#TourDeMarché

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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

Cette semaine, on va parler de l’évolution du prix de la bande dessinée. Alors tout d’abord, il faut rappeler que la bande dessinée est un livre, et que comme tout livre, son prix est régi par la loi n°81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, généralement appelée « loi Lang » (cf. Wikipedia pour les détails).
Pour aller vite : l’éditeur fixe le prix du livre neuf, qui est donc le même quel que soit l’endroit où il est vendu (avec la possibilité d’une réduction de 5 % maximum). le livre peut être soldé deux ans après sa sortie, sous réserve d’avoir été six mois en stock. L’intérêt de cette loi, c’est de protéger les libraires contre la grande distribution. J’avais essayé de décortiquer comment tout cela fonctionnait il y a longtemps (en 2008) en comparant avec ce qui se passait au Royaume-Uni, c’est ici. On trouve des lois similaires dans un certain nombre de pays (cf. Wikipedia, encore), avec plusieurs autres où elle serait à l’étude. Bref, je suis persuadé (comme beaucoup d’autres) que c’est une bonne chose.
Selon la loi Lang, le prix du livre doit être imprimé sur sa couverture. les éditeurs s’aménagent un peu de flexibilité en ayant recours à des codes-prix, dont le montant est fixé par une grille de prix (qui elle, peut varier). Côté bande dessinée, le SNE publie deux fois par an (en janvier et en juillet) une grille de prix couvrant une partie (ou peut-être tous, c’est difficile de savoir) des éditeurs membres, que l’on peut récupérer sur cette page.

Dans les bilans annuels basés sur les chiffres de GfK, on donne souvent le prix moyen (ARP pour les anglophones, pour Average Retail Price), qui se calcule assez facilement, en divisant le chiffre d’affaires par les ventes en volume. ce qui donne la courbe suivante.

Deux choses à ce sujet. tout d’abord, ce n’est qu’une moyenne, c’est donc une donnée super pauvre, qui ne rend absolument pas compte de la complexité du marché qu’elle est sensée représenter. Il faut donc la manier avec précaution. En effet, on peut arriver à la même moyenne avec des situations très différentes : ainsi, les séries (1 1 1 1 16), (1 2 4 6 7) et (4 4 4 4 4) ont toute une moyenne de 4 pour cinq valeurs, mais ne sont en rien comparables (vous aussi, amusez-vous à en trouver d’autres). Ce premier point se retrouve lorsque l’on s’intéresse aux prix moyens des quatre grands segments identifiés par GfK sur le marché de la bande dessinée (BD DE GENRES, BD JEUNESSE, COMICS et MANGAS), comme on peut le voir ici.

Deuxième point qui a son importance : l’inflation, et notre difficulté à la prendre en compte dans notre perception des évolutions du marché. Ce qui fait que l’on trouve souvent que tout était moins cher « avant ». L’INSEE en assure le suivi, ici : Entre 2003 et 2019, le prix moyen sur le marché de la bande dessinée est passé de 9,3€ à 11,5€, soit une augmentation de 2,2€ (ou +24 % !). Sauf que la quasi totalité de cette augmentation s’explique par l’inflation (courbe pointillée sur le graphique ci-dessous). (pour les curieux, reportez-vous au Panorama de la Bande Dessinée publié l’année dernière, dans lequel j’évoque l’évolution du prix d’un album de Tintin depuis 1952, corrigée de l’inflation)

Soyons honnête, les choses sont beaucoup plus compliquées quand on commence à regarder segment par segment, et l’inflation ressort beaucoup plus comme un facteur contextuel global que comme une variable explicative. Il nous faut donc un nouvel outil. Après pas mal de tâtonnements, voici ce que j’ai trouvé qui fonctionne le mieux : considérer la répartition des ventes en volumes selon le prix moyen de vente des ouvrages pour l’année considérée. C’est un peu lourd à mettre en œuvre, mais c’est assez efficace. L’avantage de cette approche, c’est qu’elle permet d’identifier facilement les « standards » de prix sur le marché, de suivre leur évolution dans le temps — et d’apporter des éléments d’explication à ces dynamiques. Voici la courbe pour l’ensemble du marché, mettant en perspective l’évolution de sa structure selon le prix pour la période 2010-2012, et la période 2018-2020. Les abscisses sont en euro, les ordonnées en millions d’exemplaires.

On y remarque la présence du standard « manga » autour de 7€, qui est stable entre les deux périodes ; et deux standards (autour de 10-11€ et de 14-15€) qui ont évolué à la hausse, et qui correspondent à ce que l’on rencontre du côté de la bande dessinée franco-belge. A noter que l’évolution à la hausse de ces deux standards s’explique essentiellement par l’inflation (14€ de 2011 correspondant à 15,1€ de 2019). Le manga ressort plutôt comme une anomalie, en maintenant volontairement un positionnement sur un niveau de prix autour de 7€.
Le graphique montre aussi l’arrivée des collections à petit prix (autour de 3€), mais aussi un plus grand nombre d’ouvrages à des prix supérieurs à 17€ (et peut-être le début de l’apparition d’un nouveau standard autour de 20€). Ce sont généralement des ouvrages qui correspondent aussi à une offre éditoriale qui s’écarte sensiblement du format de l’album (ce que l’on couvre souvent sous l’appellation assez floue de « roman graphique »), et qui justifient ainsi d’un prix plus élevé. Mais on voit bien comment l’évolution du prix moyen du marché est plus impactée par l’augmentation (naturelle) des prix « standards », qui concentrent la majorité des ventes, que par l’introduction de ces ouvrages à prix plus élevés.

 

Dossier de en février 2022