus de 2500 exemplaires.
  26. Publiées à raison d’une ou deux pages par semaine, les séries des hebdomadaires produisaient donc un à deux albums (d’une cinquantaine de pages) annuels.
  27. Cette régularité va peut-être être remise en question à l’avenir, Philippe Geluck ayant cessé de publier le Chat dans le quotidien belge Le Soir le 23 mars 2013, trente ans après ses débuts.
  28. Cette belle régularité s’est vue perturbée avec la double sortie en 2012 (février et octobre), les années suivantes marquant un retour progressif à la normale (juin 2013, puis avril 2014… avant mars 2015 ?).
  29. L’arrivée du marketing dans la promotion de la bande dessinée au début des années 2000 aurait eu une double conséquence : d’une part, une augmentation marquée des ventes des best-sellers, et d’autre part un assèchement de l’offre par focalisation sur les grosses marques. L’influence du marketing se serait depuis montrée plus discrète, à la fois par adaptation du lectorat, mais également par l’adoption d’une position plus «raisonnable» de la part des éditeurs et de son intégration en amont dans leur approche éditoriale.
  30. Ou de l’année 2004 pour Blake et Mortimer, Lucky Luke, Thorgal et Titeuf, séries n’ayant pas connu de sortie en 2005. Pour Les Bidochon, nous avons pris comme référence l’année 2002. Dans le cas où une série a connu deux sorties au cours de la même année, nous avons privilégié le titre le plus vendeur.
  31. À savoir : modèles linéaire, polynomiaux et logarithmique, évalués selon la méthode des moindres carrés.
  32. Cette érosion annuelle s’appliquerait même en l’absence de sortie : une série espaçant ses nouveautés de deux ans devant envisager une érosion de l’ordre de 18 % de ses ventes.
  33. Rapporté dans «La fin de la bulle», Fabrice Piault et Anne-Laure Walter, Livres Hebdo n°849 (21 janvier 2011), pp.71-76.
  34. «Près d’un livre sur trois a été retourné en fin d’année, Anne-Laure Walter, publié en ligne le 13 février 2013.
  35. Même si, depuis, la série a été reprise par le duo Yves Sente-Youri Jigounov avec un premier volume (Le jour du Mayflower) paru en 2011.
  36. La sortie du second film adapté (en 2011) sera accompagnée d’une vague similaire de réédition/repackaging, mais dont l’impact sur les ventes globales sera plus limité, du fait de la proximité temporelle de l’opération précédente.
  37. Notons que pour la nouvelle sortie des diptyques en 2011, la politique de prix était beaucoup moins agressive. Chacun des fourreaux était ainsi proposé à 22,00€ alors que les albums individuels étaient alors à 11,50€ — soit au final une simple décote d’un euro (réduction de 4 %).
  38. Appellation dérivée de l’anglais («graphic novel»), qui recouvre aujourd’hui un concept qui reste un peu flou : pour certains lié à une ambition narrative (avec des récits qui chercheraient à s’approcher du roman, en particulier par le biais de thématiques liées au réel), et pour d’autres un format éditorial (avec des livres souvent en noir et blanc, et présentant une pagination élevée). Sylvain Lesage retrace en détail l’apparition de «l’aspiration romanesque» en bande dessinée dans «L’effet codex : quand la bande dessinée gagne le livre — L’album de bande dessinée en France de 1950 à 1990», thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Jean-Yves Mollier, Université de Versailles Saint-Quentin, 2014.
  39. Ainsi, début 2005, Jean-Christophe Menu indique que : «On reparle donc beaucoup de “Roman Graphique”, depuis peu.» (Plates-Bandes, L’Association, 2005, p.36). Par ailleurs, le terme apparaît pour la première fois sous la plume de Gilles Ratier dans l’édition 2007 de son rapport annuel.
  40. Joseph Ghosn, Romans graphiques. 101 propositions de lectures des années soixante à deux mille, Le mot et le reste, 2009.
  41. Soit Atrabile, Cornélius, Drozophile, ego comme x, FRMK, Groinge, L’Association, Le Cycliste, Les Requins Marteaux, Mosquito, Rackham, 6 pieds sous terre et Vertige Graphic.
  42. Soit Les 400 coups, Actes Sud, L’Apocalypse, Alain Beaulet, La boîte à bulles, çà et là, Café Creed, Cambourakis, Des Ronds dans l’O, Diantre !, FLBLB, IMHO, La 5e Couche, La Pastèque, L’An 2, L’Employé du moi, Les Enfants Rouges, Les Impressions Nouvelles, Les Rêveurs, Le Lézard Noir, Mécanique Générale, Sarbacane, Thierry Magnier et Warum.
  43. Soit Drugstore (Glénat), Écritures (Casterman), feu Expresso (Dupuis), Futuropolis (Gallimard-Soleil), Bayou (Gallimard Jeunesse), KSTR (Casterman), Outsider (Glénat), Poisson Pilote (Dargaud), Quadrants (Soleil), Rivages Noir (Casterman) et Shampooing (Delcourt).
  44. Tout du moins, en ce qui concerne le nombre de sorties. En l’absence d’une catégorie spécifique dans les données collectées par les instituts Ipsos et GfK, il n’est pas possible de cerner le poids commercial réel de ce segment dans les chiffres de vente.
  45. Plus exactement, Astérix et la rentrée gauloise est dans un premier temps présenté comme un hors-série, ou plutôt comme un «catalogue « raisonné »», avant d’être clairement intégré à la série.
  46. Les performances récentes de la série Trolls de Troy, qui réalise ces dernières années des ventes supérieures à celles de Lanfeust, doivent être relativisées : les chiffres disponibles pour le début des années 2000 font état d’une performance de l’ordre de 50 % soit dans la moyenne des dynamiques que nous évoquons ici. Cependant, l’érosion des ventes sur la période 2001-2012 a été moins forte sur Trolls de Troy (-53 % pour les ventes à la nouveauté) que pour la série principale (-80 % sur la même période). Il est probable que la déclinaison de la série Lanfeust en deux arcs successifs (Lanfeust des Étoiles à partir de 2001, puis Lanfeust Odyssey depuis 2009) a joué un rôle important dans la désaffection progressive et marquée des lecteurs.
  47. Et ce, bien que la série de Marjane Satrapi ait déjà connu de bonnes ventes dans sa version en quatre volumes publiés entre 2000 et 2003.
  48. On notera que l’approche patrimoniale ne se limite pas à la revalorisation d’un catalogue, et que nombre d’éditeurs vont chercher ailleurs que dans leurs anciennes publications pour éditer des œuvres indisponibles. Les motivations (et la qualité) sont par contre assez diverses. Certains effectuent un travail de restauration important pour publier des œuvres considérées comme indispensables (on pense au travail de l’Association sur Mattioli ou J.-C. Forest, entre autres), alors que d’autres se contentent de traduire en français des collections étrangères où le meilleur (l’édition admirable de Krazy Kat chez Les Rêveurs ou les Peanuts de Charles Schultz chez Dargaud, par exemple) côtoie un travail éditorial beaucoup plus discutable (comme La Dynastie Donald Duck de Carl Barks publiée chez Glénat, et pourtant récompensée par un «Prix du Patrimoine» en 2012 au Festival d’Angoulême).
  49. Journée d’étude proposée par Les ateliers du livre le 5 octobre 2010, autour du sujet «La bande dessinée, entre héritage et révolution numérique». La communication de Martin Zeller s’intitulait «Non, le franco-belge n’est pas mort — l’exemple des intégrales».
  50. Si les meilleures ventes (Spirou ou Gil Jourdan) peuvent atteindre les 20 000 exemplaires, on compte également de nombreux titres n’arrivant pas à dépasser la barre des 1 000 exemplaires. De manière générale, les objectifs de vente pour les projets patrimoniaux se situent autour des 3 000 à 4 000 exemplaires.
  51. Notons que les collections «Classic» chez Taïfu et «Tezuka» chez Asuka/Kazé Manga ont été interrompues, en 2008 et 2007 respectivement.
  52. Soit Hanawa Kazuichi, Ishinomori Shôtarô, Kamimura Kazuo, Matsumoto Leiji, Ôtomo Katsuhiro, Shirato Sampei, Tezuka Osamu et Urasawa Naoki — auxquels il faudrait rajouter Koike Kazuo, scénariste de Lady Snowblood, et Takadera Akihito, dessinateur de La garde du sultan.
  53. Soulignons ici que l’on observe quasiment les mêmes tendances pour la collection «Vintage» de Glénat : 34 volumes en six ans d’existence, trois auteurs seulement (Ishinomori Shôtarô, le duo Chiba Tetsuya-Takamori Asao et Moto Hagio), et l’importance extrême de Ishinomori (20 volumes parus). On observe de plus le même pic en 2011 (avec 15 volumes), et un tarissement marqué de l’offre par la suite (3 sorties en 2013, aucune annoncée pour 2014). La principale différence avec la collection «Sensei» chez Kana est la présence de séries longues (13 volumes pour Ashita no Joe, 16 à date pour Cyborg 009).
Dossier de en octobre 2014