La librairie spécialisée en bandes dessinées

de

La première librairie spécialisée en bande dessinée qui ne soit pas située au siège d’un éditeur est Le Kiosque, ouverte par Jean Boullet en février 1966[1]. Comme son nom le suggère, celle-ci était spécialisée dans l’ancien, et permettait aux adultes nostalgiques de trouver les revues perdues de l’avant ou de l’après-guerre qui avaient enchanté leur enfance. L’aura de son fondateur en fit rapidement l’épicentre de tous les amateurs cherchant à montrer la valeur historique, esthétique et expressive de leur passion. L’historien, scénariste et éditeur Claude Moliterni, par exemple, y lança la même année, en octobre, le n°1 de la revue Phénix. Philippe Druillet, le dessinateur de Lone Sloane et cofondateur de Métal Hurlant, rendra hommage à Jean Boullet, qu’il considère comme un de ses mentors dans le numéro 3 de ce mensuel, daté de juin 1975.
Le Kiosque ferma en 1969 pour des raisons vraisemblablement liées à la personnalité de son auteur, qui était aussi peintre, essayiste et écrivain. Il disparut mystérieusement un an plus tard et fut retrouvé pendu en Algérie. Sa librairie ne promouvait pas que la bande dessinée, mais aussi,  dans une moindre importance, le cinéma populaire, le polar et la science-fiction[2]. Caractéristiques que l’on retrouvera dans beaucoup de libraires spécialisées dans la bande dessinée jusque dans les années 80. Une communauté des « mauvais genres » en somme, à l’image des différentes rubriques qui composaient les grands mensuels de ces années-là (Charlie, L’écho des savanes, Métal Hurlant, (A Suivre), etc.), où une bande dessinée devenue adulte s’inventait.
Dans les mois qui suivirent la création du Kiosque, d’autres librairies spécialisées dans l’ancien ouvrirent à Paris. La librairie Lutèce, par exemple, se lança dans ce commerce spécialisé à la fin des années 60, et finit par créer une boutique entièrement dédiée à la bande dessinée ancienne de plus de trente ans, au 3, rue d’Arras, au début des années 80. Ses publicités étaient très présentes dans des revues comme Les cahiers de la bande dessinée, ou Le collectionneur de bandes dessinées. Les deux librairies existent toujours et ont désormais une vitrine sur l’Internet.

En 1969, Robert Roquemartine ouvre la librairie Futuropolis[3], au 120, rue du Théâtre. Celle-ci deviendra célèbre quand son créateur la revendra en 1972 à un jeune couple : Florence Cestac et Etienne Robial. Ceux-ci poursuivront rapidement ce mélange de redécouverte de l’ancien et de promotion d’un art vivant et avant-gardiste qui s’était déjà esquissée au Kiosque, et lui donneront une dimension encore plus importante puisqu’ils créeront une maison d’édition au nom de leur boutique, en 1974. Futuropolis prendra l’importance que l’on sait et deviendra même un temps un diffuseur. La librairie finira par devenir secondaire et fermera en 1977. La maison d’édition s’arrêtera quant à elle en 1994, avant de renaître sous sa forme actuelle en 2005, sous la houlette des éditions Gallimard et Soleil.
La librairie Futuropolis apparaît comme un élément charnière puisque celle-ci a été à la fois une librairie d’anciens, une librairie d’éditeur et qu’elle a aussi préfiguré l’idée d’un lieu spécialisé dans la production d’un genre pour y exposer l’offre la plus exhaustive possible.

Notes

  1. Un reportage daté de 1967 consacré au marché de la bande dessinée et que l’on peut voir ici, est en partie tourné dans la librairie Le Kiosque et Jean Boullet lui-même y est interviewé.
  2. Jean Boullet était homosexuel et apparaît aujourd’hui à certains comme un des premiers promoteurs de ce que l’on dénomme aujourd’hui la « culture gay », même s’il ne semble pas l’avoir défendue dans sa librairie, à une époque où l’homosexualité était fortement réprimée.
  3. Le nom Futuropolis emprunte celui du titre de la première bande dessinée de science-fiction française dessinée par René Pellos, publiée entre 1937 et 1938 dans la revue Junior.
Dossier de en septembre 2017