[SoBD2014] Revue de littérature

de

Renaud Chavanne : Laissons la maison Spirou à présent et passons au concurrent pour parler de la bibliographie Hergé parue aux Impressions Nouvelles.

Manuel HirTZ : C’est donc Tintin, Bibliographie d’un mythe d’Olivier Roche et Dominique Cerbelaud. Comme tout le monde le sait, l’œuvre d’Hergé a suscité une prose et des commentaires à n’en plus finir. C’est d’ailleurs un exemple à peu près unique à ma connaissance dans l’histoire de la bande dessinée. Nos deux hardis auteurs ont décidé de constituer une bibliographie de l’intégralité de ce qui a été publié sur Hergé, avec des notules critiques pour chaque ouvrage ainsi qu’une petite notule bibliographique extrêmement serrée et compétente. On trouvera donc ici les biographies d’Hergé, les analyses structurales, les analyses freudiennes, les occultisants qui se sont penchés sur Hergé — tout, y compris même les œuvres complètes, les albums commentés, les Tintin et littérature, les historiques… tout ce qu’on peut imaginer. L’ouvrage est tout-à-fait remarquable. Pour avoir moi-même, avec Harry Morgan, produit un ouvrage de ce type, je sais quel travail cela demande, et là, vraiment, on ne peut qu’être admiratif. De plus, les auteurs ne manquent pas d’humour, ce qui facilite la lecture, car on lit la chose facilement, comme un catalogue. C’est extrêmement curieux et extrêmement amusant.
J’aurais tout de même quelques légers reproches à faire à l’ouvrage : les auteurs me semblent par moment d’une bienveillance excessive envers les livres qu’ils commentent. On a parfois l’impression qu’une grande ferveur hergéenne suffit à produire un bon livre, ce qui fait que quelques ouvrages qui me semblent plutôt relever du collage d’images sont appréciés comme intéressants. Par ailleurs, en ce qui concerne les ouvrages les plus théoriques, Olivier Roche et Dominique Cerbelaud ont un peu tendance à mettre tout le monde au même niveau. Ce qui fait que des livres vraiment excellents, comme ceux de Benoît Peeters, par exemple, ou d’Apostolidès, sont mis pratiquement au même niveau que des ouvrages qui sont, me semble-t-il, ni faits ni à faire.
C’est donc un livre qui est utile pour beaucoup de monde — évidemment pour le fan d’Hergé qui voudra tout avoir. Mais aussi pour celui qui veut avoir une bibliothèque un peu plus choisie et qui donc pourra sélectionner les bons ouvrages. Et aussi pour celui qui, passant de cette paralittérature de la paralittérature, voudra faire la paralittérature de la littérature un jour.

Sylvain Insergueix : Je rappelle que la couverture est une parodie du dessin représentant Tintin avec ses propres albums.

Renaud Chavanne : Nous avions déjà beaucoup de livres sur Tintin, maintenant il faut un livre pour les recenser…

Sylvain Insergueix : C’est terrible pour les libraires, parce que la moitié de ces livres sont épuisés, et évidemment les gens cherchent et… pour un libraire, ne pas pouvoir contenter un lecteur, c’est un truc terrible.

Renaud Chavanne : Nous allons quitter le champ belge pour traverser l’Atlantique et parler d’un livre paru chez Ab Irato consacré au Little Nemo de McCay. Il y a très peu de livres, très peu de travaux qui existent et qui sont disponibles aujourd’hui consacré à ce géant de notre littérature. Ce n’est pas un mal d’avoir un livre…

Florian Rubis : Effectivement, l’existence de ce livre est déjà une bonne chose. On a le même problème en français pour tous les grands fondateurs des comics en Amérique du Nord. Les publications manquent, y compris de leurs œuvres elles-mêmes. On est donc toujours content de disposer d’un nouveau travail sur un dessinateur de cette dimension.
Commençons par citer l’auteur : c’est à Balthazar Kaplan, que nous devons ce petit ouvrage. La première chose qui m’a interpellé, c’est la forme de l’ouvrage. J’ai été très marqué par sa composition, qui reprend dans son principe celle de la planche qui constitue chaque histoire de Little Nemo. C’est une excellente idée. Le préambule au rêve, au cœur du rêve, que suit toujours le réveil brutal à la fin. Je suppose que vous connaissez un minimum Little Nemo, que vous connaissez le principe de la planche : à chaque fois, après un voyage au pays de Slumberland (le pays des rêves), Nemo se réveille brutalement chez lui en tombant de son lit. La forme du livre de Kaplan s’inspire des pages de McCay.
Cependant, au-delà de cet aspect du travail, on peut être un peu plus sévère, parce qu’il y a des petits problèmes concernant cette forme. Le sens du détail n’est pas extrêmement poussé. On y trouve des choses intéressantes, comme les lettrines qui reprennent des formes qui sont celles de l’Art Nouveau, autrement dit des influences artistiques qui furent celle de McCay à son époque. L’élaboration du livre lui-même aurait sans doute demandé un plus d’attention, mais ce n’est pas rédhibitoire non plus.
Quant au fond, ce n’est pas un ouvrage bien épais. Certaines notions que développe l’auteur sont très pertinentes, comme cette idée du personnage en creux (qui n’est cependant pas nouvelle pour qui s’intéresse à la bande dessinée). Un chapitre est consacré au nom « Nemo » lui-même, ce qui me semble être fondamental pour ce personnage. J’ai noté encore des choses excellentes sur le rapport texte et image, d’autres sur la dimension onirique de l’œuvre, et puis cette idée plaisante selon laquelle on se situe à un stade de naïveté qui précède tout juste l’essor de la psychanalyse. Ses développements vont ensuite compliquer le débat sur ce type d’œuvre.
Je ne connais pas personnellement l’auteur, mais il semble se placer dans un type d’analyse marquée par le franco-belge, voire assujettie à ses conceptions, d’avantage que le lecteur « naturel » de comics. On se trouve néanmoins aussi dans le prolongement du travail de Peter Maresca, qu’il faut bien sûr citer, même si cela peut paraître élitiste ou pas à la portée de toutes les bourses. Maresca a réédité l’œuvre de McCay à son format initial de publication dans les journaux américains de l’époque. La grande taille est une facette centrale de l’œuvre de Winsor McCay, y compris comme ressort narratif. Le gigantisme est l’un des thèmes récurrents dans les planches de Little Nemo elles-mêmes.

Renaud Chavanne : Les illustrations sont en effet extraites des travaux de Maresca. Vous savez probablement que Maresca est l’une des personnes qui tâche de reconstituer l’œuvre de McCay. La production des dessinateurs américains du début du XXe siècle est souvent perdue, ou accessible uniquement au travers de reproduction de mauvaise qualité. Il y a quelques années, une édition intégrale du Dream of the Rarebit Friend (Les Cauchemars de l’amateur de fondue au Chester) de McCay a été imprimée en Egypte par Ulrich Merkl. Un ouvrage monumental. Une partie des planches originales n’est plus disponible, y compris dans des reproductions imprimées sur journaux d’époque. La seule façon d’avoir accès au dessin d’origine, ce sont parfois les microfilms qui archivent une partie des journaux quotidiens américains. Mais le microfilm est une structure périssable, dont la qualité n’est pas propice aux images et qui n’intéresse pas grand monde. Plus personne n’a de lecteur de microfilms, alors que cela reste la seule façon d’accéder à une partie des œuvres d’auteurs aussi monumentaux qu’un Winsor McCay.

Florian Rubis : Pour continuer sur cette idée d’un prisme franco-belge, j’ai été un peu surpris que l’importance du « kid strip » ne soit pas plus évoquée. Il y a aussi quelques petits problèmes de relecture (l’auteur parle de la « loi de 1947 » au lieu de 1949) — mais ce n’est pas très grave. Pour conclure, c’est un ouvrage qui a le mérite d’exister en français, car on en trouve peu sur cet auteur majeur et pilier fondateur. Je voudrais d’ailleurs citer les ouvrages qui comptent à ce sujet : en français, on a Little Nemo au Pays de Winsor McCay qui a été publié en 1990 avec la participation des gens du CNBDI…

Renaud Chavanne : Epuisé depuis belle lurette.

Florian Rubis : Ouvrage intéressant qui venait après la première édition de Winsor McCay : His Life and Art de John Canemaker en 1987 (il y a eu une deuxième édition en 2005). Pour moi, c’est l’ouvrage majeur en langue anglaise sur le dessinateur. On y apprend beaucoup de choses intéressantes sur l’homme lui-même et sur l’artiste. Ce livre a été écrit par un spécialiste de l’animation, et on sait que Winsor McCay est aussi un pionnier de l’animation en Amérique du Nord. Cet ouvrage vérifiait même sa date de naissance, qui n’était pas connue avec certitude à l’époque. Un ouvrage de référence pour ceux qui lisent l’anglais.

Renaud Chavanne : A également été publié Little Nemo 1905-2005 un siècle de rêves, dans le même format, une dizaine d’années aux Impressions Nouvelles (on aura beaucoup parlé des Impressions Nouvelles aujourd’hui). Ce livre est aussi épuisé. Autrement dit, il y a de la littérature qui existe sur Winsor McCay, mais il faut aller la chercher dans les bibliothèques, car le seul ouvrage que l’on peut trouver aujourd’hui dans les librairies, c’est celui de Kaplan.
Une petite chose amusante : Kaplan est un personnage qui a été connu dans les années quatre-vingt pour sa participation à la revue Dorénavant, une revue critique qui se voulait avant-gardiste, et co-fondée avec Barthélémy Schwartz. Ce dernier est l’un des co-éditeurs de Ab Irato. Ce texte prend ainsi sa place dans le prolongement d’une réflexion critique qui était extrêmement audacieuse dans les années quatre-vingt. Je dirais pour conclure que le Little Nemo de 2015 d’Ab Irato n’a pas l’audace des textes de Dorénavant.
Revenons à présent sur la sphère française pour évoquer le Complexe d’Obélix, troisième livre de Nicolas Rouvière.

Harry Morgan : C’est le troisième ouvrage de cet auteur, ouvrage inspiré par la thèse de monsieur Rouvière. Le point de vue change dans chacun des livres de Nicolas Rouvière, il ne s’agit donc pas de redite. Le précédent, Astérix ou la parodie des identités parlait de la notion de culture et de particularismes culturels ; le premier, Astérix ou les lumières de la civilisation abordait les problématiques d’ordre politique, en particulier les notions de chauvinisme et d’éthnocentrisme, Astérix étant évidemment, par sa nature-même, en butte à l’accusation de défense des souches françaises. D’une certaine façon, c’est une bande dessinée qui a  besoin de se défendre face aux attaques, depuis le tout début et la parution dans Pilote, lorsque la célèbre Commission de Surveillance (l’organisme de censure français) reprochait les casques à pointe des Goths dans Astérix chez les Goths, craignant que l’on réveillât les vieilles querelles.
Ce troisième volume adopte une perspective complètement différente, qui est la perspective psychanalytique. Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une psychanalyse d’Obélix, l’auteur dérivant volontiers dans une psychanalyse du village gaulois et de ses protagonistes dans leur ensemble — et donc en particulier aussi une psychanalyse des notions de pères et des notions d’autorité. On commence effectivement sur Obélix et des problématiques du style régression au stade oral, puisque Obélix est un gourmand, il est tombé dans la marmite ; des problèmes de relation au père ou à la mère, toujours avec cette idée de marmite et de nourriture. Je dirais que le travail de l’auteur est facilité ici — il fallait naturellement remarquer qu’Obélix est un enfant, mais après tout tous les personnages de bande dessinée sont des enfants d’une certaine façon. Les personnages comiques sont souvent dessinés de petite taille avec des têtes trop grandes par rapport au corps, ce qui est un trait de néoténie. J’irais plus loin, tous les personnages de Goscinny sont des enfants : après tout, les Gaulois d’Astérix ne sont pas très différents des amis du Petit Nicolas. Tout ce petit monde-là se caractérise par un naturel enfantin, qui s’exprime dans le désordre, la désobéissance et la bagarre généralisée. La bagarre, une autre chose qui ne plaisait pas du tout aux organismes de contrôle de la bande dessinée dans les années 1960. Cette bande dessinée avait tout pour déplaire.
Nicolas Rouvière arrive à des notions très classiques sur les tripartitions du druide, du barde et du chef. On reconnaît des idées classiques sur l’analyse politique de nos sociétés. J’ai été moins convaincu par certaines analyses lacaniennes. Je ne sais pas si le sanglier c’est effectivement le « sang-lier » comme le veut l’auteur — on a parfois l’impression malgré tout que le trait est un peu forcé. Par contre, j’ai été tout-à-fait sensible à l’emprunt à René Girard sur la rivalité mimétique, selon le principe que l’on n’est jamais rival que de son double. En fait, on n’est pas rival de la personne, on désire l’objet que désire l’autre parce que l’autre le désire, et il se trouve que cela s’applique bien dans le cadre d’Astérix.
L’ouvrage a l’avantage aussi de progresser en palier, par ordre d’intérêt. Et la fin me paraît particulièrement réussie, parce qu’elle reprend la question de l’enfant Obélix dans son parcours d’apprentissage et d’évolution. Les cinquante dernières pages sont, sous le couvert de cette analyse d’un Obélix qui grandit ou pas, une fine et assez amusante critique d’une certaine culture contemporaine qui est basée sur l’individualisme avec tout ce qu’on peut lui reprocher. C’est un peu une critique de l’enfant-roi, mais il y a des échos très clairs de l’idéologie contemporaine, du début du XXIe siècle. On sait bien que dans l’université française (j’ai oublié de dire que monsieur Rouvière était maître de conférence à l’Université de Grenoble), il est parfois jugé de bon ton d’adopter une certaine radicalité, parce que cela vous pose. Il se trouve que monsieur Rouvière est un homme du milieu, un homme de la voie moyenne. Par exemple, l’auteur qu’il cite en théorie politique est Marcel Gauchet. C’est un ouvrage d’honnête homme que nous tenons ici, et j’admire pour finir monsieur Rouvière, parce qu’il est parti de ses lectures d’enfance, et il a réussi à relire en adulte l’œuvre qu’il appréciait enfant, et à en trouver les clés. Et je sais, par ma propre expérience de théoricien, que c’est quelque chose qui n’est pas facile du tout.

Renaud Chavanne : Ce livre sort, et de façon concomitante, disparaît de la circulation le premier livre de Nicolas Rouvière, qui n’est plus disponible à trois mois près. Il me semble que c’est une reprise d’une partie de ce premier travail, beaucoup plus convaincante. Le premier faisait état d’un certain nombre de remarques très judicieuses, comme la marmite qui figure sur la couverture de celui-ci, et qui est un des angles d’analyse du personnage d’Obélix. La tripartie qu’évoquait Harry tout-à-l’heure entre le druide, le barde et le chef du village — tripartie que l’on retrouve également chez les pirates — est un autre des angles d’analyse. Il y a dans ce livre un certain nombre de clés d’étude qui sont extrêmement pertinentes ; déjà présentes dans le premier texte de Nicolas Rouvière, elles me paraissaient plus difficiles à défendre. Avec ce troisième livre, le texte est plus argumenté, chaque proposition fait l’objet de plusieurs exemples au sein du corpus, ce qui rend la démonstration plus convaincante. Il me semble que le remplacement d’un livre par un autre chez le même éditeur, les PUF, correspond peut-être aussi à un travail qui évolue.

Nicolas Rouvière (dans la salle) : En fait, Astérix ou les lumières de la civilisation était un livre politique. C’est-à-dire un livre post-11 septembre, qui prend le contrepied de la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington, et qui pose la question de l’identité, en affirmant que ce n’est pas la lutte entre les civilisations qui est mise en scène dans Astérix (on pourrait en avoir une lecture conservatrice, à l’Américaine). Il s’agit plutôt de défendre une lecture universaliste, en affirmant l’existence d’un principe de civilisation dans Astérix qui confronte les régimes politiques entre eux. La démocratie villageoise est une démocratie, même si elle a l’air anarchique, et elle est face à un empire absolutiste et autocratique, celui de César. Certaines sociétés, comme l’Egypte, sont théocratiques, sur un fondement religieux avec en tous cas une divinisation de la reine. Dans Astérix, on passe d’un régime théocratique, à une autocratie, puis à une séparation démocratique des pouvoirs. On confronte ces régimes politiques et on brouille toujours la frontière entre le civilisé et le barbare. On est toujours le barbare de quelqu’un d’autre. Où se trouve la frontière entre civilisation et barbarie ? Pas entre les cultures, mais plutôt dans les fondements des régimes politiques. La vrai frontière, dans Astérix, est celle qui sépare les régimes démocratiques et absolutistes, des autres régimes qui n’ont aucun fondement symbolique, comme celui des barbares, les Goths, qui sont des représentations d’une société pré-totalitaire. En ce sens, Astérix ou les lumières de la civilisation  était un livre politique.

Renaud Chavanne : Mais Nicolas, les objets d’études étaient quand même les mêmes. Les grands concepts, on les retrouve dans les deux livres. L’approche à la fois ethnographique et psychanalytique existe dans les deux livres. Ce qui n’est pas le cas pour Astérix ou la parodie des identités.

Nicolas Rouvière : Tout-à-fait. Il y un certain nombre d’analyses qui sont reprises, c’est parce qu’Astérix ou les lumières de la civilisation et Le Complexe d’Obélix croisent tous deux psychanalyse et politique. Le premier est cependant plus politique.

Renaud Chavanne : C’était une remarque générale. Au contraire, pour ma part j’ai trouvé ce livre plus convaincant que le premier. Une petite chose qu’a évoquée Harry et qui m’avait beaucoup gêné dans Astérix ou les lumières de la civilisation : on avait parfois le sentiment d’une psychanalyse de personnages. Or il faudrait savoir si une telle psychanalyse a du sens. Dans Le Complexe d’Obélix, ce n’est plus vraiment le cas, on a plutôt l’impression d’aborder une œuvre à l’aide d’outils psychanalytiques. Approche qui me semble plus convaincante.

Harry Morgan : Je crois que monsieur Rouvière répond très bien à cette objection. Il l’a sans doute entendue au stade de la lecture du manuscrit, de la soutenance de thèse ou que sais-je, puisqu’il écrit à la fin : « est-ce que tout cela y est ? Non, naturellement, cela n’y est pas, et vous pensez vraiment que les auteurs ont voulu dire tout ça ? La réponse est non, bien entendu ». Suit une citation de Pierre Glaudes pour dire que l’œuvre commence à signifier par elle-même, c’est-à-dire que le sens déborde toujours des limites fragiles de la cohérence discursive. Moi qui suis de la vieille école, je ferais un pas de plus en disant que commencer à signifier par soi-même et à trouver des cohérences nouvelles, c’est ce qui caractérise la grande œuvre, dont on dit même qu’elle est inépuisable.

Renaud Chavanne : Nous avons évoqué le fond, le texte des livres que nous commentons ici, mais également leur forme. Or, on constate une chose étonnante dans ce livre de Nicolas Rouvière : il ne s’y trouve pas une seule illustration. Parfois c’est dommage. On s’interroge, sachant que la préface est faite par la petite-fille de Goscinny : pourquoi il n’y a-t-il pas d’images ?

Nicolas Rouvière : S’il y a eu des illustrations auparavant, c’est parce que j’ai eu une chance incroyable. À l’origine, lorsque j’ai écrit mon premier livre, Astérix ou les lumières de la civilisation, on n’était pas vraiment habitué à avoir des livres critiques sur Astérix. Je ne sais pas par quel biais c’est passé, mais les illustrations, payées par les PUF, ont été monnayées très cher. La deuxième fois, pour Astérix ou la parodie des identités, une stagiaire remplaçait la personne en charge du copyright. Cette stagiaire a dû avoir beaucoup de charisme parce que pour Flammarion aussi on a eu, par miracle ; une couverture et quelques illustrations. Mais en l’occurrence, pour mon troisième livre, le contexte avait changé : j’avais écrit un article sur les pirates (« Goscinny et les pirates ou l’obsession que le pire rate : la conjuration d’un naufrage de l’Histoire ») expliquant pourquoi certaines obsessions Goscinnyennes à propos de la Shoah émergent de façon indirecte, en partant des Goths pour remonter jusqu’aux pirates en dernière instance. Uderzo avait écrit pour dénoncer cet article comme n’ayant aucun sens et portant une atteinte profonde à son ami, etc. Du coup, je savais qu’avec un titre comme Le Complexe d’Obélix, il n’était pas utile de demander d’autres illustrations. Heureusement, j’ai un ami dessinateur qui m’a fait une superbe marmite…

Renaud Chavanne : Oui, la figure des pirates est extrêmement intéressante et bien abordée dans le livre. Un petit regret, c’est justement que le travail de Nicolas ne porte que sur Astérix. Il y a une autre figure qui me semble intéressante, c’est celle des Indiens dans Lucky Luke. Figure étrange qui mériterait une discussion. Parce que finalement, on ne s’attend pas de Goscinny à ce qu’il représente des Indiens comme il le fait. Mais ce ne sera pas la discussion de ce soir.

Dossier de en septembre 2015