#TourDeMarché (2e saison)

de

(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

Comme promis la semaine dernière, après avoir rapidement commenté le Top 50 des ventes pour 2022 en France, on va aborder aujourd’hui la question de la santé du marché dans son ensemble. C’est parti !
Tout le monde était un peu inquiet de savoir ce qui allait nous attendre après une année 2021 qui avait battu tous les records. Les signaux que l’on pouvait lire dans la presse avaient de quoi préoccuper. Ainsi, « le marché est tombé d’un coup au second semestre et les lancements en ont souffert », relevait Ahmed Agne (Ki-Oon) dans le dossier BD/Mangas de Livres Hebdo en janvier dernier. Et si le manga s’enrhume, c’est tout le marché qui se retrouve grippé.
Bilan des courses, les chiffres montrent une année 2022 qui confirme la dynamique de 2021, s’inscrivant peu ou prou au même niveau : -3 % en volume, quasi-inchangé en valeur (-0,4 %), malgré le contexte d’inflation que l’on connaît actuellement. Ce qui fait presque 85 millions d’exemplaires vendus pour un peu plus de 920 millions d’euros de chiffre d’affaires pour le marché français de la bande dessinée. La courbe ci-dessous permet de visualiser le caractère exceptionnel de ces deux dernières années.

Abordons aussitôt l’éléphant au milieu de la pièce : oui, cette dynamique repose principalement sur l’essor du manga, comme on peut le voir ci-dessous (du fait d’un prix moyen plus faible, l’impact est moins important sur l’évolution du marché en valeur, sur le deuxième graphique).


On a le sentiment que le manga a passé un nouveau palier, comme on peut le voir sur l’évolution de sa part de marché au sein des ventes en France : d’un gros tiers des exemplaires vendus sur 2010-2018, à plus de la moitié pour 2021-2022.

En 2022 en France, un livre vendu sur sept est un manga — et un livre sur quatre est une bande dessinée, tous genres confondus. (petit aparté : il est assez fascinant de voir combien un tel phénomène éditorial continue d’être traité par les journalistes des grands médias, entre étonnement et incompréhension, révélant plus de leurs propres angles morts que de la réalité des pratiques)
Cette croissance du manga est tirée par les best-sellers du segment, dont l’importance au sein des ventes s’est renforcée ces dernières années : sur 2017-2019, le top 5 des séries concentrait autour de 20 % des ventes en volume ; en 2021-2022, on est passé à 29 %.. Et quand on dit « manga », c’est surtout « shônen », puisque la catégorie représente les trois-quarts des ventes en volume du segment, laissant loin derrière le seinen (un cinquième des ventes) et le shôjo (5 % des ventes). A noter que par rapport à un seinen qui marque le pas, le shôjo enregistre une belle progression en 2022 (+16 %). cependant, on notera que la série shôjo enregistrant les meilleures ventes en 2022 est Horimiya, devant le vétéran Nana et Chi, une vie de chat. Soit techniquement, un shônen, un shôjo et un seinen — je vous renvoie à cet article qui essaie d’aborder la complexité de ces classifications, et la pertinence de leur application sur le marché français.

Côté albums plutôt franco-belges (pour faire vite, en réalité l’agrégat BD DE GENRES+BD JEUNESSE), on retrouve également une dynamique globale positive, malgré le recul de 2022 (-10 % en volume / -5 % en valeur), puisque l’on reste très au-dessus du niveau de 2019. En fait, 2022 s’inscrit à +28 % en volume et +39 % en valeur par rapport au niveau moyen des ventes sur 2017-2019 — résultat d’une dynamique de croissance long-terme des BD DE GENRES, et d’un regain de la BD JEUNESSE plutôt stable depuis 2010.


… et la croissance des BD DE GENRES est assez fortement soutenue par les romans graphiques, qui représentent 30 % des ventes du segment sur 2021-2022. oui, vous avez bien lu, 30 %.

Dans ce cas également, il faudra peut-être à un moment que certains journalistes arrêtent de le considérer comme un format exceptionnel, portant des projets « élitistes » et des « œuvres avant-gardistes et radicales ».

Enfin, disons deux mots du segment des COMICS, qui connaît également une bonne année : stable en volume, +2 % en valeur par rapport à 2021. entre 2018 et 2022, c’est +34 % en volume et (seulement) +14 % en valeur que le segment enregistre.

Bien sûr, cette dynamique particulière est liée à l’introduction des collections à petit prix, destinées en priorité à la grande distribution, qui sont devenues plus ou moins un événement récurrent depuis 2019. J’ai régulièrement exprimé mes réserves quant à l’efficacité de ces opérations dans le recrutement de nouveaux lecteurs, mais je vais essayer de nuancer un peu tout cela, avec une très rapide analyse.
Sur 2019-2022, 99 % des titres à moins de 3€ ont été vendus dans les GSA (Grandes Surfaces Alimentaires) ; sur la même période, 93 % des titres à plus de 6€ ont été vendus *ailleurs* que dans les GSA, principalement en librairie, en ligne et en GSC (Grandes Surfaces Culturelles). (au passage, les titres à moins de 3€ correspondent aux opérations Panini. les opérations Urban, à 4,8€ ou plus, existent au sein de tous les circuits de distribution, et réalisent la majorité de leurs ventes en librairie ou en GSC) Aaux réserves que j’émettais sur la différence des prix pratiqués entre ces opérations et les standards du segment, se rajoute donc une question de lieu d’achat — lieu qui est bien souvent le reflet d’habitudes de consommation. La GSA est le lieu de l’achat impulsif par excellence, ce qui signifie aussi un achat qui est rarement suivi d’un autre (puisque l’on fonctionne par opportunité). bref, ça fait indéniablement du chiffre, mais du recrutement, c’est moins sûr.

Pour conclure, un rapide point sur l’évolution des prix, puisque l’on parle beaucoup de crise du papier et d’inflation. Pour analyser la chose, je vous dégaine mon graphique désormais habituel des ventes par niveau de prix, pour 2018-2022.

On y repère sans problème les « standards » des différents sous-segments : le manga à 7€, la bande dessinée jeunesse autour de 11€, BD DE GENRE et premiers COMICS à 15€. Le pic à 3€ est partagé entre les COMICS à petit prix et les premiers volumes de séries manga à moitié prix. Le bilan de ce graphique, c’est que globalement, les prix semblent stables, en dehors d’une augmentation qui touche le standard des « albums jeunesse » qui passe de 10€-11€ à 11€-12€ (les abscisses indiquant la borne supérieure de la tranche de prix).
Mais bon, si vous êtes fidèle à cette rubrique qui va redevenir hebdomadaire (je vais essayer de m’y tenir, promis), beaucoup de ces questions vous sont familières. Pour les autres, je vous renvoie à la saison 1 du #Tour de Marché, ou cette saison 2 en cours.

Dossier de en février 2023