Numérologie, édition 2012

de

Segmentation

Aujourd’hui, la majorité des observateurs s’accordent à segmenter le marché en considérant d’un côté le manga (englobant tout ce qui ressort de la production asiatique au sens large, et non pas la seule production japonaise), et de l’autre le reste de la production. Cette distinction se retrouve également sur les points de ventes, avec l’apparition ces dernières années de magasins spécialisés dans le manga, à l’exclusion de tout autre type de bande dessinée[1].
D’une certaine manière, la disposition des rayons correspondants à l’avant-dernier étage de la Fnac Montparnasse illustre bien la manière dont sont établies des filiations très différentes : d’un côté, on trouve le rayon manga à côté des DVD d’animation et des jeux vidéo, alors qu’à l’autre extrémité de l’étage, la bande dessinée jouxte les livres pour enfants.
Il est à noter que les deux instituts Ipsos et GfK ont également adapté leur discours à cet état de fait, détaillant dans leurs communiqués et dans leurs chiffres ces deux pans de la production. Au passage, remarquons que la bande dessinée asiatique (du fait de son importance économique sur le marché français) est la seule à connaître un tel traitement de faveur. Ainsi, bien que souvent considérée comme spécifique, la production anglo-saxonne (souvent désignée par le terme de comics) ne bénéficie pas au sein de ces deux instituts de catégorie dédiée[2] qui permettrait d’en suivre les évolutions, même si la progression observée ces dernières années pourrait apporter du changement à cet état de fait.
Tout au long de cette «Numérologie», nous essaierons de nous attacher à détailler en quoi cette segmentation est pertinente, et à analyser les spécificités des deux sous-catégories qu’elle discerne.

Le lectorat

«Pour tous les jeunes de 7 à 77 ans» — on peut s’interroger sur le rôle qu’a pu avoir le slogan du Journal de Tintin[3] dans l’apparent désintérêt qui entoure le lectorat de la bande dessinée, comme si la cause était déjà entendue. Ainsi, en dehors des deux études commandées à l’IFOP par le Festival d’Angoulême en 1994 et 2000, la bande dessinée ne fait son apparition qu’en 1997 au sein des enquêtes récurrentes sur les pratiques culturelles réalisées par le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du Ministère de la Culture et de la Communication. L’étude «La lecture de bandes dessinées»[4], dont les résultats ont été présentés pour la première fois à l’occasion de l‘édition 2012 du Salon du Livre de Paris, établit pour la première fois un état des lieux en profondeur, et dont les résultats restent encore largement à explorer[5].

Néanmoins, les premiers résultats publiés ont tout d’abord confirmé le panorama largement esquissé par les données jusqu’alors disponibles[6], laissant apparaître un lecteur-type de bande dessinée inchangé depuis près de vingt ans : jeune, masculin et éduqué.
«[…] les lecteurs actuels de bandes dessinées se recrutent prioritairement dans les milieux favorisés, tant au plan du diplôme que de la position sociale, et la lecture de bandes dessinées est fortement corrélée aux autres pratiques culturelles. Elle se distingue cependant de la lecture de livres par son caractère masculin — qui tend à s’estomper sans toutefois disparaître dans les jeunes générations — et par le lien privilégié qu’elle continue à entretenir avec l’adolescence en dépit d’un lectorat adulte relativement important dans les générations nées après-guerre.»

Comme observé déjà dans l’étude précédente «Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique» datant de 2008[7], le manga confirme son statut de lecture «jeune». C’est en effet sur la tranche des 11-14 ans que l’on observe les taux les plus élevés de lecteurs. On retrouve cette importance des 11-14 ans lorsque l’on considère globalement les populations de lecteurs, mais on observe également un point d’inflexion assez net autour de 40 ans — une caractéristique liée à l’introduction historique du manga en France.
À l’inverse, les plus âgés se montrent les plus attachés aux «albums traditionnels (bandes dessinées franco-belges et européennes)» ainsi qu’aux journaux d’humour que l’on peut leur rapprocher. Ainsi, ces deux catégories concentrent une large majorité des lectures (plus de 70 %) pour les lecteurs ayant passé la quarantaine.

Cette étude marque également une nouvelle étape dans le contexte d’érosion des pratiques de lecture en général, et qui s’étend à la bande dessinée. Alors que 34 % des Français de plus de 15 ans lisaient de la bande dessinée en 1994, ils ne sont plus que 29 % en 2008. On pourrait arguer qu’ils sont «toujours» 29 % en 2011, mais il faut fortement tempérer cette affirmation : en effet, les 11-14 ans sont de très gros lecteurs de bande dessinée (l’enquête notant que «90 % des 11-14 ans déclarent avoir lu des bandes dessinées au cours des 12 derniers mois») et tirent très certainement le taux global vers le haut[8]. En fait, en comparant les structures de lectorats de cette étude et de celle de 2008, on constate un recul net pour chaque tranche d’âge. En quinze ans (sur la période 1997-2011), on aurait ainsi perdu près d’un quart (-23 %) des lecteurs de bande dessinée, alors que la population française progressait de 8 %[9].

C’est sans doute là que réside la première révélation de cette enquête : non pas combien la bande dessinée serait «populaire» selon l’antienne connue, mais bien plutôt combien elle constitue «une pratique relativement peu investie qui compte beaucoup d’occasionnels» (à peine 9 % des Français seraient des lecteurs réguliers de bande dessinée) — et qu’en définitive, on abandonne souvent, «au point que presque un Français sur deux (47 %) se déclare ancien lecteur».
Cette désaffection commence d’ailleurs tôt («les trois quarts des abandons se produisent avant 25 ans») avec comme raisons invoquées d’abord la perte d’intérêt, puis le manque de temps. On peut alors s’interroger sur le rôle de l’image encombrante d’une bande dessinée perçue en premier lieu comme un divertissement (y compris par les lecteurs actifs), et comme généralement destinée à la jeunesse. Quarante ans après la création de L’écho des savanes et l’affirmation d’une production résolument adulte, 40 % des Français considèrent d’ailleurs toujours que «les bandes dessinées sont surtout faites pour les enfants et les jeunes».

L’étude permet aussi de relativiser la supposée «féminisation» du lectorat de la bande dessinée : alors que l’étude sur les pratiques culturelles des Français relevait 43 % de femmes au sein des lecteurs de bande dessinée, elles n’étaient plus que 38 % en 2011[10].

Enfin, les premières typologies de lecteurs réalisées dans le cadre de cette étude font apparaître des profils contrastés pour les différents secteurs, en particulier lorsque l’on s’intéresse aux «gros lecteurs» et aux «moyens lecteurs» (qui représentent respectivement 10 % et 35 % des lecteurs de bande dessinée, selon la typologie établie). De manière générale, on constate que ces deux catégories de lecteurs concentrent une part écrasante des lectures (autour de 90 % du total) pour l’ensemble des genres de bande dessinée, à l’exception des albums traditionnels pour qui les lecteurs les moins impliqués comptent pour un tiers. Par ailleurs, le manga ressort comme une lecture essentiellement du fait des «gros lecteurs», qui représentent à eux seuls 70 % des ouvrages lus.

Par extension, il est possible d’essayer d’estimer la taille de ces différents lectorats (au sein d’un pool global estimé à 17,3 millions de lecteurs), et d’y identifier la part la plus active. À nouveau, il en ressort un segment des albums traditionnels à l’assise la plus large (15 millions de lecteurs), devant le trio comics — romans graphiques — journaux d’humour (11,5 millions de lecteurs environ), et enfin le manga (9,3 millions de lecteurs). Les «noyaux durs»[11] conservent peu ou prou cette hiérarchie : 4,1 millions de lecteurs pour les albums traditionnels, environ 2 millions de lecteurs pour les comics et les journaux d’humour, et enfin autour d’un million de lecteurs pour romans graphiques et manga.

Volume et chiffre d’affaires

Si les chiffres communiqués par les deux instituts concurrents (Ipsos et GfK) font état de tailles de marché sensiblement différentes, l’un comme l’autre font état de tendances comparables sur les sept dernières années. Au global, le marché conjugue deux dynamiques opposées, se trouvant sur une pente descendante en volume, et enregistrant une progression inverse en valeur, porté par une appréciation notable du prix moyen. Cette situation paradoxale (d’un marché à la fois en retrait et en expansion) amène à questionner les tendances qui pourraient en être responsables, ainsi que la santé réelle du marché de la bande dessinée en France.
En détail, il apparaît que le segment du manga a terminé son installation sur le marché en 2008, et connaît un tassement depuis, dans un contexte de prix plutôt stables. Par contre, les ventes d’albums marquent un net recul en volume, compensé par une forte augmentation du prix moyen, dont semble dépendre la majeure partie de la progression du marché.

On notera cependant que l’augmentation du prix moyen pour le marché de la bande dessinée se situe nettement au-dessus de ce que relève l’INSEE pour l’évolution de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) sur le secteur de l’édition. Cette évolution est particulièrement nette pour les albums, qui ont vu leur prix moyen s’apprécier de près de 25 % en l’espace de sept ans. Il est fort probable qu’une partie de cette augmentation est à mettre sur le compte de l’introduction de nouveaux formats (roman graphique, intégrales) qui s’inscrivent sur des niveaux de prix plus élevés que ceux de l’album «traditionnel».

Sur la même période, le segment du manga fait preuve de plus de modération (+5 % pour Ipsos contre +9 % pour GfK) mais le doit surtout à un maintien des prix sur la période 2005-2007. Sur cette période, la croissance a été principalement portée par les séries shônen[12], dont les prix s’inscrivent au plus bas des grilles des éditeurs. Ainsi, jusqu’en 2007, Kana avait maintenu le prix de séries comme Naruto (qui représentait alors à lui seul un sixième du marché total du manga) à 5,95€. Début 2012, cette catégorie d’ouvrage est passée à 6,85€, soit une appréciation de 15 % en cinq ans. Cette évolution touche la plupart des éditeurs, dans des proportions diverses : Tonkam/Delcourt +22 %, Delcourt/Akata +17 %, Sakka +8 %, Glénat +6 %, et enfin +1 % pour Pika (ces deux derniers éditeurs ayant adopté une politique de prix plus élevés, avec dès 2007 une catégorie d’entrée à 6,40€ et 6,95€ respectivement).
Par ailleurs, la multiplication des versions «deluxe» (et plus chères) ainsi que l’introduction de catégories de prix élevées (de 15€ à 30€) chez la plupart des éditeurs ont également contribué, même de façon marginale, à cette appréciation des prix moyens sur le segment du manga.

La TVA à 7 %

Du 1er avril au 31 décembre 2012, la TVA appliquée sur le livre en France a connu une augmentation temporaire, passant de son taux habituel de 5,5 % à un taux majoré de 7,0 %. Ce facteur nous oblige à tempérer les évolutions du marché en valeur à la hausse (annoncé à +1,4 % par Ipsos, et à +0,7 % par GfK) : en effet, les deux instituts comptabilisant des sorties de caisse, leur estimation du marché se fait sur des prix TTC, qui incluent donc l’augmentation de la TVA. À taux constant et en prenant compte de la saisonnalité du marché, l’évolution à la hausse du chiffre d’affaire passe de +1,4 % à un très modeste +0,3 % du côté d’Ipsos, et de +0,7 % à -0,5 % pour GfK — remettant en question les notes d’optimisme que l’on a pu entendre au moment du Festival d’Angoulême à l’égard de la santé présumée de la bande dessinée.

Outre cette vision faussée de la performance réelle du marché en 2012, cette hausse de TVA a eu pour conséquence une hausse des prix «préventive» pratiquée par les éditeurs dès le premier janvier : sur la grille des tarifs diffusée par le SNE[13], on note une augmentation moyenne de +2,4 % des prix — très nettement au-dessus de l’évolution début 2011 à +0,9 %, et une grille 2013 à juste +0,1 %. Alors que l’augmentation médiane des prix sur la période 2008-2011 s’inscrit à 0 % (les évolutions de tarifs portant sur un nombre minoritaire de références), la médiane pour 2012 s’établit à +2,0 % — voyant 98 références sur 194 connaître une augmentation au moins aussi importante (et bien supérieure au +1,5 % lié au changement de TVA)[14].

Sur la période 2008-2013, les prix des références existantes ont ainsi augmenté de +5,5 % en moyenne (avec une médiane de +4,2 %). Le prix moyen des références introduites dans la grille sur cette période s’établit à 17,65€ — à comparer au prix moyen des références figurant sur la grille du 1er janvier 2008[15], soit 12,82€. Si l’on constate ici le rôle actif que peuvent avoir les éditeurs dans l’évolution des prix sur le marché de la bande dessinée (dans le cadre d’un marché régulé par la loi sur le prix unique du livre, dite «Loi Lang»), nous ne pouvons cependant pousser plus loin l’analyse, qui nécessiterait d’étudier la distribution de l’offre sur les différentes gammes de prix, et son éventuel glissement vers des prix plus élevés.

Le prix du papier

L’augmentation significative du prix du papier est l’une des explications souvent avancée pour justifier cette évolution des prix à la hausse. Si l’on trouve effectivement mention de l’augmentation du prix du papier dans la presse (cf. par exemple «Papier : les prix grimpent en flèche dans toute la filière» in Les Échos n°20690 du 3 Juin 2010[16]), il faut parfois tempérer les gros titres. Ainsi, dans l’article «La presse confrontée à la hausse du prix du papier» publié dans Les Échos n°20904 du 4 Avril 2011[17], on peut effectivement lire «Le prix du papier journal a subi une augmentation spectaculaire en début d’année : entre +14 % et +15 %, en fonction de la qualité du papier», avant de découvrir quelques lignes plus loin que «les prix avaient beaucoup baissé début 2010 : -18 % pour le papier journal, entre -10 % et -13 % pour le papier magazine, selon PAP’Argus. « On est revenu au prix d’il y a deux-trois ans », convient un éditeur.»
Le bilan économique 2010[18] de la COPACEL (Confédération Française de l’Industrie des Papiers, Cartons & Celluloses) dépeint une situation tout aussi ambigüe, avec des variations importantes des prix du papier — à la hausse, mais également à la baisse, tout au long de la décennie passée. Interrogé dans le documentaire Sous les bulles de Maiana Bidegain, Jean-Louis Lesaffre, PDG de l’une des plus grandes imprimeries du marché[19], confirme cet état de fait et affirme le peu d’importance du coût du papier sur le prix final du livre : «Le prix de l’album sortant de chez nous n’a pas arrêté de baisser — le coût du papier a même encore diminué cette année. Le coût du papier intervient à très peu de pourcents dans les albums.»
Prix-Papier

Diffusion/Distribution

L’étude du poids des différents circuits de l’achat de livres conduite depuis 1994 par TNS-Sofres (pour le Centre National du Livre et l’Observatoire de l’Économie du Livre) met en avant trois réseaux principaux : les librairies, les grandes surfaces culturelles, et les hypermarchés[20]. Au vu de l’évolution sur la période 1994-2010, il apparaît que la librairie a lentement mais sérieusement vu son importance décroître, au bénéfice des deux autres circuits.
Par ailleurs, si le réseau des grandes surfaces culturelles semble continuer à se renforcer ces dernières années, les hypermarchés marquent le pas après avoir atteint leur apogée sur la période 2005-2007[21]. Comme l’indiquait Livres Hebdo dans un article intitulé «L’hyper ne fait plus le fier»[22], cette évolution s’inscrit dans un contexte d’essoufflement du modèle de l’hyper, face auquel «les enseignes ont dégainé leur arme traditionnelle et ont fortement réduit linéaires, référencement et stocks».

Les données Ipsos relatives aux ventes de bande dessinée présentent une évolution similaire, enregistrant le décrochage de la grande distribution à partir de 2009, et montrant un renforcement continu des grandes surfaces spécialisées (GSS). Or, de par son fonctionnement, le réseau de la grande distribution joue un rôle d’amplificateur en se concentrant sur un faible nombre de références, mais en privilégiant les plus vendeuses du marché. Si ce réseau réagit positivement au succès, il est également impitoyable lorsque les performances commencent à battre de l’aile[23]).

On observe ainsi que si la grande distribution représente un volume de ventes stabilisé sur la période 2005-2008 (s’inscrivant autour de 10,5 millions d’exemplaires vendus chaque année), cela dissimule en réalité un rééquilibrage très marqué en faveur du manga (alors en pleine phase d’expansion) au détriment du reste de la production, qui ne cesse de voir ses ventes diminuer dans ce réseau depuis 2005. Le manga lui-même va faire les frais de son arrivée à maturité à partir de 2010, avec certainement un recentrage sur les titres les plus vendeurs : ainsi, la grande distribution reste le premier réseau de vente pour la série Naruto (qui y écoule en 2012 plus de 38 % de ses ventes totales en volume, contre 23 % pour le reste du segment manga), confirmant ainsi un positionnement sur les best-sellers[24].

L’impact de cette contraction de la grande distribution est immédiat sur le domaine de la bande dessinée «familiale», qui y trouvait là son principal débouché : par exemple, la série Boule et Bill de Roba voyait plus de la moitié de ses ventes se réaliser dans ce réseau, et l’on peut directement imputer au seul désengagement de la grande distribution la perte de 20 % du nombre d’exemplaires vendus par la série entre 2006 et 2011.
Pour les grandes séries franco-belges comme Blake et Mortimer, XIII ou encore Largo Winch, le même phénomène est à l’œuvre depuis 2006, mais se voit atténué par une moindre dépendance à la grande distribution pour leurs ventes (de l’ordre de 33 % à 40 %, en fonction des séries).
À l’inverse, et sans surprise, les œuvres «d’auteur» réalisent une part tout à fait marginale de leurs ventes dans la grande distribution. La série Quai d’Orsay de Christophe Blain et Abel Lanzac (Dargaud) a ainsi vendu deux fois plus d’exemplaires via Internet que dans la grande distribution — la large majorité de ses ventes se partageant entre les grandes surfaces spécialisées (48 %) et les librairies (39 %).

Cependant, il ne serait pas légitime de considérer le désengagement des hypermarchés comme principal facteur du recul des ventes des grandes séries franco-belges. D’une part, cette dynamique à la baisse des «locomotives» du marché est observable depuis le début des années 2000, soit bien avant la crise de l’hypermarché qui n’apparaît qu’après 2007. D’autre part, le renforcement observé sur le manga sur la période 2005-2009 ou encore l’investissement important sur The Walking Dead depuis 2010 prouve que la grande distribution continue à s’intéresser aux segments les plus porteurs du marché (c.-à-d. avec les rotations les plus élevées). Le désamour des hypermarchés envers les grandes séries franco-belges doit donc être interprété comme une sanction de leur performance défaillante, plutôt que comme la cause principale de cette dernière. Il est de plus indéniable que ce désengagement n’a fait qu’amplifier cette dynamique, dans un mouvement inverse de celui qui avait soutenu leur expansion auparavant.

Distribution et informatisation

Au cours des dernières années, l’informatisation massive des points de vente a généré des modifications profondes dans la gestion des commandes, avec des conséquences fortes sur l’évolution du marché. Bénéficiant désormais d’un historique précis des ventes d’une série, les libraires se sont mis à ajuster leurs commandes en fonction de la performance du dernier opus (généralement sur la base des ventes à 12 semaines), initiant de facto une spirale baissière.
Par ailleurs, la centralisation des achats pour certains groupes (portant à la Fnac sur les 1 500 titres qui «tournent le plus») a non seulement entraîné une réduction du nombre de références, mais surtout opéré une industrialisation du principe du «coup de cœur», jouant le rôle d’amplificateur du succès de certains titres[25], au détriment de la diversité des découvertes.
Cependant, dans un contexte de crise, il faut souligner la stabilité étonnante des grandes surfaces spécialisées, qui réalisent un volume de ventes de bande dessinée quasiment inchangé sur la période 2005-2012. Cette bonne gestion peut s’expliquer par une stratégie de mises en place faibles, afin de limiter les retours. Les diffuseurs sont d’autant plus prêts à accepter cette approche que la centralisation des commandes est censée assurer la réactivité des réassorts en cas de bonnes ventes.

Production

Après avoir culminé en 2007 à 34 millions d’exemplaires (selon Ipsos MediaCT), le marché de la bande dessinée a montré un tassement et est revenu au niveau du début des années 2000. L’observation des deux segments principaux montre des ventes d’albums en net recul, compensées un temps par l’installation du manga. Cependant, ce dernier marque le pas depuis un pic en 2008, entraînant la stagnation du marché sur ces dernières années.
Dans un tel contexte, il est frappant de noter combien le nombre de sorties annuelles s’est envolé, se trouvant multiplié par trois entre 2001 et 2012. Si cette progression est remarquable, elle s’inscrit néanmoins dans le cadre d’une augmentation globale de la production éditoriale : les chiffres-clés publiés par le Ministère de la Culture et de la Communication voient le nombre de livres publiés passer d’environ 42 000 titres en 1995, à près de 80 000 en 2010 (soit +90 % en quinze ans).
Cependant, considérer l’évolution de la production soulève un certain nombre de points méthodologiques : d’une part, la création ou l’arrivée de nouveaux éditeurs sur le marché de la bande dessinée génère une situation de périmètre variable ; d’autre part, les formats éditoriaux divers entraînent des volumes de productions différents mais également destinés à des fonctionnements commerciaux distincts et qui demandent donc à être analysés séparément.

Ainsi, les outils numériques de création du livre se sont largement démocratisés, et il est désormais tout à fait possible de produire un résultat professionnel, même au sein de structures amateures. De fait, une partie des publications qui ressortaient encore hier de la sphère des fanzines ou de l’auto-publication se retrouvent aujourd’hui injectées dans le circuit de diffusion/distribution, sans pour autant que leur contenu ou leur portée commerciale effective n’aient fondamentalement changés. Une partie de l’inflation constatée par Gilles Ratier dans ses bilans annuels pourrait donc être mis sur le compte, non pas d’une augmentation effective de la production, mais du simple déplacement d’une partie de celle-ci d’un circuit du marché vers un autre.

Concernant les nouveautés, les deux segments traditionnellement identifiés présentent des évolutions très contrastées. Le segment des albums fait état sur les douze dernières années d’une progression remarquablement linéaire, le nombre de ses sorties augmentant chaque année d’environ 140 titres. Par ailleurs, le segment du manga montre une forte augmentation (de l’ordre de +36 % annuels) du nombre de ses sorties jusqu’en 2006, date à laquelle la production s’est stabilisée autour de 1 500 nouveautés annuelles.
On retrouve dans ces différences d’évolution l’expression des deux modèles éditoriaux. Pour les albums, le rythme de sortie annuel voit (théoriquement) les nouveautés se reporter à l’identique l’année suivante, entraînant une évolution linéaire. Sur le segment du manga, l’installation de nouvelles séries se double de l’arrivée de nouveaux entrants majeurs[26] sur la période 2003-2006, d’où une multiplication des sorties et une progression géométrique[27].

Le poids des grands groupes

Malgré l’augmentation notable du nombre d’éditeurs (qui a presque doublé en dix ans), on constate que pour ce qui est des nouveautés, le poids des entités qui constituent aujourd’hui les quatre principaux groupes d’édition (Média-Participations, Glénat, Delcourt et Flammarion) n’a pas beaucoup varié depuis 2006, s’établissant pour les deux segments autour d’une position moyenne de 42 %.
Face à l’érosion des grandes séries classiques sur lesquelles ils avaient construit leur assise, les principaux groupes d’édition ont donc réagi en augmentant le nombre de sorties, en espérant ainsi compenser ces ventes défaillantes. L’examen détaillé de la performance de chacun de ces groupes (voir plus loin) met en évidence une sorte de spirale infernale : plus forte est la baisse des ventes, et plus importante est l’augmentation de la production.

Deux phénomènes structurels ont accompagné et facilité cette dynamique de «course en avant». Tout d’abord, la professionnalisation des éditeurs et des directeurs de collection a entériné le besoin d’alimenter, bon an mal an, un catalogue. Cette dérive inflationniste a de plus été soutenue et amplifiée par la fluidification progressive de la chaîne de production (communication par mail, auteurs réalisant eux-mêmes leurs scans, les processus «CtP[28]» en imprimerie). Là où les journaux de prépublication instauraient de facto une limite du fait de leur pagination, le déplacement du marché de la bande dessinée sur le vecteur «livre» a supprimé la plupart des éléments «mécaniques» encourageant à la modération.
Il faut cependant reconnaître que ces trois dernières années ont connu un relatif ralentissement de cette dynamique, avec l’esquisse d’une stabilisation de la production des grands groupes, en particulier au niveau de la création. On a ainsi relevé plusieurs situations où l’éditeur préférait rendre leurs droits aux auteurs, plutôt que de publier des livres dont le potentiel était considéré comme trop limité ou risqué.

Ensuite, il est essentiel de mentionner le système de l’office qui s’est systématisé ces dernières années. Ce système consiste en l’envoi automatique et régulier de nouveautés de la part de l’éditeur au libraire, sur la base d’un accord préalable avec le diffuseur. La souscription s’accompagne généralement pour le libraire de conditions commerciales avantageuses ainsi que la faculté de retour des ouvrages invendus (à la charge des éditeurs[29]) jusqu’à un an après leur mise en vente. En contrepartie, les éditeurs y trouvent l’assurance d’une certaine visibilité pour leurs ouvrages.
En pratique, le libraire est facturé à la réception des livres, mais son délai de paiement est plus court que le délai minimum durant lequel il est autorisé à renvoyer les invendus de l’office (et donc remboursé des retours). Cette situation est bien sûr avantageuse pour les éditeurs ou leur distributeur[30], puisqu’elle implique que c’est principalement sur les libraires que repose l’effort de trésorerie. De plus, elle aurait naturellement tendance à encourager une croissance du nombre de nouveautés (afin d’alimenter une situation de flux).

La question de la surproduction

C’est, semble-t-il, l’une des caractéristiques de l’évolution moderne des industries culturelles : l’augmentation forte (exponentielle, même) du nombre d’œuvres disponibles, quel que soit le domaine. Du côté de la bande dessinée, ces dernières années, on a souvent évoqué la question de la surproduction, la plupart du temps pour la désigner comme seule responsable de la situation actuelle du marché[31]. Indicateur de vitalité pour certains, et signe annonciateur de l’Apocalypse pour d’autres, le comptage annuel de Gilles Ratier sert régulièrement de résumé un peu rapide à une situation complexe.
À ce stade, il paraît important de rappeler que les 5 865 livres de bande dessinée répertoriés par le bilan de l’ACBD pour la seule année 2012 sont loin d’être égaux entre eux. Non seulement il existe des disparités importantes au niveau des tirages des ouvrages, mais qui plus est, les diffuseurs avec qui travaillent les «petits» éditeurs[32] n’ont pas le même poids, ni la même couverture que les structures dédiées mises en place par les grands groupes[33]. Il en résulte que la charge «effective» des nouveautés sur les réseaux de distribution (et donc sa contribution supposée à la surproduction) est sans commune mesure entre les productions des petits éditeurs (avec généralement des tirages modestes) et celles des plus grands.

Afin d’illustrer cet état de fait, prenons un exemple très simplifié de la situation. Si 50 micro-éditeurs publient chacun trois livres, tirés à 1 000 exemplaires (ce qui n’est pas irréaliste), cela représente une «charge» pour la distribution de 150 000 ouvrages. Si l’on considère par ailleurs le groupe Flammarion (sixième groupe d’édition au nombre de sorties selon Gilles Ratier), ses 150 nouveautés tirées à 6 000 exemplaires en moyenne (pour faire une cote mal taillée) représentent pour l’année une «charge» de près d’un million d’ouvrages. On voit tout de suite comment, à volume de sorties égal (150 nouveautés dans chaque cas), la «charge» sur le réseau de distribution/commercialisation, soit la fameuse «surproduction», n’a strictement rien à voir entre les petits éditeurs et les gros. Dans cet exemple un peu caricatural, les micro-éditeurs représentent 50 % des sorties (ce qui est énorme), mais tout juste 14 % des exemplaires présents en rayon.

Dans la réalité, on constate de plus que la plupart des libraires ne travaillent qu’avec une partie des diffuseurs, limitant par là-même l’étendue de l’offre qu’ils doivent accueillir dans leurs rayons. Afin de pouvoir juger de l’éventuelle surproduction, il faudrait donc pouvoir disposer d’indications portant sur la «distribution numérique» (DN), quantité qui mesure pour chaque produit à quelle part du réseau de diffusion il a accès[34].
En l’absence d’une telle information, les renseignements pris sur le terrain indiquent que comme on peut s’y attendre (et en dehors de quelques libraires «militants»), ce sont généralement les «petits» diffuseurs que l’on écarte, au profit des diffuseurs rattachés aux grands éditeurs qui, malgré un contexte global morose, continuent à générer la majeure partie des best-sellers et des ventes.
De fait, s’il y a «embouteillage» dans les rayons des librairies, il est plus à mettre au compte des grands éditeurs, qui s’adaptent au contexte de rotation accrue des titres[35] en augmentant leur présence dans le réseau de distribution afin d’en maximiser l’exposition. Certains vont même jusqu’à utiliser des «offices sauvages», en livrant aux libraires des livres qu’ils n’ont pas commandés pour leur forcer la main.

On peut enfin s’interroger sur le rôle de la multiplication des éditeurs de taille moyenne dans la réalité de cette surproduction. Avec des tirages et des moyens commerciaux s’approchant de ceux des grands groupes établis, parfois appuyés à des maisons d’édition traditionnelles, ils représentent pour les libraires une charge accrue bien plus importante que la production des éditeurs alternatifs.
On constate d’ailleurs que l’érosion des parts de marché des quatre principaux groupes d’édition (et, dans une moindre mesure, de leur poids dans la production globale) est principalement due à la montée en puissance d’un peloton constitué de neuf éditeurs, mélange de nouveaux entrants (Ki-oon, Asuka/Kazé, Ankama, Kurokawa et 12bis) et d’éditeurs plus anciens mais renforçant leur offre (Bamboo, Clair de Lune, et surtout Hachette via l’acquisition de Pika début 2007). Au global, sur la période 2004-2012, le poids de ces éditeurs de premier et de second rang demeure stable – contrôlant environ 90 % des ventes en volume, et fournissant les deux tiers de la production.
Cette apparente stabilité est démentie par les listes des plus gros tirages fournies par Gilles Ratier dans ses rapports annuels, qui mettent en évidence une situation d’intensification de la pression sur les libraires. Si les quatre principaux groupes d’édition ont augmenté le nombre de leurs titres bénéficiant de tirages initiaux importants[36] sur la période 2004-2011 (passant d’une centaine à près de 160), le volume représenté par ces titres est resté globalement inchangé, autour de 13 millions d’exemplaires. Au contraire, la multiplication des titres à fort tirage initial chez les neuf éditeurs de second rang (passant de 6 à une quarantaine sur 2004-2011[37]) représente aujourd’hui pour ces seuls titres une charge supplémentaire de 2 à 3 millions d’exemplaires arrivant en librairie chaque année.

Notes

  1. On notera cependant que ces boutiques embrassent une sorte de «culture manga», et proposent souvent des ouvrages ayant trait à des aspects aussi divers que la mode, la cuisine japonaise et les dessins animés.
  2. Du moins, pas au sein des outils de suivi global du marché. Des analyses spécifiques sur le segment sont néanmoins possibles, et donnent parfois lieu à des commentaires spécifiques.
  3. Introduit par Raymond Leblanc (fondateur du magazine) dans le numéro du 19 octobre 1950 pour son incarnation belge, la version française lui engageant le pas le 6 octobre 1955.
  4. Réalisée en mai et juillet 2011 par TMORégions, cette enquête a été lancée par la BPI et le DEPS, avec le soutien de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image, et a mobilisé un panel de 4580 personnes âgées de 11 ans et plus, ainsi que de 401 enfants âgés de 7 à 10 ans. Cf. Christophe Evans & Françoise Gaudet, «La lecture de bandes dessinée», mars 2012, disponible en ligne.
  5. Cette étude sera au cœur de la 7e université d’été de la bande dessinée (organisée en juillet 2013 par la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image, en partenariat avec le Laboratoire des Sciences de l’Information et de la Communication de Paris 13, les Espaces Humains et Interactions Culturelles et le Groupe de Recherche et d’Études Sociologiques du Centre Ouest de l’université de Limoges et la Bibliothèque publique d’information), dont le sujet sera «quels lecteurs, quelles lectures ?».
  6. Soit le chapitre consacré à la bande dessinée dans les études récurrentes concernant les Pratiques Culturelles des Français (conduites par le Ministère de la Culture et de la Communication en 1973, 1981, 1988, 1997 et 2008), auxquelles il faut rajouter deux études réalisées par l’IFOP pour le compte du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême : Qui a peur de la bande dessinée ? (IFOP, 1994) et La BD et les Français : comportements et attitudes (IFOP, 2000).
  7. Dont l’ensemble des résultats est consultable en ligne.
  8. En prenant en compte la pyramide des âges de la population française, nous estimons à 25 % la part des lecteurs actifs de bande dessinée (c.-à-d. ayant lu des bandes dessinées durant les derniers mois) parmi les Français de plus de 15 ans. Soit effectivement un nouveau recul par rapport aux chiffres de l’enquête réalisée en 2008.
  9. En se limitant aux personnes âgées de 15 ans et plus, et en prenant en compte les évolutions de la population relevées par l’INSEE, disponibles en ligne.
  10. … alors même que l’étude 2011 considérait les lecteurs de plus de 7 ans, contrairement à l’étude de 1997, qui ne portait que sur les lecteurs âgés de 15 ans et plus.
  11. Arbitrairement fixé à la part des lecteurs les plus actifs réalisant 50 % des lectures du secteur donné.
  12. Publications destinées aux adolescents masculins. Le système éditorial japonais utilise une large gamme de classification des lectorats : shônen donc, mais aussi shôjo (adolescentes), josei (jeunes femmes), seinen (adultes), etc.
  13. Disponible en ligne.
  14. Au total, ce sont ainsi 153 des 192 références qui connaissent une augmentation au premier janvier 2012, dont 118 avec une hausse supérieure ou égale à 1,5 %. En comparaison, seules 7 références ont connu une augmentation au premier janvier 2013.
  15. Nous ne disposons pas de grille de prix antérieure à celle-ci, nos demandes auprès du SNE n’ayant pas reçu de réponse.
  16. Disponible en ligne.
  17. Disponible en ligne.
  18. Disponible en ligne.
  19. Basée à Tournai en Belgique, l’imprimerie Lesaffre annonce imprimer plus de cinq millions d’albums de bande dessinée par an. Voir le site de l’entreprise en ligne.
  20. Comme indiqué précédemment, nous ne nous intéresserons pas au réseau particulier des clubs et de la vente par correspondance, qui n’est pas couvert par les deux instituts (Ipsos et GfK) et pour lequel nous ne disposons d’aucune donnée de ventes.
  21. Cette évolution se retrouve également dans les données relevées par Ipsos sur le marché du livre, et publiées dans Livres Hebdo à l’occasion des bilans annuels.
  22. Cécile Charonnat, «L’hyper ne fait plus le fier», Livres Hebdo n°879, 30 septembre 2011.
  23. Soit en termes techniques : «À la recherche de l’optimisation maximale de la rentabilité, elles suppriment les plus faibles rotations et optent pour la massification.» (Livres Hebdo, ibid.
  24. Le cas de la série The Walking Dead (indéniable succès éditorial) illustre également cette stratégie de la grande distribution : alors qu’en 2010, les ventes de la série en hypermarché ne représentaient que 4,5 % de ses ventes totales, en 2012 ce ratio s’élevait à plus de 11 %, grâce à des ventes multipliées par huit en deux ans.
  25. Les performances de Blacksad, Quai d’Orsay ou encore La Planète des Sages sur la période 2010-2011 relevant probablement de cette dynamique
  26. Soit Asuka (depuis devenu Kazé), Taïfu et Ki-oon en 2004, Kurokawa (appartenant au groupe Univers Poche) en 2005 et enfin Doki-Doki (label de Bamboo) en 2006. Fin 2006, la totalité des acteurs principaux du segment du manga sont en place.
  27. Une suite géométrique est une suite de nombres dans laquelle chaque terme permet de déduire le suivant par multiplication par un coefficient constant appelé raison. La progression géométrique se retrouve par exemple dans l’évolution d’un compte bancaire à intérêts composés.
  28. Le «Computer to Plate» (littéralement «ordinateur vers plaque») est un processus qui permet de créer directement les plaques destinées aux presses à partir d’un fichier informatique. Il supprime l’étape du flashage (processus «Computer to Film» ou CtF) qui consiste à isoler à partir d’un fichier informatique des films destinés à la fabrication des plaques.
  29. Le libraire reçoit des avoirs sur les comptes gérés par les distributeurs pour financer ses prochains approvisionnements.
  30. On notera que la plupart des grands groupes disposent de leur propre structure de diffusion : DDL pour Média Participations, DelSol pour Delcourt, Glénat Diffusion pour Glénat, etc.
  31. Avec des accents de «la surproduction, c’est les autres», où chaque éditeur jurait, la main sur le cœur, qu’il faisait des efforts alors que ses concurrents se montraient déraisonnables. Ainsi, début 2009, dans le dossier annuel de Livres Hebdo, Philippe Ostermann (directeur général de Dargaud) semblait d’ailleurs effaré : «Je ne comprends même pas comment on peut sortir autant de livres.» On peut se demander s’il ne s’agissait pas d’un questionnement des plus personnels, puisqu’en l’espace de deux ans (de 2006 à 2008), la production de Dargaud venait d’augmenter de 50 %. Pour référence, sur la même période, le marché global comptabilisait seulement 15 % de titres en plus.
  32. Feu Le Comptoir des Indépendants mais aussi Makassar, La Diff, voire Harmonia Mundi et Belles Lettres Diffusion. Liste bien sûr non exhaustive.
  33. DDL Diffusion, DelSol, Glénat Diffusion, Flammarion Diffusion, pour ne citer que celles des quatre plus grands groupes d’édition de bande dessinée.
  34. Le pendant de la «distribution numérique», la «distribution en valeur» (DV) affine cette analyse en rapportant aux ventes globales les ventes réalisées par les points de ventes où le produit est disponible. Si la distribution numérique permet de juger de la visibilité d’un produit, la distribution en valeur permet de jauger de son positionnement sur les points de vente à fort potentiel.
  35. Rotation que l’on peut constater dans la constitution des Top 50 annuels publiés par Livres Hebdo. Pour la période 2001-2004, environ 20 des 50 meilleures ventes ressortaient du fonds. Depuis 2007, on est tombé à 11 titres sortis avant l’année en cours au sein des 50 meilleures ventes, signe d’une prime accrue à la nouveauté.
  36. Pour cette analyse, nous nous sommes limités aux titres dont le tirage initial annoncé est supérieur à 35 000 exemplaires, afin de considérer des périmètres comparables. Les listes proposées par Gilles Ratier (déclaratives, mais également parcellaires) montrent en effet des disparités quant à l’éventail des tirages initiaux considérés. Nous avons également écarté de cette analyse les sorties exceptionnelles de la série Astérix, dans le giron du groupe Hachette depuis 2008.
  37. On notera que la contraction de l’année 2012 touche dans de mêmes proportions les éditeurs de premier et second rang, qui accusent une diminution de l’ordre de 20 % du nombre de titres à fort tirage initial. Cependant, il faut souligner à nouveau ici le fait que les listes de tirages publiées par Gilles Ratier ne sont en aucun cas exhaustives. Ainsi, si la production des grands groupes y est a priori bien couverte, on note que les éditeurs de second rang n’y sont pas toujours présents (comme par exemple Asuka/Kazé Manga, cités uniquement en 2008 et 2011), minimisant ainsi leur contribution dans notre analyse.
Dossier de en mai 2013