Numérologie 2014

de

Numérique

«Les éditeurs historiques de bande dessinée s’intéressent de plus en plus à la BD numérique, mais se posent des questions sur la viabilité du secteur, de la question des droits d’auteurs et du partage de la valeur.» [sic]

— Présentation de «La BD numérique cherche son modèle», Pixel,
sur le site de France Culture, 5 avril 2013

Si la présentation faite par GfK en février 2013 du le marché des loisirs numériques[1] met en lumière une progression encore lente du livre numérique en France au regard de la situation aux États-Unis, l’évolution des ventes de tablettes ou de liseuses ainsi que le changement des attitudes des Français face au livre numérique confirment le décollage prochain de ce qui n’est encore qu’un marché de niche (0,6 % du marché global du livre en valeur).

Dans son imposante «histoire de la bande dessinée numérique française»[2], Julien Baudry identifie la période 2009-2010 comme le début de la formation d’un marché, et comme aboutissement d’un cycle qu’il résume ainsi :

[…] phénomène marginal et expérimental avant 2004, antichambre de la bande dessinée papier pour faire émerger sur Internet de jeunes talents entre 2004 et 2009, la bande dessinée numérique semble s’émanciper de plus en plus de sa vénérable aînée papier. Son émancipation passe par trois phénomènes parallèles et par ailleurs nullement contradictoires, qui touchent respectivement à la formation d’un marché de la bande dessinée numérique, à la prise de conscience par les auteurs et les éditeurs des problèmes posés par l’exploitation numérique des œuvres, et à des évolutions théoriques et esthétiques qui déterminent la bande dessinée numérique comme une pratique artistique à part entière, avec ses propres normes et ses propres logiques.

Pendant un temps, la méthode en vigueur pour les auteurs était de s’appuyer sur la notoriété d’un «blog BD» en accès gratuit pour attirer l’attention d’un éditeur, et se rémunérer alors sur sa déclinaison papier. Dans cette configuration, l’éditeur limitait sa prise de risque en publiant des talents au public déjà établi. Ce modèle continue de fonctionner aujourd’hui, sous les mêmes modalités.
Les expériences de «crowdfunding*» comme Manolosanctis[3] ou My Major Company BD ont d’ailleurs essayé de transformer cette dynamique organique en un business model efficace. Le bilan en est assez peu concluant, tant au niveau des ventes qu’au niveau des titres qui y ont vu le jour. Visiblement, ce modèle économique a priori attractif pour l’opérateur (dont l’investissement se limite à la plateforme elle-même) se montre beaucoup moins efficace en tant que modèle éditorial.

Certains éditeurs démontrent par ailleurs leur méconnaissance profonde de ces nouvelles formes d’interaction, comme par exemple avec l’opération lancée par Dupuis sur My Major Company BD en septembre 2012 pour la sortie du dernier Largo Winch, Colère Rouge. «À l’occasion de la sortie de son 18ème tome, Dupuis et l’équipe artistique de Largo Winch s’adressent aux fans pour les remercier de leur fidélité !» pouvait-on lire en guise de résumé sur la page en question, qui proposait tout simplement aux fans de… préfinancer eux-mêmes la campagne marketing du lancement de l’album.
D’autres éditeurs (pour la plupart de la sphère «alternative») font désormais appel au crowdfunding* comme moyen de lever des fonds pour la réalisation d’un ouvrage hors norme (comme ce fut le cas pour le 286 jours de Frédéric Boilet et Laia Canada aux Impressions Nouvelles), ou afin de financer un aspect de la vie de la structure éditoriale elle-même (comme par exemple le déménagement des éditions Cornélius à Bordeaux). Ces opérations apparaissent comme plus cohérentes avec la démarche souvent militante de ces éditeurs, démarche qui trouve un écho dans l’implication de la communauté de lecteurs, devenus alors pleinement participants de l’aventure.

De manière générale, il faut reconnaître que les éditeurs semblent ne pas vraiment savoir quoi faire d’Internet. Cela se retrouve depuis les déclarations de leurs directeurs (où se fait sentir souvent une maîtrise plus que défaillante des aspects techniques) jusqu’à leurs sites web, souvent réduits à un simple catalogue interactif. Si ce dernier est parfois agrémenté de quelques planches extraites des ouvrages considérés, c’est en réalité sur le site BDGest que l’on trouvera les Previews les plus complètes. Sur les réseaux sociaux, la communication se fait sur le mode de la fausse connivence, mais la langue de bois corporate n’est jamais bien loin.
Il faut néanmoins souligner l’intérêt de deux initiatives soutenues par des éditeurs alternatifs. D’une part, le projet Grandpapier.org de la maison d’édition belge L’employé du moi propose depuis 2007 une plateforme de publication et d’expérimentation gratuite à l’usage des auteurs, qui s’est enrichie depuis d’une émission radio mensuelle. D’autre part, ego comme x propose depuis le début 2011 une collection de livres «imprimés à la demande» uniquement disponibles sur Internet. Cette approche s’accompagne également de la mise en ligne de livres épuisés ou considérés comme importants, offerts gratuitement à la lecture.
Dans l’un et l’autre de ces deux cas, Internet est considéré comme un espace où peut se développer une nouvelle relation avec le lecteur, et non pas comme une simple extension de marché à occuper.

Si tous les grands éditeurs disposent désormais de leur «pôle numérique», avec leur spécialiste attitré[4], les résultats concrets (si l’on peut dire) de ces initiatives sont toujours attendus — à l’exception du seul «3″» de Marc-Antoine Mathieu (publié en septembre 2011)[5] et de l’expérience Spirou.Z[6] chez Dupuis.
De leur côté, les auteurs (souvent très familiers de technologies qu’ils utilisent quotidiennement dans leur travail) ont multiplié les initiatives visant à valoriser un contenu avant tout numérique : Les autres gens, 8comix.fr, BDNag, La Revue Dessinée, Mauvais Esprit, Professeur Cyclope, etc. Si certains projets visent la gratuité et une rémunération par la publicité, beaucoup optent pour une base d’abonnement payant. On constate d’ailleurs à ce sujet une réelle préoccupation d’un prix «raisonnable», par rapport à des livraisons régulières conséquentes. L’édition papier des Autres gens, série orchestrée par Thomas Cadène, illustre bien cette situation : chaque mois d’abonnement à 2,79€ se retrouve aujourd’hui publié chez Dupuis en un recueil de 220 pages[7] vendu 15,50€.
Cette politique de prix n’empêche pourtant pas ces projets (qui mobilisent des équipes de taille réduite) de trouver un équilibre commercial, en s’appuyant sur des communautés d’abonnés peu nombreux[8] (au regard des chiffres de vente de l’édition papier) mais très impliqués. On trouve ici l’illustration en action de la théorie des «1000 vrais fans» proposée par Kevin Kelly en 2008[9].

Cette situation met en exergue l’écart qui existe aujourd’hui entre des éditeurs pour qui le numérique ne représente qu’une nouvelle modalité d’exploitation d’un catalogue existant, et des auteurs qui y voient un nouveau domaine de création encore à conquérir. Ironie du sort, c’est un éditeur américain, Marvel, qui a engagé en mars 2012 le Français Balak, expérimentateur connu sur la scène de création numérique pour son «Turbomédia», en tant que consultant sur le développement de leur offre numérique Marvel Infinite Comics.

Plateformes

«On savait qu’un jour ou l’autre allait débarquer un géant américain avec la volonté de nous dire comment vendre de la BD, à quel prix et quand. Cela rend d’autant plus nécessaire le regroupement des éditeurs francophones de BD sous une même bannière, comme nous avons commencé à le faire avec Izneo.»

— Claude de Saint Vincent, directeur général de Média-Participations,
in Cédric Pietralunga, «Amazon s’attaque au marché de la BD»,
Le Monde, 11 avril 2014

Ces dernières années, l’investissement des éditeurs de bande dessinée sur le numérique s’est principalement attaché à l’exploitation du catalogue existant, ce que certains désignent sous le terme de «bande dessinée numérisée» (par opposition à une «bande dessinée numérique», qui relèverait de la création). Principalement destinée aux téléphones portables lors des débuts, elle s’étend également aujourd’hui aux ordinateurs et tablettes.
Du point de vue du lecteur, aujourd’hui encore, le système présente plus d’inconvénients que d’avantages. Si les prix, au départ sensiblement identiques au papier, ont depuis fortement baissé, cette offre représente essentiellement un produit dégradé : portabilité limitée (car souvent restreinte à l’écran d’ordinateur), pérennité non assurée (car basée sur un service de location), qualité pas toujours au rendez-vous, navigation malaisée… sans compter l’éclatement de la collection sur plusieurs services, l’impossibilité de prêter son exemplaire et autres avantages que présente la version physique.
Se rajoute enfin à ces différents aspects l’étendue de l’offre, qui reste encore très limitée au regard de tout ce qui existe au format papier[10].

Pour expliquer cette lenteur dans sa mise en place, les éditeurs invoquent souvent des questions de coûts[11] — certains dirigeants se perdant alors dans des explications bancales dont on ne sait si elles reflètent une compréhension approximative des enjeux ou si elles visent à embrouiller l’auditoire[12]. Dans un contexte de dialogue pour le moins tendu avec les auteurs autour de la question des droits numériques (et la rémunération qui y serait attachée), on imagine bien qu’il ne s’agit pas de lâcher quoi que ce soit qui puisse appuyer les revendications de l’autre bord.
Cependant, un autre aspect peut expliquer la relative lenteur de la mise en place de l’offre légale par les éditeurs. En effet, cette offre numérique[13] se pose en concurrente de l’offre papier, et met les éditeurs face à un choix cornélien : investir sur l’avenir en risquant de fragiliser les revenus actuels, ou bien sécuriser ces derniers en attendant le développement du marché numérique. Notons que c’est cette attitude qui avait entraîné l’immobilisme des majors de la musique face au développement du MP3, et qu’il avait fallu l’irruption d’un acteur extérieur au monde de la musique, Apple, pour qu’une véritable offre numérique se mette en place.

La plateforme izneo, créée à l’initiative du trio Média-Participations/Flammarion/Bamboo et lancée en mars 2010, avait l’ambition de proposer une offre centralisée et unifiée qui regrouperait l’ensemble des éditeurs. À ce titre, elle avait bénéficié des aides du CNL[14] (au titre de l’Article 657 : Politique Numérique) à hauteur de 30 000€ pour 2010, et de 150 000€ pour 2011[15]. En mars 2011, l’initiative «Bande numérique» souhaitait d’ailleurs s’appuyer sur izneo pour «développer une politique concertée de mise en avant de la BD numérique, en mettant en commun leurs moyens et leurs catalogues»[16]. Dès l’année suivante, le bel édifice prenait l’eau, Glénat et Delcourt décidant d’aller rejoindre la solution concurrente d’Hachette.
Dans un premier temps, l’offre disponible via izneo demeure relativement limitée : 600 titres au lancement en 2010, et à peine 3 300 ouvrages[17] en avril 2013 — dont seulement une centaine pour le manga. Les choses vont changer avec l’arrivée en France du concurrent majeur comiXology en janvier 2013, dynamisant fortement la politique d’enrichissement du catalogue : en 18 mois, l’offre disponible va quasiment tripler, avec l’ajout d’une vitrine spécifique au manga («manga by izneo»). À la mi-juin 2014, on comptait ainsi près de 8 300 titres disponibles, dont 1 380 côté manga.
Comme souvent dans le cas de l’économie numérique, il est assez difficile de jauger du succès réel de ces entreprises. Les chiffres de fréquentation communiqués en octobre 2012 (soit après deux ans et demi d’exploitation) n’étaient pas très encourageants, avec seulement 55 000 inscrits au service pour 170 000 albums numériques lus. Un an plus tard, le tableau se veut plus engageant, avec 55 millions de planches lues en numérique, plus de 6,5 millions de bandes dessinées «découvertes», 1,2 millions de visiteurs uniques et 300 000 téléchargements de l’application[18]. On demeurera cependant vaguement perplexe devant cette «découverte» qui correspond en moyenne à la lecture de … 8 pages.

Fondé en 2007 aux USA, comiXology se veut au départ une communauté pour les fans de comics, proposant une série d’outils divers : liste des sorties, moteur de recherche de librairie, solution intégrée à l’usage des libraires eux-mêmes, etc. Ce n’est qu’en juillet 2009 que la compagnie va lancer «Comics by comiXology», qui propose une boutique et un lecteur de bandes dessinées numériques. En septembre 2013, elle revendiquait 200 millions de téléchargements et un catalogue de plus de 40 000 références.
Début 2013, la société ouvre des bureaux à Paris, et lance en juillet une version en français de son application phare avec environ 400 titres en français. Presque un an plus tard, en juin 2014, son catalogue francophone compte un peu plus de 3 000 références.
Rumeur persistante depuis le début de l’année, le rachat de comiXology par Amazon en avril 2014 n’a pas vraiment été une surprise. Cette acquisition venait de fait compléter l’offre numérique du géant de la distribution, géant déjà bien implanté sur le livre avec son Kindle. Dans un article du Monde[19], Claudia Zimmer, présidente de Ave !Comics[20], voyait dans cette alliance un possible repoussoir : «Paradoxalement, le rachat de comiXology pourrait ouvrir le marché […]. De nombreux éditeurs pourraient ne pas avoir envie de se retrouver dans les mains d’Amazon…»

Chronologie de l’offre numérique

Mars 2010 — lancement d’izneo. Fondateurs : Groupe Média-Participations (Dargaud, Dupuis, Fleurus, Kana, Le Lombard, Lucky Comics) ; Groupe Flammarion (Casterman, Fluide Glacial, Jungle, Sakka) ; Bamboo Éditions / Partenaires : Groupe Delcourt (Éditions Delcourt, Tonkam) ; Groupe Glénat (Glénat, Drugstore et Vents d’Ouest) ; Soleil ; Cinebook ; Circonflexe ; Fei ; Mosquito

Février 2012 — Delcourt et Glénat quittent izneo pour Hachette-Numérique ; Les Humanoïdes Associés rejoignent izneo

Avril 2012 — Les Rêveurs rejoignent izneo

Mai 2012 — Futuropolis, Gallimard (bande dessinée) et Denoël Graphic rejoignent izneo

Juillet 2012 — Cambourakis, Warum et Vraoum rejoignent izneo

Novembre 2012 — Huginn & Munnin et Ici Même Éditions rejoignent izneo

Janvier 2013 — Delcourt rejoint comiXology, qui vient d’ouvrir ses bureaux parisiens

Avril 2013 — Alter Comics, çà et là, Marsu Productions et Steinkis rejoignent izneo

Juin 2013 — Kazé Manga rejoint izneo ; comiXology lance une version en français de son application et accueille Glénat et douze autres éditeurs (Ælement Comics, Akileos, Ankama, çà et là, I Can Fly, Indeez Urban Éditions, Los Brignolès Éditions, Panini Comics, Sandawe, Soleil Productions, Wanga Comics et WEBellipses)

Juillet 2013 — izneo signe un accord réciproque avec Numilog[21], diffuseur français de livres numériques. La fusion des deux catalogues permet ainsi à izneo d’intégrer à son offre les titres d’un certain nombre d’éditeurs (Delcourt, Soleil, Glénat, Pika, Mad Fabrik, Hachette Astérix et Vents d’Ouest) jusqu’ici diffusés par Numilog.

Août 2013 — Rue de Sèvres rejoint izneo

Novembre 2013 — izneo lance «manga by izneo»

Avril 2014 — Amazon annonce le rachat de comiXology

Mai 2014 — Ankama et L’Association rejoignent izneo

Juillet 2014 — comiXology annonce la possibilité pour ses utilisateurs de télécharger leurs achats dans un format (PDF ou CBZ) sans DRM* (leur consultation était jusque-là limitée au streaming*) ; cependant, cette nouvelle fonctionnalité (restreinte aux titres des éditeurs ayant donné leur accord[22] ) est limitée à la version américaine de la plateforme

Notons qu’en dehors des éditeurs fondateurs d’izneo qui privilégient leur plateforme, il semble qu’une large partie des accords signés ne sont pas exclusifs. Ainsi, la série The Walking Dead (publiée par Delcourt en français) est disponible sur izneo, bien que Delcourt ait opté pour comiXology début 2013.

Apple ?

Poids lourd de la révolution numérique s’appuyant sur ses trois atouts incontournables (AppStore, iPhone et iPad), Apple joue depuis quelques années un rôle de censeur sur ses plateformes. Au même titre que Facebook, la firme à la pomme se montre intransigeante vis-à-vis de contenus considérés comme pornographiques — appliquant à l’international un puritanisme et des jugements tout américains. Ainsi izneo s’est-il retrouvé sous le coup d’un ultimatum début avril 2013, sommé d’expurger son catalogue accessible via les applications Apple. Au final, ce sont 40 % des titres disponibles qui ont été retirés[23].
C’est bien sûr une partie de la liberté d’expression qui se joue ici. On notera toutefois qu’il s’agit également de la confrontation entre deux conceptions radicalement différentes de la morale. À ce titre, l’importance indéniable des grands acteurs américains (Apple bien sûr, mais également Facebook, Google et Amazon, pour ne citer qu’eux) sur la sphère numérique pose à moyen terme de véritables questions culturelles, économiques et artistiques.

Circulation

«Les transformations technologiques et les changements d’habitudes à venir ont des implications nombreuses et encore incertaines. […] Plus globalement, le lectorat français (ou francophone) est-il culturellement prêt à se tourner vers le support numérique ?»

— Dominique Bry, «Quel futur pour la BD numérique ?»,
Mediapart, 22 septembre 2011

Dans le modèle «traditionnel», l’œuvre et son support physique se confondent — en témoigne la nuance ténue qui existe entre «la bande dessinée» (entendue comme médium) et «une bande dessinée» (correspondant au format dominant, soit l’album). Établir une cartographie de la circulation revient donc dans un premier temps à inventorier les usages liés à ce support physique.
La circulation de la bande dessinée (observée du point de vue du lecteur) s’établit alors suivant un certain nombre de flux, qui en grande majorité correspondent à une transaction du type +1/-1 (c.-à-d. correspondant à un transfert de propriété, appauvrissant numériquement une collection au profit d’une autre). Seules deux modalités (consultation et échange) correspondent à une transaction du type 0/0, laissant les deux collections inchangées.
Par rapport aux circuits bien établis des biens physiques, l’arrivée d’Internet et de la bande dessinée numérique entraîne une évolution de ces flux. On peut identifier deux impacts importants.

D’une part, l’introduction d’Internet vient brouiller la frontière qui existait entre le foyer (immédiatement accessible) et l’extérieur (nécessitant un déplacement). Désormais, l’ensemble des sphères s’invitent au sein du foyer, simplifiant d’autant la démarche qui y est attachée. Il ne fait aucun doute que la sphère commerciale a pleinement bénéficié de cette mutation, en témoigne l’essor incontestable d’Amazon sur le marché du livre ces dernières années. On citera également le développement commercial des sites des éditeurs, voire même d’auteurs, qui marquent bien souvent l’entrée sur le marché d’acteurs pour qui l’établissement d’un point de vente physique n’était pas envisageable d’un point de vue économique[24].
Cependant, c’est sans doute l’élargissement considérable de la sphère sociale qui constitue l’évolution la plus radicale de ce début du XXIe siècle. Que ce soit grâce au Web 2.0 ou à l’émergence des réseaux sociaux, les interactions entre lecteurs s’affranchissent désormais des considérations géographiques, pour s’inscrire dans une dimension globale.

D’autre part, la dématérialisation de la bande dessinée, associée aux nouvelles technologies d’information et de communication, vient redéfinir les flux régissant sa circulation. Tout d’abord, il faut souligner combien la mise à disposition des œuvres en est simplifiée et parfois accélérée, en court-circuitant les étapes liées à la fabrication du livre (et son éventuelle commercialisation). Si les «blogs BD» en sont l’illustration la plus médiatisée, la sphère institutionnelle a su également mettre à profit ces nouvelles modalités, permettant par exemple l’accès à des archives dont la consultation était auparavant restreinte, pour des questions de conservation[25].

Ainsi, là où la grande majorité des transactions observées étaient du type +1/-1, le numérique introduit un nouveau mode de transaction, du type +1/0 (voire même, dans le cas de l’échange, une transaction du type +1/+1).
Ce changement se révèle, pour les acteurs commerciaux, à double tranchant. Certes, à l’appauvrissement mécanique des stocks (avec contrepartie financière) se substitue un enrichissement net dans le cadre d’un achat — sans compter que la dématérialisation règle une bonne fois pour toute les épineuses questions de tirage, de retours et de gestion des stocks qui font encore le quotidien de la chaîne traditionnelle du livre et qui en limitent bien souvent la rentabilité économique[26]. Cependant, la disparition de la rareté intrinsèque de l’objet physique marque également la fin d’un monopole de fait de ces acteurs sur la (re)production et la mise à disposition du support des œuvres[27], lesquelles deviennent désormais accessibles aux particuliers et transforment les pratiques de prêt[28] ou d’échange — l’utilisation de réseaux peer-to-peer* en constituant l’illustration la plus globalisée.
Dans la nouvelle donne dématérialisée, la bande dessinée ne circule plus, elle se propage.

Face à cette évolution, les éditeurs (mais aussi les auteurs) tentent de s’adapter. On observe ainsi une résurgence du système d’abonnement, depuis la «bédénovella» Les Autres Gens jusqu’aux revues qui ont vu le jour ces deux dernières années (Mauvais Esprit, La Revue Dessinée, etc.).
Par ailleurs, il faut souligner que le choix d’un système de «streaming*» (préféré au téléchargement) par les principales plateformes commerciales vise à reproduire, dans ce nouvel écosystème, un contrôle relatif de la chaîne commerciale sur la diffusion. Cependant, des formats alternatifs permettant le transfert et la sauvegarde de l’œuvre complète existent également, allant du simple fichier .PDF (utilisé en particulier par les éditeurs, en remplacement de l’envoi de «services de presse») aux fichiers .CBZ ou .CBR prisés par les pirates.
Cette situation polarisée fait écho à celle que l’on pouvait observer sur le marché numérique de la musique à ses débuts, entre tenants et opposants au DRM*[29].

Dans ce contexte numérique, la recomposition des flux aboutit à la situation suivante :

On notera que le passage de transactions de type +1/-1 à des transactions de type +1/0 entraîne dans beaucoup de cas la disparition du flux inverse visant à rétablir l’équilibre.
Enfin, par souci d’exhaustivité, il faudrait rajouter à cette longue liste de flux ceux qui s’établissent entre les collections physiques et numériques du lecteur (numérisation dans un sens, impression dans l’autre). Ces transferts (que l’on imagine peu répandus) opèrent une duplication de l’œuvre, et au même titre que les pratiques de scantrad* (qui participent également, à leur manière, à la circulation de la bande dessinée), sortent stricto sensu d’une simple pratique de lecture.

Alors que le numérique est encore réservé à une population relative jeune, la croissance de ce secteur au cours des dernières années laisse envisager son implantation à large échelle dans un avenir proche. Dans cette perspective, il faut souligner combien les choix stratégiques et techniques effectués par les acteurs de la sphère commerciale négligent, voire interdisent le prêt.
La disparition à moyen terme de cette modalité d’accès à la bande dessinée pourrait avoir des conséquences diverses : la réduction du nombre de lecteurs occasionnels, qui perdraient là une part importante de leur exposition à la bande dessinée, lecture envers laquelle ils sont peu impliqués ; le report des gros lecteurs vers les alternatives moins légales mais plus souples vis-à-vis du partage et de l’échange, entraînant une diminution forte des achats ; enfin, la remise en question à long terme de l’un des principaux vecteurs de transmission entre les générations, à savoir l’accès à la collection parentale qui ne relèverait plus de l’évidence.

Face à cette révolution numérique annoncée qui recompose en profondeur nos usages et notre rapport au livre, et a fortiori à la bande dessinée, la question de la circulation et de son évolution future pourrait bien constituer un enjeu majeur pour le secteur.

Piratage

«La BD est la catégorie éditoriale la plus piratée sur Internet.»

— in EbookZ 3 L’offre numérique illégale des livres français sur Internet en 2011, Le MOTif, mars 2012

Depuis l’apparition de Napster en 1999, la question du téléchargement illégal a été au centre des préoccupations de l’industrie de l’entertainment — musique, cinéma, séries télévisées et désormais livres, personne n’étant épargné. Dans une évolution qui n’est pas sans évoquer certaines dérives sécuritaires de notre société, on a vu apparaître un discours largement repris présentant Internet comme un espace où foisonneraient les comportements hors-la-loi en toute impunité, mais qu’il serait pourtant aisé de réguler par le biais d’une simple solution technique efficace. Bien que les exemples d’abus et de situations ubuesques démontrant toute la complexité de l’application du droit d’auteur ne manquent pas[30], la création de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) en décembre 2009 a représenté l’aboutissement de cette démarche — dont le bilan aujourd’hui apparaît comme plus que mitigé.

Dans le cas particulier du livre (et surtout de la bande dessinée), il nous semble que le piratage numérique rend visible certaines pratiques qui étaient jusqu’alors souterraines et impossibles à quantifier. Pour le lecteur désireux de découvrir un livre sans l’acheter, il existe depuis longtemps plusieurs options : emprunt auprès d’un ami, emprunt en bibliothèque, ou encore lecture sur le lieu de vente.
Il paraît important de signaler ici que la sphère commerciale accepte (encourage même) la consultation des ouvrages, en particulier de bande dessinée. En 1998, la Fnac semblait s’être résignée devant cet état de fait avec le spot publicitaire «Jean-Luc / La BD», qui mettait en scène un lecteur installé dans le rayon bande dessinée, et qui concluait par : «Mais aujourd’hui, ce qui nous ferait plaisir à nous, à la Fnac, ce serait que Jean-Luc nous achète enfin quelque chose» avant de tempérer ce constat par ce slogan : «Nous avons tous les livres. Vous avez toutes les libertés.»
En juillet 2010, l’enseigne passait à l’étape suivante avec l’inauguration des «espaces passion BD» dans le magasin de la Fnac des Halles (Paris). Comme l’écrit Sylvain Lesage[31] : «Ainsi, les banquettes, qui donnent leur ambiance si conviviale au lieu, ne sont pas autre chose qu’une adaptation à l’utilisation du lieu, où, de toute façon, les lecteurs feuillettent les albums n’importe où, et gênent le travail des vendeurs : tant qu’à faire, autant faire de cette contrainte un atout.»

Alors que l’impact de ces pratiques sur les achats semble difficile à estimer, les pratiques numériques illégales apparaissent comme immédiatement quantifiables (nombre de fichiers disponibles, nombre de téléchargements), entraînant dans leur sillage une autre quantification : les pertes sèches que cela représente pour les éditeurs (surtout) et les ayant-droits (parfois), dans un calcul qui supposerait qu’un téléchargement représenterait une vente perdue. Or, la situation est bien plus complexe que cela.

Les études conduites par le MOTif[32] tentent depuis trois ans de décrire et d’évaluer les pratiques de piratage du livre en général, et de la bande dessinée en particulier. La dernière édition en date, EbookZ 3 (parue en mars 2012), se montre plutôt modérée dans son jugement : «le téléchargement illégal de livres est un piratage résiduel dans un secteur qui n’a pas encore connu de commercialisation numérique massive.» Soulignant la qualité globale de «l’offre pirate», il souligne que «contrairement aux films et à la musique, le piratage des livres et BD n’est pas encore immédiat : il ne touche que minoritairement les nouveautés en rayon. […] En matière d’ebooks pirates, les internautes semblent chercher davantage l’ouvrage de valeur sûre ou répondant à un besoin (ou une curiosité) immédiat, que la nouveauté à proprement parler.»
La bande dessinée demeure néanmoins la catégorie de livre la plus représentée, ce que plusieurs facteurs peuvent expliquer : un recoupement important entre internautes et lecteurs de bande dessinée (jeunes, masculins et éduqués), l’importance marquée des dynamiques de série et de collection, et enfin l’aspect technique de la numérisation qui fait qu’un album présente nettement moins de pages à scanner qu’un roman[33].

Par ailleurs, dans ses baromètres réguliers («Hadopi, biens culturels et usages d’Internet : pratiques et perceptions des internautes français»[34] ), l’Hadopi identifie cinq populations d’internautes :

Les ‘Numérivores’, un type en progression (22 % des internautes [vs 16% en 2012], soit 29 % des consommateurs de biens culturels dématérialisés) : plus jeunes et plus technophiles que la moyenne, ce sont de gros consommateurs de produits culturels qu’ils peuvent consommer illégalement par la force de l’habitude, tout en se déclarant sensibles aux avantages de l’offre légale.

Les ‘Pragmatiques’ (21 % des internautes [22% en 2012], soit 29 % des consommateurs) : Ils utilisent internet pour des occupations assez basiques. Ils y consomment plus de logiciels que la moyenne et épisodiquement de la musique et des séries. Internautes les moins dépensiers de l’échantillon, ils cherchent avant tout à combler leurs faibles besoins de la manière la plus économe possible et sont prêts à avoir recours à de l’illégal.

Les ‘Passionnés attentifs’ (20 % des internautes [vs 22% en 2012], soit 29 % des consommateurs) : un peu plus jeunes que la moyenne, gros consommateurs de produits culturels créatifs et ludiques, ils consomment plus que la moyenne de manière légale mais n’excluent pas de recourir à l’illégal afin d’avoir accès à des produits conformes à leurs attentes (transgression pas vraiment perceptible en 2012).

Les ‘Culturels légaux’ (8 % des internautes [7% en 2012], soit 11 % des consommateurs) : plus âgés mais néanmoins plus fréquemment connectés, ils sont presque exclusivement consommateurs de livres sur Internet, dans la légalité plus souvent que la moyenne.

Les non consommateurs (29 % des internautes [vs 33% en 2012]) : rarement connectés, ils n’ont pas consommé de produits culturels lors des 12 derniers mois. N’étant pas consommateurs, ils ne se sentent pas concernés par le débat légal / illégal.

On le voit, si la question du prix de l’offre légale revient souvent comme justificatif pour se tourner vers une consommation illégale, bien d’autres raisons sont évoquées : l’habitude par rapport à une sphère Internet où la gratuité a longtemps été la norme, une plus grande facilité d’utilisation des ressources illégales (lecteurs, standards de facto, non recours au streaming*), une meilleure adéquation des produits aux attentes, une offre plus riche, ou encore le simple fait que la possibilité s’offre à eux.
Ce n’est qu’en reconnaissant l’existence de ces autres raisons que l’on pourra mettre en place des solutions pour le développement de l’offre légale qui permettront, à défaut d’éradiquer le piratage (chose utopique), de trouver du moins une alternative plus bénéfique à l’ensemble des intervenants. Ainsi, l’étude EbookZ 3 n’hésitait pas à souligner que «l’indisponibilité de l’offre légale semble constituer, dans une certaine mesure, un encouragement au piratage.»

L’exemple que représente iTunes dans le domaine de la musique en est une bonne illustration : offre très large, politique de prix adaptée, portabilité des fichiers au sein d’un écosystème intégré, et sans limitation de copie ou d’utilisation (DRM*) depuis avril 2009. La comparaison avec le monde de la musique présente néanmoins des limites sur plusieurs points distincts qui reposent sur des différences structurelles :

– la politique de prix est en faveur de la musique, qui se prête plus à la réécoute que la bande dessinée à la relecture (impression d’une meilleure rentabilité) ;

– l’expérience proposée par le format numérique est quasi-identique dans le cadre de la musique, du fait de l’utilisation d’un «lecteur» intermédiaire[35]. Pour la bande dessinée, l’adaptation des différents écrans aux formats en vigueur dans le papier demeure un problème central. Paradoxalement, un certain nombre de «classiques» seraient les plus adaptés à cette transition, du fait des contraintes inhérentes à leur prépublication initiale (organisée en bandeaux ou en demi-planches) ;

– enfin, le passage au numérique nécessite, dans le cas de la bande dessinée, le recours à un nouvel achat. Contrairement à la musique, il n’existe pas de possibilité de transférer facilement l’existant pour le lecteur (du type CD vers MP3).

Scantrad

«Les pages scannées et traduites de magazines japonais de prépublications circulaient déjà facilement sur Internet mais, depuis le début d’année, le phénomène a pris encore plus d’ampleur avec la mise en circulation par des équipes de pirates d’applications payantes et gratuites pour les smartphones et les tablettes.»

— Anne-Laure Walter, «Manga & Comics : la revanche des geeks»,
Livres Hebdo n°959, 21 juin 2013

Outre le piratage, le phénomène du scantrad* (en franglais, et scanlation en version anglo-saxonne) est souvent pointé du doigt comme un élément des plus nocifs. Si les premières traductions d’amateurs apparaissent vers la fin des années 1970[36] (sous forme de scripts), l’avènement du numérique et d’Internet va profondément modifier la donne : les scans de planches remplacent les scripts, dans une diffusion désormais potentiellement mondiale. Alors que les groupes de traducteurs amateurs vont progressivement s’organiser en «teams» aux rôles bien identifiés (traducteur, nettoyeur, lettreur, relecteur, etc.), des sites portails («agrégateurs») permettent aux lecteurs d’accéder facilement au dernier chapitre de leur série préférée.
Si tout cela se déroule en marge de la légalité (et sans respect des droits d’auteurs), scantradeurs et lecteurs revendiquent une même passion, dans un échange basé sur la gratuité. À l’inverse, la position des sites portails est plus ambiguë : bien que généralement gratuits, ils dégagent d’importants revenus publicitaires, et sont véritablement ceux qui profitent financièrement du système. D’ailleurs, l’apparition du site OneManga dans la liste des 1 000 sites les plus visités, publiée en avril 2010 par Google, avait été accueillie avec une levée de boucliers. Peu de temps plus tard, l’alliance des 36 éditeurs de la Japan’s Digital Comics Association et de plusieurs éditeurs américains devait régler le problème une bonne fois pour toute[37].

Les éditeurs eux-mêmes reconnaissent la difficulté de chiffrer l’impact des scantrads sur les ventes, mais s’accordent sur leur influence négative (en particulier sur le succès au démarrage des séries qui en serait atténué), et s’attachent à réaffirmer le caractère illégal de la pratique[38]. Il est néanmoins presque ironique de voir les éditeurs français critiquer une forme d’addiction de leurs lecteurs, addiction dont ils ont largement profité et qu’ils ont même entretenue en optant pour des rythmes de parution très élevés.

Outre la question de la légalité, deux aspects en particulier rendent particulièrement malaisé le dialogue entre éditeurs et scantradeurs.
D’une part, comme nous l’avons indiqué précédemment, les scantradeurs sont essentiellement motivés par la passion, ou éventuellement par la recherche de notoriété au sein de leur communauté. C’est d’ailleurs en accord avec ces démarches (non commerciales) qu’ils évoquent souvent leur contribution[39], en cela qu’ils rendent possible une plus large diffusion du travail d’un auteur qu’ils apprécient — et qu’ils imaginent animé d’une passion similaire à la leur.
D’autre part, les «productions» des groupes de scantrad ont pour beaucoup un niveau de qualité formelle[40] équivalent aux productions officielles, tout en étant réalisées bénévolement. Pour les séries les plus courues, il faut y rajouter la rapidité de la mise à disposition des derniers chapitres — pour certains, avant même leur parution en revue au Japon. L’apparente facilité du processus vient fortement contredire la ligne défendue par les éditeurs, pour qui traduction et adaptation constituent un travail long et coûteux.
Entre la revendication d’une économie basée sur le principe du don, au sein de la communauté des scantrads, et la remise en question du coût effectif (en temps et en investissement) du travail réalisé par les éditeurs, il n’est pas surprenant que ces derniers aient du mal à faire entendre leurs considérations de rémunération et de droits d’auteur.

Enfin, il faut rappeler que la situation des éditeurs franco-belges sur le segment du manga est beaucoup plus compliquée sur celui des albums. En effet, leur marge de manœuvre quant au développement d’une offre numérique est extrêmement réduite, et entièrement dépendante de la stratégie des éditeurs japonais[41]. C’est d’ailleurs plutôt de ces derniers qu’il faudrait attendre une proposition qui soit satisfaisante — mais la plateforme JManga, lancée aux États-Unis le 17 août 2011 (puis à l’international le 28 février 2012) comme réponse au problème, n’a pas réussi à convaincre. Souffrant au démarrage d’une politique de prix beaucoup trop élevés, et n’atteignant pas les objectifs affichés en ce qui concerne le développement du catalogue disponible, JManga a fermé ses portes définitivement le 30 mai 2013[42]. Il faut souligner qu’à cette date, l’ensemble des achats réalisés sur la plateforme ont été perdus : le système fonctionnait sur le principe du streaming* et ne permettait pas en effet de téléchargement définitif des «achats». Cet état de fait atteste, si besoin est, des nouveaux usages induits par la sphère numérique.

Peut-être un signe de l’évolution de la situation, les éditions Kana et izneo ont conjointement annoncé le 29 août 2014 le lancement d’une nouvelle application, «Naruto simultrad», permettant au lecteur de «retrouver chaque semaine, dans la nuit de dimanche à lundi, le nouveau chapitre de sa série préférée en simultané avec le Japon ! L’application permet ainsi de lire de manière légale, le nouveau chapitre de la série dans sa traduction officielle, lettrée et mise en page, le tout avec l’approbation des ayants-droits.» Chaque chapitre sera vendu au prix de 0,89€, et le communiqué promet d’alimenter également l’application avec «chaque jour, de nouvelles actus sur la série».
Si cette offre apporte une réponse légale à une attente forte de la communauté des lecteurs, on peut s’interroger sur sa capacité à véritablement changer les choses : elle vient tardivement (et donc devra lutter contre des habitudes installées), est pour l’instant limitée à un seul titre, et est proposée à un prix qui devra convaincre de sa justesse par rapport au service lui-même. L’initiative part dans la bonne direction, il ne reste plus qu’à transformer l’essai…

Notes

  1. Et dont une partie des conclusions sont résumées en ligne sur le site du MOTif.
  2. Publiée sur neuvièmeart 2.0.
  3. Annoncée en faillite en janvier 2012, et placée en liquidation judiciaire. Il n’y a pas eu de repreneurs.
  4. On peut ainsi citer Yannick Lejeune (Delcourt), Didier Borg (KSTR), Sébastien Célimon (Glénat), Élisa Renouil (Dupuis), etc.
  5. Pensé dès le départ comme une expérience numérique, 3″ illustre bien la situation ambiguë des éditeurs face à ce nouveau marché. Ainsi, la version numérique disponible en ligne n’est accessible qu’en utilisant le mot de passe imprimé dans la version papier.
  6. Lancé en avril 2013 avec son numéro 0, Spirou.Z est une version numérique et augmentée de contenu spécifique du Journal de Spirou destinée aux tablettes. Un an plus tard, le numéro 1 n’est toujours pas sorti, permettant de douter de la pérennité du projet.
  7. Cependant, le choix de Dupuis de passer à des volumes doubles à partir du sixième volume soulève la question des ventes réalisées par cette version papier. On peut également s’interroger sur l’impact du rythme de parution choisi (les quatre premiers volumes étant sortis en 2011) sur un marché encore largement habitué à des sorties annuelles.
  8. Thomas Cadène indiquait dans un entretien publié sur OWNI avoir 1 200 abonnés en moyenne pour Les Autres Gens.
  9. Kevin Kelly était le rédacteur-en-chef de la revue WIRED à sa création en 1993. En 2008, dans un texte intitulé «1,000 True Fans» publié sur son blog, il expliquait comment il suffisait pour un créateur (artiste, musicien, photographe, etc.) d’avoir mille «vrais fans» pour pouvoir vivre de son activité — le «vrai fan» étant une personne prête à acheter chacune des productions de ce créateur. L’article original de Kevin Kelly est toujours disponible en ligne.
  10. Fin mars 2012, l’étude «EbookZ 3» du MOTif estimait l’offre papier disponible en bande dessinée entre 30 000 et 40 000 titres. À la même date, la plateforme izneo ne proposait que 2 700 références en version numérique.
  11. Il faut signaler que l’investissement sur la numérisation des catalogues des éditeurs est encouragé et soutenu par le CNL par le biais d’aides spécifiques qui sont accordées chaque année.
  12. On pense en particulier à l’entretien de Claude Saint-Vincent (PDG des éditions Dargaud) sur la question de la bande dessinée numérique dans l’émission Soft Power de France Culture. Podcast disponible en ligne.
  13. Dont les marges opérationnelles semblent néanmoins être plus importantes que pour le livre papier, comme le suggèrent les résultats récents de plusieurs éditeurs américains, fortement positionnés sur le segment. Voir en particulier l’article «Chiffre d’affaires en baisse, marges en hausse» d’Adrien Azerman sur Actualitté.
  14. Outre les aides du CNL, izneo a bénéficié du soutien d’Oséo et du Fonds National pour une Société Numérique, pour des montants non communiqués.
  15. Les rapports d’activité et bilans des aides du CNL sont disponibles en ligne.
  16. Extrait du communiqué de presse «Les éditeurs de bandes dessinées unis vers le numérique», daté du 15 mars 2011.
  17. Au nombre desquels on trouve des publications gratuites (Zoo, Bamboo Mag, Avant-Première, Dargaud le Mag), des magazines (dBD, DBSphère, Pilote), ainsi que quelques ouvrages en anglais et en néerlandais, diminuant d’autant le nombre effectif de bandes dessinée disponibles. À titre indicatif, les 25 éditeurs présents sur la plateforme ont, selon les chiffres de Gilles Ratier, publié environ 4 000 ouvrages sur la période 2010-2012.
  18. Chiffres tirés de «Découvrez izneo en chiffres et en images», blog officiel, 8 octobre 2013.
  19. Cédric Pietralunga, «Amazon s’attaque au marché de la BD», Le Monde, 11 avril 2014.
  20. Fondée en 2009 autour de la solution du même nom développée par sa maison-mère Aquafadas, Ave !Comics est une société spécialisée dans l’édition de bandes dessinées en ligne sur smartphones, tablettes électroniques et consoles portables. La commercialisation du dernier album de Lucky Luke (L’Homme de Washington) sur iPhone en décembre 2008 en faisait alors l’un des premiers acteurs commerciaux à se positionner sur la bande dessinée numérique en France.
  21. Fondé en 2000 par Denis Zirm, Numilog avait été acquis par Hachette en mai 2008 avant d’être rétrocédé à son fondateur en avril 2012. Distributeur et diffuseur de livres numériques, Numilog propose une gamme de services destinés aux professionnels, mais également une plateforme de vente de livres numériques (Librairie Numérique).
  22. Soit, à la date de l’annonce : Image Comics, Dynamite Entertainment, Zenescope Entertainment, MonkeyBrain Comics, Thrillbent et Top Shelf Productions.
  23. Sur les 4000 titres alors disponibles, izneo n’en avait conservé que 1200 disponibles à l’achat par le biais de son application dans un premier temps, avant d’en réintégrer 1300 supplémentaires la semaine suivante. Notons qu’il était toujours possible de consulter par le biais de l’application pour iPad les titres censurés, du moment que l’achat était effectué via la plateforme web.
    Fin août 2014, l’offre izneo au sein de son application pour iPad comptait un nombre de références disponibles très proche de celui de son équivalent web (8366 contre 8980, respectivement).
  24. Outre l’auto-publication des auteurs, on voit apparaître des projets associatifs (en particulier de réédition ou de monographie) dont l’ensemble de la commercialisation passe par le biais de l’Internet. Il faut également souligner le développement récent du financement participatif (crowdfunding*) qui participe également à la transformation de la chaîne traditionnelle du livre à l’ère numérique, tant dans sa production que dans son modèle économique.
  25. Parmi d’autres initiatives du même ordre, on peut citer le fonds Alain Saint-Ogan, entièrement numérisé et librement accessible, sans pour autant être libre de droits, sur le site de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image.
  26. Bien que sa commande passe souvent par Internet et qu’elle s’appuie sur des technologies numériques, l’impression à la demande reste tournée vers la création d’un objet physique, qu’il faut ensuite acheminer. Du point de vue de l’éditeur, cette option résout la question des stocks (et de l’immobilisation financière qui y est attachée), mais l’ensemble de la circulation des livres ainsi produits s’inscrit dans les schémas de circulation traditionnels.
  27. L’utilisation de la photocopie est sans doute beaucoup plus rare dans le cadre de la bande dessinée que dans d’autres domaines du livre, mais se révèle de toute façon beaucoup plus fastidieuse que la copie de fichier numérique — copie qui peut s’effectuer facilement à grande échelle.
  28. Il faut mentionner ici le cas particulier du prêt de terminal (liseuse, tablette, etc.) que la dépendance à un objet physique rapproche des pratiques traditionnelles. Il semble cependant que cette pratique est principalement du domaine de la sphère institutionnelle, sous la forme d’un prêt (longue durée) de matériel accordé à des étudiants. Au vu des pratiques en matière d’électronique personnelle, nous faisons l’hypothèse que baladeurs MP3, tablettes et autres liseuses relèvent d’une utilisation personnelle, au même titre que les téléphones portables.
  29. La plateforme de vente de musique d’Apple, iTunes, intégrait à l’origine un système de DRM* (appelé FairPlay) qui a été par la suite progressivement abandonné, pour être entièrement supprimé en avril 2009.
  30. On pourra par exemple se référer à la rubrique Copyright Madness de Numerama.
  31. Sylvain Lesage, «Étranges passions», du9, mars 2010.
  32. Disponibles en ligne sur le site de l’organisation.
  33. Sans même évoquer les problématiques de finalisation de ces fichiers numériques, comme la reconnaissance de caractères et la relecture, opérations beaucoup plus fastidieuses que le «simple» traitement d’une image.
  34. Le dernier publié est daté de juillet 2013, et est disponible en ligne.
  35. Ainsi, l’écoute d’un CD physique et celle d’un fichier numérique proposent des expériences comparables à l’auditeur.
  36. Au sujet des scantrads*, on pourra se reporter au site : Inside Scanlation.com/ (en anglais) qui retrace en détail l’historique du développement de ces pratiques.
  37. On soulignera cependant que leur mobilisation semble s’être limitée à cette action d’éclat, et que les autres gros portails de scantrad* n’ont en général pas été inquiétés depuis. On citera seulement la récente offensive de l’éditeur américain Viz, obligeant le site MangaStream à enlever de ses pages sept séries sous licence, issues de la revue Jump.
  38. On se reportera en particulier à cet excellent article de Total-Manga.
  39. La campagne «Stop Tazmo» lancée en 2004, illustre bien cet état de fait. Tazmo, alors à la tête de la communauté NarutoFan, met en place un système à deux niveaux, dont un accès privilégié par service payant. La majorité des groupes de scantrad* s’élèvent alors contre la trahison que représente cette approche : «Tazmo tire profit d’un service GRATUIT proposé par les membres des communautés anime et manga, qui font don de leur temps libre pour vous apporter les derniers manga et anime GRATUITEMENT. Ils font don de leur temps, travail et talent dans différents domaines, ainsi que de leur propre bande passante pour mettre les fichiers à votre disposition.» Traduction d’après l’extrait de l’annonce disponible en ligne.
  40. La question de la qualité de la traduction est un sujet des plus complexes, que nous n’aborderons pas ici. Toujours est-il que nous entretenons de sérieuses réserves quant à la vision teinté d’angélisme qui voudrait que les traductions d’éditeurs soient automatiquement bien meilleures que celles réalisées par des traducteurs amateurs.
  41. Des éditeurs japonais qui, s’ils mettaient en place une stratégie numérique globale et ambitieuse, deviendraient de facto les premiers concurrents des éditeurs locaux, sur lesquels ils reposent encore largement pour leurs revenus de licences. Sur un marché numérique qui est largement encore à l’état de potentialité, on imagine facilement leur réticence à prendre ce genre de risque.
  42. Fin avril 2013, Square Enix annonçait également la fermeture définitive de son service de manga numérique (lancé en décembre 2010) dès le 23 mai, en France et aux États-Unis.
Dossier de en octobre 2014