#TourDeMarché (2e saison)
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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)
Vendredi, comme d’habitude, c’est #TourDeMarché, et puisque l’on a beaucoup parlé de retraites ces derniers temps, on va s’intéresser à la situation des auteurs de bande dessinée, et la prise de conscience que l’on a vu émerger ces dernières années. C’est parti !
L’évolution de la situation des auteurs a accompagné les transformations de l’économie de la bande dessinée depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, qui (pour faire vite) va passer par quatre phases d’évolution.
Dans un premier temps, la bande dessinée n’existe qu’au sein des journaux. les auteurs reportent au rédacteur en chef, et sont soit pigistes (statut de journaliste) ou rédacteurs (donc salariés). Les éditeurs assument le risque lié à la réussite des journaux qu’ils publient.
La deuxième phase correspond à l’apparition de l’album de bande dessinée durant les années 1960, les éditeurs de presse devenant aussi éditeurs de livres. Les auteurs ne changent pas de statut, les élus ayant ainsi droit à une « seconde vie » bénéficient de droits d’auteurs. Dans cette situation qui combine le meilleur des deux mondes, les éditeurs y gagnent également des revenus supplémentaires et une visibilité supplémentaire qui vient consolider la réussite des journaux, et pas ricochet celle des auteurs qui y sont publiés.
Les années 1980 marquent le début de la troisième phase, avec le déplacement du marché des journaux vers les albums. La prépublication disparaît, mais les auteurs continuent d’être rémunérés sur la base d’un statut de pigiste, sur la base d’un prix à la page. D’autres modalités de rémunération (fixe, puis avance récupérable ou « faux fixe ») vont émerger, et s’installer durablement grâce à la forte croissance que connaît alors le marché.
Enfin, la quatrième phase commence au tournant des années 2000, alors que les ventes moyennes par titre s’effondrent. On abandonne le système de prix à la page pour des à-valoir (soit des avances sur droits), que l’éditeur se rembourse sur les ventes des ouvrages. Les revenus des auteurs en pâtissent, puisque la baisse de ventes fait que la perception de droits d’auteur additionnels devient hypothétique. Côté éditeurs, c’est une équation insoluble : comment rémunérer autant les auteurs pour des livres qui se vendent moins ?
En 2007 est créé le Syndicat BD (Groupement des Auteurs de Bande dessinée, au sein du SNAC – Syndicat National des Auteurs et Compositeurs), qui va jouer les médiateurs entre auteurs et éditeurs, puis s’emparer de la question des droits numériques face au lancement d’Izneo[1]. Ces premiers échanges contribuent à mettre en lumière la crispation qui existe autour de la rémunération des auteurs, et qui dépasse largement le seul cadre du numérique… et débouchent sur l’annonce des Etats Généraux de la Bande Dessinée à Quai des Bulles en octobre 2014.
Les EGBDs s’ouvrent solennellement durant le Festival d’Angoulême le 30 janvier 2015, en présence de l’ensemble des acteurs du petit monde de la bande dessinée (syndicats d’auteurs et d’éditeurs, CNL, Ministère, etc.) qui se déclarent unanimes quant à l’importance de la chose. Dans les faits, c’est surtout un trio d’auteurs qui va se jeter à corps perdu dans la cause : Denis Bajram, Valérie Mangin et Benoît Peeters. Un site est ouvert qui doit accueillir différents cahiers de doléances.
L’heure est alors grave, puisqu’une modification du régime de retraite complémentaire obligatoire des artistes-auteurs (RAAP) vient toucher une profession que l’on sait déjà alors fragilisée. une première enquête sur la situation des auteurs est lancée. Les résultats de cette « Enquête auteurs » sont présentés au Festival d’Angoulême en janvier 2016, et font l’effet d’un électrochoc : la moitié des auteurs ayant répondu déclarent un revenu annuel inférieur au SMIC, et un tiers d’entre eux sont en-dessous du seuil de pauvreté.
En septembre 2016, les premières Rencontres Nationales de la Bande Dessinée s’attardent sur les résultats de cette enquête, le titre choisi soulignant une forme d’urgence à agir : « La bande dessinée au tournant » (notons que cette enquête demeure aujourd’hui un document exceptionnel et passionnant sur une profession que l’on a du mal à percevoir dans l’ensemble de sa diversité, tant du point de vue de sa sociologie, de ses pratiques ou de son économie). Les auteurs sont la variable d’ajustement de l’économie de la bande dessinée — cette prise de conscience rejoint celle d’autres collectifs d’auteurs œuvrant dans d’autres domaines du livre et mène à la création de la Ligue des Auteurs Professionnels, en septembre 2018.
En avril 2019, le Ministère de la Culture missionne Bruno Racine (ancien président du Centre Pompidou et de la BNF) pour réaliser un état des lieux de la profession. Initialement prévu pour le 15 novembre 2019, il est finalement publié le 23 janvier 2020. Le constat d’une profession mal rémunérée y est le même : « Les artistes-auteurs, dont le temps de travail n’est pas rémunéré en tant que tel, pâtissent […] du déséquilibre des relations avec les acteurs de l’aval (éditeurs, producteurs, diffuseurs, etc.). »
Très attendu par les associations d’auteur.ices (et moins par le SNE), le « rapport Racine » propose « 23 recommandations qui ont pour objectif de prendre en compte la demande de statut des artistes-auteurs à travers une meilleure reconnaissance de leur professionnalité, de définir un nouveau cadre de concertation, dans lequel ceux-ci seraient mieux représentés, de proposer à la négociation collective une feuille de route de réformes protectrices et, enfin, de renforcer les politiques publiques de soutien aux artistes-auteurs. »[2]
Au Festival d’Angoulême, Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval (lauréats du Prix Goscinny pour Le Dernier Atlas) réitèrent leur appel au boycott du festival, « aussi longtemps que la situation des auteurs et autrices ne s’améliorera pas de manière visible. » En février 2020, Denis Bajram annonce se mettre en retrait de l’action syndicale, après plusieurs années à avoir « plus été syndicaliste qu’auteur de BD » et est succédé par Samantha Bailly à la présidence de la Ligue des auteurs professionnels.
Problème de timing, alors que se déclenche la pandémie du COVID-19 ? le rapport Racine peine à se transformer en mesures concrètes. le Ministère de la Culture annonce un plan d’action en février 2020, suivi en mars 2021 par un nouveau plan du gouvernement. Destiné à soutenir les artistes-auteurs, ce plan ne retient qu’une partie des recommandations préconisées par Bruno Racine, et promet la mise en place de plusieurs dispositifs d’ici à la fin du quinquennat alors en cours (soit 2022). Suite à cette annonce, Samantha Bailly démissionne de la présidence de la Ligue des auteurs professionnels, dénonçant le « manque criant de courage [des pouvoirs publics] face à des lobbies très installés. »
Le 12 mars 2021, le fameux plan gouvernemental est annoncé. Télérama titre « Le rapport Racine, enterré six pieds sous terre », soulignant que « aucune des mesures phares de ce rapport […] n’a été retenue ». 24 octobre 2022, nouveau rendez-vous entre auteurs, éditeurs et ministère de la Culture, pour la signature d’accords qui ne se fera pas, le SNE s’indiquant « très attaché au modèle actuel ». C’est là qu’on en est rendu aujourd’hui, chacun en tirera les conclusions qui s’imposent.
Pour compléter ce rapide panorama historique, je vous encourage a aller lire les publications de Pierre Nocerino, dont la thèse s’intéresse beaucoup plus savamment à ce que je viens de décrire : « Les auteurs et autrices de bande dessinée : la formation contrariée d’un groupe social ».
Notes
- Algésiras m’a rappelé à juste titre que dès 2001, l’ADABD se constitue pour protester contre l’augmentation des prix d’entrée au FIBD, et organise en 2002 un colloque national où les auteurs de bande dessinée viennent échanger autour des problèmes de la profession.
- Débouchant sur la création du collection AAA, « Autrices Auteurs en Action », me rappelle utilement Marie Gloris Bardiaux-Vaïente.
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Super contenu ! Continuez votre bon travail!