#TourDeMarché (2e saison)

de

(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

C’est vendredi, c’est #TourDeMarché, et comme mercredi dernier le CNL a révélé les résultats de son enquête biennale sur « les français et la lecture », on va voir quels enseignement en tirer pour la bande dessinée. C’est parti !
Depuis 2015, le CNL réalise avec Ipsos une enquête biennale sur « les français et la lecture », dont la dernière édition est disponible ici en version infographie-rapide ou rapport-détaillé. J’ai pu évoquer à diverses reprises combien il pouvait être difficile de réconcilier les résultats des études à notre disposition, qu’il s’agisse des enquêtes décennales sur les pratiques culturelles des français, de l’étude sur « la lecture des bandes dessinées en 2011 » (BPI/TMO Régions) ou de ces études réalisées par le CNL avec Ipsos (sur les jeunes et la lecture, les ados et la lecture, etc.).

L’intérêt de cette enquête tient avant tout dans sa régularité (une année sur deux) et le fait qu’elle s’inscrit dans la durée (depuis 8 ans), ce qui est toujours intéressant quand on veut suivre les évolutions du lectorat, et ne pas se contenter d’un instantané à un instant t (au passage, ce serait super intéressant de faire quelque chose de semblable pour la bande dessinée, qui avait eu droit à une enquête du même genre en 2020, je-dis-ça-je-dis-rien). Mieux encore, cette enquête n’est pas seulement régulière, elle est aussi stable dans la méthodologie utilisée (et même le partenaire qui la réalise, Ipsos). cela permet d’effectuer des comparaisons d’une vague sur l’autre, ce qui est aussi un plaisir rare.
Alors certes, c’est une enquête qui porte sur la lecture en général et qui n’aborde la bande dessinée qu’à l’occasion, mais il faut savoir s’en satisfaire. C’est déjà ça, même cela veut dire aussi que certaines données sont malheureusement parcellaires. On peut néanmoins suivre l’évolution du lectorat de la bande dessinée… ou presque.

Eh oui, c’est un petit peu le paradoxe de cette enquête qui fait un focus « BD, mangas, comics » pour en souligner la progression, mais qui ne donne à aucun moment le chiffre du lectorat global de la catégorie, contrairement aux années précédentes. J’avoue que je trouve un peu étrange de séparer ainsi la lecture de bande dessinée (au sens large), en deux agrégats plutôt que trois, mangas et comics ayant finalement bien peu à voir (en dehors d’être constitués essentiellement de traductions). J’imagine que l’on conserve ce distinguo pour préserver la cohérence de la série longue et permettre les fameuses comparaisons, mais il y a fort à parier que ce chiffre corresponde aujourd’hui plus au lectorat du manga qu’à celui des comics.
Autre problème de ce distinguo, c’est qu’il minimise implicitement l’importance de la pratique de lecture de bande dessinée (au sens large) dans les graphiques présentés, et dans les conclusions que l’on en tire. Illustration immédiate sur l’infographie correspondant à ce cru 2023, qui ne considère que les albums de BD, et occulte donc la question des mangas… dont on sait qu’ils ont eu une petite importance dans les ventes du marché l’année passée.
Mais revenons sur ce focus, puisque c’est là que l’on va trouver l’essentiel des données qui nous intéressent.

Pour mémoire, le « terrain » de l’enquête 2021 avait été réalié entre le 8 et le 26 janvier, soit tout au début de l’année exceptionnelle que le marché a ensuite connu, confirmant en 2022. Il faut donc considérer ces chiffres comme témoins d’un « avant » (un « avant » qui, de plus, pâtissait des différents confinements de l’année 2020 — on notera le fléchissement assez marqué de l’ensemble des pratiques de lecture en 2021 par rapport aux autres enquêtes sur le premier graphique que j’ai partagé).
Première remarque : la progression du lectorat fait écho à la dynamique qu’a connu le marché sur 2021-2022. Il y a donc bien eu recrutement de nouveaux lecteurs, ou réconciliation avec d’anciens qui auraient délaissé le genre. Il faut bien sûr relativiser un peu, puisque, on l’a dit, l’enquête de 2021 avait observé un recul très marqué des pratiques dans un contexte bien compliqué. la progression de la lecture d’albums de bande dessinée est plutôt à +3 % par rapport à la normale constatée. A l’inverse, les mangas/comics sont bien sur une dynamique positive soutenue depuis 2015, progressant également de 3 ou 4 points, mais sur une base moins importante — gagnant ainsi un quart de lecteurs et lectrices en plus en huit ans.
Deuxième remarque : on observe un manga qui s’affirme une fois de plus comme « lecture générationnelle », lu en priorité par les moins de 25 ans. Rappelons que l’exploitation commerciale des mangas en France a véritablement commencé il y a une trentaine d’année.
Troisième remarque : la féminisation du lectorat par le manga apparaît comme discutable. Les chiffres fournis pour la bande dessinée au global (2015 à 2019) ou pour les deux segments (2021 et 2023) font état d’un ratio stable à 45 % de femmes au sein des lecteurs… l’évolution du lectorat mangas/comics entre 2021 et 2023 apparaît donc comme hors-norme (puisqu’indiquant 37 % de lectrices), et qu’il faudrait questionner plus avant — mais les données proposées ne le permettent pas en l’état. Affaire à suivre, peut-être.

Dossier de en avril 2023