#TourDeMarché (2e saison)

de

(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

Vendredi revient, c’est donc #TourDeMarché et je me disais que ce serait l’occasion de se pencher sur un genre que j’écarte habituellement de mes analyses, à savoir la bande dessinée érotique. C’est parti !
Dans sa segmentation du marché, GfK dispose de deux catégories consacrées au genre : EROTIQUE (BD DE GENRES) et EROTIQUE (MANGAS). Pas de « EROTIQUE (BD JEUNESSE) » pour la production dite « pour adultes », c’est logique. mais pas de EROTIQUE (COMICS), ce qui est plus discutable… sachant que la question de savoir où se situe la frontière est toujours difficile à trancher, et que le processus régissant l’affectation des titres à telle ou telle catégorie n’a rien de limpide. Souvenez-vous : toute segmentation est imparfaite.
Bref, je ne peux m’empêcher de noter que l’intégralité des ouvrages de Ralf König ne sont pas classés en « EROTIQUE », alors que plus d’un millier de références de titres Yaoi/Yuri s’y trouvent (répartis en 366 one-shots, et 676 titres représentant 187 séries différentes — chiffres à valeur indicative seulement, basés sur un inventaire rapidement fait sur la base des classifications de Manga-News, mais qui permettent de « prendre la température », comme on dit). Je laisserai les spécialistes m’indiquer si Junjo Romantica, Given ou Citrus (pour se limiter au trio de tête de cette « catégorie » Yaoi/Yuri) relèvent véritablement de ce qualificatif EROTIQUE (MANGAS) ou pas… ou pourquoi Change 1, 2, 3 se retrouve dans cette catégorie, alors que La paire et le sabre est en SEINEN. Comme d’habitude, on est un peu contraints de « faire avec », mais il est toujours important de garder ces limites en tête.

Ces précautions d’usages étant prises, on peut maintenant se plonger dans l’analyse des données à notre disposition, en commençant par considérer le poids de ce segment particulier dans le marché global, sur la période 2003-2022.

On est donc, en moyenne, sur du 0,6 % de part de marché en volume et 0,7 % en valeur. Le sursaut que l’on observe en 2009 tient à la seule sortie du Happy Sex de Zep, ce qui me permet d’affirmer qu’à l’exception de cette année-là, la chair est triste, hélas. Cela représente un peu moins de 6 millions d’exemplaires vendus en 20 ans, et histoire de compléter cette vision d’ensemble, voici l’évolution historique du nombre de sorties, des ventes en volumes et du prix moyen constaté, avec le distinguo BD DE GENRES vs MANGAS.

Le rapport des forces est d’un tiers de BD DE GENRES pour deux tiers de MANGAS côté ventes en volume, avec un 50-50 pour les ventes en valeur, du fait d’un prix moyen plus bas côté MANGAS (8,4€) par rapport à la BD DE GENRES (16,7€). Par ailleurs, on note que le « boom » des MANGAS sur 2021-2022 bénéficie également à cette catégorie particulière, si « niche » soit-elle : suivant l’évolution du marché global, on note ainsi des ventes doublées côté MANGAS sur la même période. Si l’on met de côté cet impact conjoncturel, il faut constater que l’on a une production plutôt en augmentation (en particulier côté MANGAS), avec un marché globalement plutôt stagnant, ce qui n’est pas particulièrement rassurant.
Deux séries dominent très largement le segment : le Happy Sex de Zep pour la BD DE GENRES, et Step-Up Love Story de Katsu Aki pour les MANGAS, chacun représentant peu ou prou un ouvrage vendu sur six des ventes de leur sous-segment respectif. Ce n’est pas surprenant : si l’on considère tous les titres du segment parus sur les dix dernières années (2013-2022), leurs ventes moyennes s’inscrivent autour de 1300 exemplaires (médiane à 1000 ex)… bien en-deçà des 6600 exemplaires en moyenne pour l’ensemble du marché. Une des explications derrière ces performances peu reluisantes tient à l’aspect éphémère des mangas érotiques dans les rayonnages : seulement 29 % des références sorties sur la décennie passée étaient toujours commercialisées début 2023 (contre 70 % pour l’ensemble des MANGAS). A l’inverse, les BD DE GENRES érotiques semblent avoir une durée de vie comparable au reste du segment, avec 66 % des références encore disponibles après une décennie, contre 72 % pour l’ensemble du segment BD DE GENRES, soit un écart marginal.
Côté éditeurs, deux acteurs sortent du lot représentant chacun plus de 20 % des sorties sur le segment : Taifu Comics, qui contrôle un peu plus d’un quart des ventes en volume (28 %), et Boy’s Love à la performance plus mitigée (8 % des ventes en volume). Derrière, on trouve Dynamite (7 % des sorties, 4 % des ventes), Asuka (6 % des sorties, 10 % des ventes) et Delcourt (4 % des sorties mais 11 % des ventes, merci Zep). le spécialiste Tabou BD, avec 5 % des sorties, ne réalise que 2 % des ventes. Ce n’est pas la taille qui compte, dit-on.

Bref, la prochaine fois que quelqu’un vous dira que « le sexe fait vendre », vous aurez en main (si j’ose dire) tous les éléments pour nuancer cette affirmation.

Dossier de en mars 2023