#TourDeMarché

de

(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

La semaine dernière, je vous avais parlé de typologies d’éditeurs. Pour le #TourDeMarché de cette semaine, on va essayer de regarder quelques chiffres, histoire de faire un rapide état des lieux du marché de la bande dessinée.
Dans le dernier rapport de l’ACBD publié en 2016, on peut lire : « 384 éditeurs occupent le marché du 9e art en 2016, mais seuls 3 puissants groupes et 12 autres importantes structures dominent l’activité du secteur, en totalisant 67,3 % de la production. » Ce nombre d’éditeurs n’a cessé d’augmenter depuis le premier rapport en 2000, où l’on en comptait « plus de 140 » même si la quasi totalité de la production était le fait d’une dizaine d’entre eux.
Si Gilles Ratier comptabilisait 384 éditeurs du côté de la production pour 2016, les données de GfK font état de 502 éditeurs qui auraient vendu une bande dessinée publiée en 2016. Mais d’une certaine manière, c’est normal : la réalité est toujours très compliquée. Tout dépend comment on détermine quels sont les éditeurs que l’on doit considérer. Pour Gilles Ratier, c’est un éditeur qui publie une bande dessinée sur le territoire francophone européen ; pour GfK, c’est un éditeur dont une bande dessinée a été achetée en France. Bref, ce sont en quelque sorte deux réalités différentes que l’on considère, et qui, naturellement, aboutissent à des résultats différents. C’est normal, et ce qu’il faut en retenir, au final, c’est qu’il y a beaucoup de maisons d’édition.
Sauf que (vous me voyez venir), c’est un peu plus compliqué que ça : il y a beaucoup de maisons d’édition, mais il y a aussi beaucoup de groupes d’édition, dont certains sont de véritables poids lourds. Ainsi, selon Gilles Ratier, en 2000, sur 1137 nouveaux albums, 747 (soit les deux-tiers) étaient publiés par l’un des six groupes éditoriaux suivant : Glénat, Média-Participations, Dupuis, Flammarion, Delcourt ou Soleil. Vingt-deux ans plus tard, les six sont devenus quatre : Média-Participations a absorbé Dupuis, Delcourt s’est offert Soleil, et Flammarion est tombé dans l’escarcelle de Gallimard (groupe Madrigall)… sans compter les créations et autres acquisitions réalisées durant la même période[1].

Ce genre d’évolution se retrouve ailleurs dans le monde culturel : du côté des médias, par exemple, on constate une concentration progressive autour de quelques grands pôles, ce qui entraîne des inquiétudes quant à la pluralité. Côté bande dessinée, la situation est un rien paradoxale : en effet, ces manœuvres d’achats et de concentration n’ont pas abouti à un marché dominé, comme le montre l’évolution des ventes et de la part de marché (en valeur) de ces « majors » (caveat : recomposer ces groupes à partir des maisons d’éditions individuelles est un vrai casse-tête[2], il est possible que j’en aie raté une ou deux dans l’histoire, donc graphiques donnés à titre indicatif).

Les raisons de cette évolution tiennent à plusieurs facteurs : d’une part, de grands acteurs du livre en général ont investi le marché de la bande dessinée. Il y a bien sûr Gallimard, mais aussi plus récemment, le retour d’Albin Michel. D’autre part, le manga a été l’opportunité pour de nouveaux entrants de s’établir solidement : Ki-oon, mais aussi Pika (racheté par Hachette), Kurokawa (émanation d’Editis) ou Panini (cf. point précédent).
Il ne faut pourtant pas minimiser l’importance de ces majors, notamment parce qu’une partie d’entre elles disposent d’une structure de diffusion et/ou distribution, véritable nerf de la guerre de la chaîne du livre. C’est le cas pour Média-Participations (avec MDS pour la distribution et Média-Diffusion pour la diffusion), Hachette, Madrigall (Sodis), Editis ou encore Delcourt (avec DelSol pour la diffusion, distribué par Hachette). Il s’agit d’une autre forme de concentration, appelée concentration verticale (qui consiste à chercher à contrôler toutes les étapes de la chaîne), qui s’oppose à la concentration horizontale (qui consiste à prendre le contrôle de ses concurrents directs).
Enfin, pour 2021, en valeur, voici la liste des principaux groupes d’édition de bande dessinée : Média-Participations, Glénat, Delcourt, Hachette, Madrigall, Bayard, Panini, Ki-oon, Bamboo et Editis. Ce top 10 contrôle 82 % des ventes globales.

Notes

  1. Autre élément à évoquer, le fait que l’on a eu quelques aller-retours au sein de ces grands groupes éditoriaux, souvent du fait d’auteurs majeurs décidant de prendre un temps leur indépendance. Outre les éditions Albert-René (récupérées par Hachette en 2008, puis à 100 % en 2011) et Marsu Production (qui est rentré dans le giron de Dupuis en 2013), on peut citer MAD Fabrik (fondé en 2010, réintégré chez Glénat en 2014) ou Graton Editeur (absorbé par Dupuis en 2020).
  2. En fait, chaque année, Livres-Hebdo publie à l’occasion de son dossier annuel sur le marché de la bande dessinée un camembert indiquant les parts de marché des grands groupes d’édition. J’aurais donc pu m’appuyer sur l’historique de ces parts de marché pour construire mon graphique. Sauf que la source de ces données a changé au fil du temps (Ipsos tout d’abord, puis GfK à partir de 2015, si ma mémoire est bonne). Bref, pour des raisons de cohérence des données, j’ai préféré faire ma propre tambouille, et d’assumer les erreurs éventuelles.
Dossier de en avril 2022