[SoBD2023] Revue de Littérature
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Renaud Chavanne : Je voulais faire un petit passage très rapide sur deux autres livres. Et oui, voilà. A commencer par ce travail universitaire, La fabrique de la bande dessinée, aux éditions Hermann, qui est un livre dirigé par Pascal Robert, dans lequel on trouve un certain nombre de signatures qui sont, connues de la bande dessinée. Enfin donc des gens comme Jean-Paul Gabillet, par exemple, Philippe Marion, Benoît Glaude, Michel Matly, dont nous avons commenté longuement un ouvrage sur les différentes théories de la bande dessinée qui nous avait à la fois beaucoup intéressé mais aussi amusé par son systématisme, sans que nous en nions l’intérêt. Et puis également des interventions de Morvandiau, donc qui est un auteur dont on sait qu’il vient de passer sa thèse sur un point qu’il appelle « la contrebande », et qui est donc aussi une étude de la bande dessinée indépendante, alternative. Enfin, appelez ça comme vous voulez. Et donc lui, il conceptualise ça sous un terme qui s’appelle « la contrebande ». C’est une sorte d’article préalable à sa thèse, qui sera probablement publiée quelque part. On trouve des textes intéressants là-dedans. Par exemple celui de Jean-Charles Andrieu de Levis, que nous avons eu le plaisir d’accueillir en table ronde l’année dernière. C’est un auteur que nous vous recommandons, qui écrit bien, qui a une approche esthétique extrêmement intéressante des œuvres qu’il aborde, généralement marginales, qui ont été importantes du fait même de leur marginalité. Je voulais vous signaler également l’article de Pierre-Alexis Delhaye sur « La maison Lug ».
Florian Rubis : « Lug », ça vient de « Lugdunum »…
Renaud Chavanne : Pour ce qui est de notre sujet, le premier article du livre, « Une certaine idée de la bande dessinée », par Kevin Le Bruchec, c’est très intéressant, à mettre en contrepoint du travail de Hojlo. C’est-à-dire que d’un côté, on a quelqu’un qui fait des interviews, en fait, comme un journaliste qui va interroger des gens. Et puis de l’autre côté, on a quelqu’un qui fait une analyse quantitative de la production indépendante. Et cette analyse quantitative, donc de ce qu’il appelle l’espace des éditeurs alternatifs. En gros, il travaille à partir des éditeurs du SEA, syndicat d’édition alternative. Et il va faire une analyse basée sur les années de création, les statuts administratifs des organisations qui sont en jeu. Est-ce que ce sont des associations, des sociétés, etc. Le volume de production. Et ça nous donne une approche complètement différente qui donne une autre vision d’ensemble, qui n’est pas la vision des intentions des éditeurs, mais qui est la vision de ce qui en ressort en termes de réalité économique. On a mille façons d’aborder cette édition indépendante. Et si le livre de Hojlo vous intéresse, si cette édition vous intéresse, on insiste un peu là-dessus, puisque si vous êtes ici, c’est aussi pour voir les gens qui sont dans la salle en bas. Vous pouvez lire ce texte de Kevin Le Bruchec qui ouvre le collectif dirigé par Pascal Robert.
Je vous propose qu’on parle du livre de Capart. Un personnage que vous pouvez rencontrer en bas sur le stand de Stripologie. C’est lui qui fait également avec d’autres de ses confrères la machine qui sert à distribuer des micros bandes dessinées. Le distributeur à bande dessinée. Philippe Capart s’est fait connaître en produisant un livre avec Erwin Dejasse qui s’appelle Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé, qui est un livre qui a fait date et qui est encore beaucoup cité et beaucoup utilisé. Et puis, il y a une quinzaine d’années, il a racheté le fonds d’un libraire belge, donc un libraire qui faisait de l’occasion et qui avait donc un fonds. Quand le type est mort, il a racheté ce fonds et il a fondé une galerie boutique qui s’appelle la Crypte tonique et qui se trouve galerie Bortier à Bruxelles, avec un espace d’exposition en haut et en bas. Si jamais vous êtes déjà descendu… Moi, oui, c’est une crypte avec tout un tas de trucs posés sur les étagères. Et tu prends un machin comme ça. Et tu t’arrêtes vite parce que tu ne vas pas pouvoir continuer comme ça. Et donc, ce travail de retrouver un fonds d’objet et puis d’avoir du plaisir à valoriser ce fonds, c’est quelque chose qui lui appartient depuis longtemps. Et ce livre, disons qu’il est fondé sur une histoire comme ça. En l’occurrence la transmission d’une collection privée à une institution publique. Donc, le livre s’appelle Du privé au public : la collection Alain Van Passen versée à l’université de Gand. Moi, je m’attendais à ce qu’on parle de ça, cette collection et comment elle arrive dans le public. Mais il va plutôt parler du phénomène de la bédéphilie, c’est-à-dire de tous ces amoureux de la bande dessinée qui se sont mis à produire des textes sur la bande dessinée, à partir des années 1950, 1960. Voilà pour faire une petite introduction générale au livre.
Harry Morgan : On peut dire un mot sur la société secrète… parce qu’il opère au sein d’une société secrète. J’ai juste le droit de dire le nom, Bimbo, d’après un éléphant de bande dessinée. Et les membres de la société secrète correspondent secrètement sur des réseaux sociaux, mais sur des réseaux sociaux privés. Et s’échangent des documents d’intérêt vital. Et donc, il y en a beaucoup plus sur la Toile que dans le livre.
Irène Le Roy Ladurie : Moi, je crois qu’on peut adhérer au club Bimbo.
Harry Morgan : Oui, oui, mais secrètement.
Renaud Chavanne : Moi, je pense que c’est une pyramide de Ponzi, en fait.
Irène Le Roy Ladurie : Je ne dévoilerai pas alors mon adhésion. Mais alors, c’est un livre qui a été rendu possible par le soutien de l’Université de Gand, du programme Comics. En fait, c’est un livre qui est en lien avec les structures universitaires parce que c’est l’histoire d’un fonds d’archives qui est traité et analysé par des universitaires. C’est un numéro de revue. C’est le numéro 16 de la revue La Crypte tonique. Ce n’est pas vraiment un livre. Et il est d’ailleurs difficile, ou du moins il n’est pas si facile de se le procurer. Et donc, en fait, c’est un livre qui reraconte une histoire qui est relativement connue des historiens de la bédéphilie ou des historiens de la bande dessinée, qui a le mérite, à mon avis, de faire un focus sur la bédéphilie belge à travers le personnage d’Alain Van Passen. Alors que c’est vrai que nous, on connaît un peu plus la bédéphilie française et les groupes qui étaient plutôt français. Et en fait, l’autre mérite de ce volume, c’est de mettre en valeur des documents, de les mettre en scène de manière très belle, très visuelle. On peut plonger dedans. On peut vraiment rentrer dans ces objets de collection et de collectionneurs, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Et ça, c’est le grand mérite de cet ouvrage, parce que les ouvrages universitaires, manquant de moyens, même s’ils sont très riches, très précis, ne font pas ce travail. Et en guise de boutade, moi, je finirais par dire que le danger de ce type d’ouvrage, c’est que c’est un ouvrage de bédéphile sur la bédéphilie qui semble mimer le geste de ses ancêtres. Et il y a peut-être quelque chose d’un petit peu, d’un petit peu névrotique dans cette démarche. Mais je dirais que, en tout cas, c’est très agréable à lire. Il y a plein de citations qui sont mises en exergue, dont une que je retiens d’Alain Van Passen à l’époque. L’addiction, on n’en parlait pas. Celle qui m’a fait le plus rire.
Renaud Chavanne : C’est un beau livre. Mais c’est sur le travail global de Philippe Capart que j’insisterai le plus. Techniquement, il s’agit du 16e numéro d’une série ou d’une revue intitulée La Crypte tonique, qui porte le même nom que le magasin-galerie de Capart à Bruxelles. Voilà un auteur indépendant qui mène de façon indépendante des recherches indépendantes. Je veux dire à l’écart. Il s’est récemment rapproché des universitaires belges, contribue aux publications de la collection Acme, des Presses de l’université de Liège. Mais cela reste un chercheur qui travail de façon très solitaire. Un peu bougon, d’ailleurs. Il y a des titres qui sont pour moi remarquables dans ces publications. Un numéro qui porte le très beau nom de Sauvage comme une image et consacré à la représentation des Noirs dans la bande dessinée. On y trouve une double page remarquable avec une grille de dessins de Noirs. Ça mérite d’être regardé.
Manuel Hirtz : Et très curieusement, il revient aux sources en quelque sorte, puisque tout ça est dans une espèce de queue de comète d’après la queue de comète du surréalisme. On est du côté du Bizarre, la revue de Jean-Jacques Pauvert des années 1950, 1960. On est du côté de Losfeld, de Midi-Minuit fantastique, de ce type de production.
Harry Morgan : Une chose très importante, c’est que les gens sont toujours vivants. Par exemple, Pierre Strinati, qui est en réalité le déclencheur de la bédéphilie, parce qu’il écrivait des choses dans la revue Fiction, est presque centenaire, mais toujours vivant.
Renaud Chavanne : Un autre des titres de Philippe Capart, L’œil sur les rails. Il y a des analyses extrêmement, comment dire, percutantes de la représentation du mouvement et de la façon dont le mouvement est abordé dans la bande dessinée.
Voilà donc, vous avez là une figure un petit peu atypique des études sur la bande dessinée qui produit des livres sans nul autre pareil.
Florian, ça fait trop longtemps qu’on ne t’entend pas. Tu vas nous parler de L‘école du Shônen-Jump, chez Kana, qui est justement un des livres didactiques.
Florian Rubis : Plus précisément, Créer un manga : l’école du Shonen Jump. Et tout de suite dans le titre, pour les amateurs, on a la référence à l’un des principaux magazines japonais du shonen, le Weekly Shonen Jump de Shueisha. Donc qui est censé s’adresser à un public plutôt adolescent et masculin à la base, même si c’est de moins en moins le cas. D’autant qu’il y a une perméabilité entre les différents segments éditoriaux du manga. Disons-le, c’est un petit ouvrage très intéressant qu’a publié Kana, et qui sort du lot par rapport aux habituelles méthodes pour apprendre aux jeunes et aux moins jeunes à dessiner du manga. Ils sont tout le temps coulés dans le même moule. On en trouve des tonnes chez nos libraires. C’est souvent plus proche du travail de commande que de la vocation, avec des gens qui font ça pour l’aspect financier, ce qui n’est pas critiquable en soi. Donc voilà comment on dessine telle expression, telle posture, etc. Aussi, c’est d’un classicisme fou. Alors qu’ici, ce n’est pas du tout ça. En fait, on reprend les méthodes du magazine le plus réputé dans le domaine. Et on obtient quelque chose qui présente à la fois un aspect pratique, didactique et qui en même temps se révèle ludique. Puisque dès le départ, c’est scénarisé, avec des personnages. Donc c’est censé s’adresser en priorité au segment du magazine. C’est un public adolescent, etc. Mais je pense qu’un public un peu plus âgé y trouve également son compte. On y voit un mangaka, qui est jeune, mais qui commence à être établi. Et on remonte le temps, revenant sur son parcours et pour savoir de quelle façon il a réussi. Y sont ajoutés deux personnages animaliers, un tantôsha, un responsable éditorial, et un autre personnage du milieu de l’édition. À partir de là, on examine tous les aspects pratiques, donc de la façon dont on conçoit et on réalise un manga. Ceci va de l’aspect matériel, du support qui est utilisé en passant par les recettes qu’il faut employer. On répond aux interrogations les plus fréquentes du jeune public du magazine et d’autres. Et en même temps, il y a une chose qui est très amusante, c’est qu’on reprend les codes éditoriaux de la publication. Notamment, il y a des espèces de petits sondages censés être faits auprès des auteurs, pour répondre aux attentes des lecteurs. En fait, on s’aperçoit, quand on est familier de ça, que sont repris les codes, anciens, dans ce type de magazine, des votes des lecteurs en vue de soutenir les titres publiés dans leurs nombreuses pages. Tous les petits plus de cette sorte rendent cet ouvrage infiniment sympathique aux initiés et aux autres, parce qu’il est abordable pour les autres également. Voilà, à conseiller fortement !
Renaud Chavanne : Je répète une chose que nous avons souvent dite, c’est-à-dire qu’il ne faut pas occulter l’importance de ces ouvrages didactiques. Les deux volumes de L’Art de la BD de Duc, aux éditions Glénat, sont des livres qui ont été lus par un nombre considérable de dessinateurs, lesquels ont travaillé sur ces bases-là. Donc aujourd’hui, pour nous autres qui nous intéressons à l’étude de la bande dessinée, regarder ces ouvrages, ça peut avoir un intérêt. Personne n’a jamais rien écrit sur L’Art de la BD, mais il faudra bien qu’un jour, quelqu’un s’y colle pour expliquer l’image de la bande dessinée véhiculée par cet ouvrage, l’incidence que cela a produit sur les auteurs qui l’ont utilisé.
Manuel Hirtz : C’est le livre de chevet de tous les dessinateurs des années 1980.
Florian Rubis : Oui, pour notre génération, c’est exactement ce que tu disais, Renaud. En présentant cet ouvrage-là, j’avais en tête les deux ouvrages que tu cites, qui ont été un peu notre bible pratique au début. Si on veut s’essayer à la bande dessinée, pour une plus jeune génération qui s’intéresse fortement au manga, comme l’on sait, l’ouvrage que je viens de présenter est fichtrement bien fait.
Manuel Hirtz : Et Duc a canonisé les étapes de réalisation d’une bande dessinée, crayonnées, encrages, le storyboard, etc. Elles sont beaucoup plus floues chez beaucoup de dessinateurs de bande dessinée. Ce ne sont pas du tout des catégories aussi tranchées.
Florian Rubis : Et dans les ouvrages de ce type, ce sont tout le temps les mêmes aspects qui sont traités et ça n’est pas fait de façon complète. Mais là, pour le coup, c’est très bien. Et en plus, dans les interviews, on a des entretiens avec de grands noms du magazine et pas des moindres ! Par exemple, Tatsuki Fujimoto, l’auteur de Chainsaw Man, qui a fait l’objet d’une exposition récente à Angoulême. En plus, on retrouve l’esprit de ce mangaka. L’interview est très savoureuse. Il répond d’une très belle et très intéressante façon, avec son humour, qui lui est propre. C’est très amusant à lire.
Renaud Chavanne : On va passer à nos derniers titres, si vous le voulez bien. Donc les deux ouvrages de Christophe Cassiau-Haurie. Je dis deux, mais en fait Cassiau-Haurie a produit trois ouvrages cette année. C’est un auteur très prolifique qui s’est spécialisé sur la bande dessinée africaine, mais pas seulement puisque l’un des trois ouvrages qu’on a ici est un catalogue d’exposition sur la bande dessinée du réel. L’auteur travaille à Strasbourg. Il y a monté une exposition de ce nom à la Bibliothèque Nationale Universitaire. Et il a également publié cette année chez Karthala, l’Histoire de la bande dessinée en Côte d’Ivoire et, dans la collection L’Harmattan BD, La Bande dessinée en Afrique à l’époque coloniale.
Christophe Cassiau-Haurie travaille depuis longtemps. Il était déjà présent sur la deuxième édition du SoBD où il signait l’un de ses livres. C’était il y a 12 ans. À l’époque, le SoBD se tenait encore à la Galerie Oblique dans le village Saint-Paul. Cassiau-Haurie a écrit de nombreux. Je vous en cite quelques-uns : 50 années de bande dessinée en Afrique, Histoire de la bande dessinée congolaise, Quand la bande dessinée d’Afrique s’invite en Europe, Dictionnaire de la bande dessinée d’Afrique francophone. Et puis, l’année dernière, il a écrit L’Aventure des fumetti malgaches, petit catalogue d’une exposition que nous avons organisée sur les petits formats malgaches des années 1980. C’est un auteur, bibliothécaire documentaliste de métier, ce qui, me semble-t-il, ressort bien de ses ouvrages. Qui nous en dit un mot ?
Irène Le Roy Ladurie : On peut craquer un petit secret du jury. Il était potentiellement notre lauréat. En fait, ce qu’on aurait salué, c’est la constance d’un travail qui commence d’abord par, je crois, le premier ouvrage sur les bandes dessinées d’Afrique. C’est justement sur les bandes dessinées d’Afrique de l’Océan Indien, donc tout ce qui est effectivement la bande dessinée malgache, par exemple, entre autres. Et puis, il a continué comme ça à faire des sommes sur les pays d’Afrique de l’Ouest qui ont un rapport très fort à la bande dessinée. Le Congo, ex-Zaire, qui est l’ancien Congo belge, et puis aussi le Cameroun, qui se disputent un peu sur le point d’avoir la primeur de l’invention de la bande dessinée en Afrique. Et là, avec la Côte d’Ivoire, il prolonge ce travail. En fait, ce travail établit un champ. Et il le fait en dialogue avec des acteurs. Donc ce n’est pas seulement l’enquêteur qui arrive sur un terrain et qui regarde ça un peu de l’extérieur, le Français qui regarde comment ça se passe à l’étranger, puis qui rapporte des informations. Non, il est en dialogue avec des acteurs, ce que ce livre montre.
Il y a eu une thèse de Sandra Federici sur des questions un peu similaires, mais qui, en fait, devaient sans doute prendre appui sur le travail de Christophe Cassiau-Haurie pour ce faire.
Le reproche qu’on peut faire à Christophe Cassiau-Haurie, c’est que cette compilation d’éléments, de documents, se fait parfois à défaut d’une problématisation forte, d’une analyse esthétique. Et par exemple, sur celui-là, la Côte d’Ivoire, il fait tout l’historique de l’apparition de Kouakou, qui était une bande dessinée panafricaine faite par des Français et diffusée dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà, je crois, et qui a fortement marqué tous les pays d’Afrique en matière de production de bande dessinée. Et il passe à Aya de Yopougon, de Marguerite Abouet, qui a un succès phénoménal. Et il l’appelle « Ivoirienne ». Or, le paradoxe de Marguerite Abouet, c’est qu’elle est partie très tôt en France, à dix ans, et qu’elle écrit cette bande dessinée, certes avec des témoignages de son enfance, de ses amis qui sont restés en Côte d’Ivoire, mais elle le publie en France, elle le fait aussi en Française. Et peut-être qu’il manque un petit peu chez Christophe Cassiau-Haurie, une réflexion sur les transferts, les transferts culturels, les réseaux, les réseaux d’immigration, les filières d’immigration. Parce que sinon, on a l’impression qu’il met côte à côte des bandes dessinées ivoiriennes, mais elles n’ont pas forcément toute la même histoire. Et qui n’ont pas toutes sociologiquement les mêmes implications.
Harry Morgan : Notre auteur a effectivement une certaine tendance à l’énumération plutôt qu’une tendance à l’analyse. La bande dessinée du réel, donc l’exposition qui est à la bibliothèque universitaire de Strasbourg, en témoigne. Qu’est-ce qu’il appelle la bande dessinée du réel ? Je vous donne une très rapide liste. Les récits fondateurs de la bande dessinée du réel, par exemple, Maus ou Gen d’Hiroshima. Ce qu’on appelle la bande dessinée mémorielle ou la littérature mémorielle. L’équivalent du journalisme d’investigation. Des reportages sur le terrain, donc le type qui part avec son carnet de dessin. De la vulgarisation scientifique. Des fictions, mais qui se basent sur le réel, par exemple des récits de guerre par des victimes civiles. Beaucoup de choses donc, dont la relation n’est pas du tout évidente a priori, mais qui sont regroupées sous l’intitulé bande dessinée du réel.
Renaud Chavanne : C’est un travail compliqué que celui de Christophe Cassiau-Haurie, complexe à recevoir aussi de notre côté. Il est évident qu’il ouvre un champ important sur la bande dessinée africaine. Et il n’y a pas vraiment d’alternatives à son travail. Reste qu’on ressent aussi une certaine gêne quand on observe que c’est un Européen qui nous parle de l’Afrique. Et on se dit qu’on aimerait bien entendre parler de l’Afrique par des Africains. Dans les coéditions que nous avons produites sur l’Histoire de la bande dessinée en Espagne, ou en Pologne, nous avons cherché des spécialistes locaux, des Espagnols, des Polonais pour écrire ses livres. Mais est-ce qu’il existe des Africains qui pourraient écrire les livres que fait Cassiau-Haurie ? Ou les écrire avec lui ? On ne le sait pas. Si ça se trouve, personne d’autre que lui ne peut s’en charger. Ce serait pourtant profitable d’avoir des études réalisées par des gens du cru. Ils pourraient fouiller dans les archives, aller chercher des sources. Mais en attendant, on profite du travail que mène Christophe Cassiau-Haurie.
La Bande dessinée en Afrique à l’époque coloniale est un livre de 160 pages, très illustrées. Il est vrai que la qualité des reproductions n’est pas toujours au rendez-vous. Mais probablement certaines de ces images lui ont-elles été transmises par des correspondant, et peut-être a-t-il fallu faire avec ce qu’il avait sous la main. L’ensemble présente assurément un intérêt documentaire. Mais au bout du compte, une fois les illustrations déduites, il reste un ouvrage d’une centaine de pages, ce qui est peu pour nous parler d’une période qui court sur une cinquantaine d’année et qui porte sur un continent entier. Lorsqu’on a le livre en main, on a le sentiment de n’accéder qu’à des fragments, et le désir d’une vision plus précise. Ce travail doit être dépassé, être suivi et complété par d’autres.
Harry Morgan : On peut dire pour compléter que Sandra Federici a publié Je ne voulais pas d’histoires-calebasses, entretiens avec les bédéistes africains aux éditions Sepia où elle met des entretiens détaillés avec les auteurs, des notices bio-bibliographiques très complètes, et une bibliographie apparemment complète du corpus de bandes dessinées africaines. C’est un utile complément. C’est extrêmement intéressant.
Manuel Hirtz : Les entretiens sont longs et les questions sont bien posées. Ça m’a beaucoup, beaucoup plu.
Renaud Chavanne : Sepia est une maison d’édition indépendante, mais qui a été reprise par L’Harmattan. L’Harmattan, c’est la maison d’édition où Christophe Cassiau-Haurie a publié la plupart de ses livres sur l’Afrique. Et la même autrice, Sandra Feredici, a publié il y a deux ans sa thèse qui s’appelait L’Entrance des auteurs africains dans la bande dessinée européenne, dont le livre Je ne voulais pas d’histoires-calebasses est en fait le complément.
Harry Morgan : C’est le corpus en fait.
Renaud Chavanne : C’est le corpus, avec les entretiens qui ont permis de publier le premier ouvrage. Le premier ouvrage dont nous avions déjà parlé longuement dans la revue de littérature.
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