#TourDeMarché (2e saison)

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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

Vendredi est de retour, c’est donc #TourDeMarché, et comme promis la semaine dernière, on va se pencher aujourd’hui sur les collections et opérations à petits prix dans le monde merveilleux de la bande dessinée. C’est parti ! Je précise « collections et opérations », parce qu’on peut répartir en trois catégories les titres concernés : les opérations limitées, les collections dédiées, et les changements de prix (en vue d’un recrutement). Je vais détailler tout cela.

Les opérations limitées, ce sont ces campagnes souvent annuelles, qui proposent (jusqu’à épuisement des stocks) certains titres à un prix très réduit (une poignée d’euros). J’en ai beaucoup parlé à propos des COMICS, mais il y en a aussi pour la bande dessinée franco-belge. Il y a, il me semble, cette quasi-tradition de « la bande dessinée de l’été », qui continue de promouvoir l’idée d’une lecture détente à pas cher, s’appuyant bien souvent sur des héros populaires établis de longue date et généralement destinée à un public (très) jeune. S’associant à l’initiative « Lire en short » du Ministère de la Culture lancée en 2015, « L’été BD » propose chaque année 1 million d’albums à 3€ principalement tirés du catalogue de Média-Participations. Même approche ou presque avec les 48H BD, qui propose depuis 2013 un certain nombre d’ouvrages à prix cassé. En 2023, ce seront ainsi 220 000 bandes dessinées à 3€ qui seront mises en vente le 31 mars et 1er avril prochains.
A ces exemples impliquant plusieurs éditeurs (quand bien même ils dépendraient du même groupe), il faut rajouter des initiatives plus individuelles fonctionnant sur le même principe d’une collection spécifique disponible en quantité limitée. Ainsi le groupe Bamboo a commencé par proposer une collection limitée Top Humour à 5€ en 2016, renouvelée en 2017, avant de faire plusieurs opérations (Collect’or à 3€ en 2019, Best Of à 1€ en 2020 et 2021) destinées exclusivement aux GSA. C’est dans cette catégorie qu’il faut classer une bonne partie des opérations évoquées du côté des COMICS : les opérations Panini (Grandes Batailles/Grandes Alliances côté Marvel par exemple) à 3€ et les opérations de l’été d’Urban à 4,80€.
Vous noterez que je parle beaucoup des GSA (Grandes Surfaces Alimentaires, soit supermarchés + hypermarchés). C’est parce qu’il s’agit d’un circuit de distribution difficile à conquérir pour le livre, mais au potentiel commercial énorme… et donc important. Une bonne partie des enjeux du livre (notamment pour le Ministère de la Culture), c’est d’amener les Français à fréquenter ses lieux de vente. D’où la satisfaction par rapport au Pass Culture, qui aurait un effet positif sur les habitudes de consommation des jeunes.
Pour les éditeurs, les GSA sont le seul circuit capable de toucher un très large public, tout en étant le lieu d’un achat majoritairement spontané : seulement 29 % d’achats « prémédités » en GSA, contre 53 % en librairie, selon l’étude SNE/GfK pour les RNL 2017. Pour les GSA, la question est de rentabiliser au maximum le « mètre linéaire » (de rayonnage). Ce qui explique que ce circuit n’investit que dans les « valeurs sûres » qui ont déjà fait leurs preuves sur le marché. Dit autrement : si une bande dessinée est vendue dans les GSA, c’est que c’est *déjà* un succès, et le fait d’être mis en vente dans ce circuit va venir amplifier ce succès acquis par ailleurs. Les collections « à petits prix » pouvant de plus constituer un produit d’appel.

Les collections dédiées relèvent d’une autre approche, qui tourne autour de cette pierre philosophale que constituerait le format poche, ou tout du moins un format susceptible de donner une seconde vie aux titres publiés, alternative plus accessible au format « luxueux ». Je renvoie à ce texte de Sylvain Lesage concernant l’historique de certaines ces initiatives du siècle dernier, qui ont toutes été finalement abandonnées. Mais ces dernières années, plusieurs éditeurs se sont à nouveau laissés tenter par l’expérience : Casterman, Futuropolis puis Dupuis et bientôt Sarbacane (côté franco-belge), et Urban (côté comics) proposent des petits formats souples à un prix tournant autour de 10€.
Dernier cas de « petit prix », les changements de prix que l’on peut observer, principalement du côté des premiers tomes de certaines séries manga, et dont l’objectif est d’essayer d’encourager la découverte et de recruter de nouveaux lecteurs. Le cas d’école est bien sûr Naruto, dont les trois premiers volumes sont proposés à 3€ depuis 2016, mais on peut aussi citer Fairy Tail, avec les 5 premiers tomes à 3€ depuis 2018. et d’autres encore qui leur ont emboité le pas.

Côté marché, voici ce que donnent les ventes en volume pour les titres avec un prix moyen inférieur à 5€, par grand segment. Ce qui permet de voir que ce n’est pas un phénomène nouveau, mais qu’il s’est récemment amplifié côté MANGAS et COMICS en particulier.

Même constat si l’on regarde les titres avec un prix moyen inférieur à 3€ — si ce n’est que c’est une pratique quasiment absente sur le segment des MANGAS, d’autant plus quand on la ramène à ses ventes globales ces dernières années.

Autre particularité des MANGAS, le fait que les GSA restent minoritaires dans les ventes de ces ouvrages à prix réduits, puisque ce circuit de distribution ne pèse que pour un gros quart de leurs ventes globales (comparé à un cinquième pour l’ensemble du marché). Pour comparaison, Albums et COMICS réalisent en gros 60 % des ventes en volume des « petits prix » (inférieurs à 5€) en GSA, ce qui ne fait que souligner la différence fondamentale avec l’approche adoptée par les éditeurs de MANGAS. Plus encore, du côté des COMICS, on note l’importance des GSA pour les collections à moins de 3€, qui y écoulent la quasi-totalité de leurs exemplaires, alors que les autres petits prix (entre 3€ et 5€) du segment n’y vendent qu’un sixième du volume total.
Quant aux nouvelles tentatives de format « poche » (ou équivalent), il me semble nécessaire d’avoir un peu plus de recul pour pouvoir vraiment juger de leur impact sur les ventes… et éventuellement sur le lectorat. affaire à suivre, donc.

Dossier de en février 2023