Fragments, bande dessinée

de

Fr. 45. Plier-bagage, « l’eau se divise et tombe en poussière, et lorsqu’on s’approche un peu trop de ce nuage, sans s’apercevoir d’abord qu’on se mouille, à l’instant on est tout trempé. » (J.-J. Rousseau — Les Confessions).

Fr. 46. DoubleBob, Base/Zone, polarisation Schrödinger : « ils sont tous morts » / « personne ne meurt ici ». De l’entre-deux intensif, creuset virtuel, jaillissent les semailles de facettes, ficelles, pétales, flaques, moignons, gouttes, fumerolles, canines, nuages, molaires, bandages, herbes, allumettes et bâtonnets, dont mes trois mains sous ton dos brisé et nos corps tournicotant revendiquent, intègrent et diffusent toutes les impropriétés. « nique le passé » / « brûle le futur », ce qui se découpe, improduit, et pullule, vivace, au présent de la nuée de traces : abris éphémères et techniques de guérilla.

Fr. 47. Comment « s’identifier à un personnage » quand une image, un mot, un fragment signale toujours distance, absence, rapport fracturé et fracture de tout rapport ?

Fr. 48. On ne s’identifie pas à un personnage, on identifie un personnage.

Fr. 49. Mise au pas, cadence, une lecture de fragments, repérage des caractères fixes, le catalogue en surplomb, gloire au catalogue, facilite la tâche, peser, comparer, classer, identifier, la besogne ingrate, le terrible ennui, la lecture…, combler la distance, farcir l’absence, pelletées d’espoirs piteux, une intime conviction, la proximité à portée de pelles, le gain, cadenasser ce qui s’ouvre et ouvre et fracture, te fracture, fatigue, que règne l’ordre, règne la communication sans pertes, la communication sans failles, la raison, la logique, la sensible, la compréhensible, la naturelle, la qui coule de source, l’émouvante, collaborer, ne pas fléchir, y croire dur comme fer — « s’identifier à un personnage ».

Fr. 50. Instaurer le vaste corps unique et plein, communiquer le signe qui est l’image qui est le mot qui est je qui est nous qui est réel vaporisé : toute une politique, rien qu’une politique.

Fr. 51. « Communiquer la matière », c’est la détruire.

Fr. 52. Intrusif, le foliotage distrait, aimante l’œil, perturbe physiquement le rapport à la planche. La page, hostile à ce qu’elle recueille, intrigue le vide intensif ; la planche manque de s’effondrer sur elle-même, et d’emporter l’œil. Excessives les marges, exagéré le fond, rupture, le vide élargi où la planche surnage, isolée. Chaque planche de The Jew of New York est cet espace clos rescapé interrogeant sa survivance : tout menace de disparaître, et le regard de fondre, dans le gris topographique des tailles d’esquisse, des nuances du lavis, d’un chuchotement sans origine destiné à nulle oreille. Effets structurants équivoques, tout (se) discrimine autant qu’il (s’)abolit, (se) forme et (se) défait, mouvement paradoxal sans clôture, plier-bagage. Les traces relaient les trajectoires des événements tombant hors-mémoire, présences absentes disposant la main et l’œil au vertige des trouées asignifiantes. Accidents solitaires, singuliers multiples initiés au fond sans fin des trouées, une nuée de fragments disloque les harmonies illusoires qui, depuis le langage, depuis l’image, organisent l’opération narrative d’extinction massive. La New York de Ben Katchor n’apparaît ni ne disparaît jamais, mais fait retour — recherche d’une sépulture décente.

Fr. 53. Rien d’un objet puisque le fragment est trace d’un passage et recherche de sa sépulture (et tant va Gilbert Hernandez à l’os qu’il le brise).

Dossier de en juin 2017