Hugues Micol
Alma, c’est la confession brute d’une jeune femme qui a passé 5 ans dans le gang le plus violent du Guatemala. Elle a extorqué, tabassé, assassiné. Elle vous parle, les yeux dans les yeux, dans un programme complet (webdoc, TV, tablettes, livres, expo…) réalisé par Isabelle Fougère et Miquel Dewever-Plana, produit par nos amis d’Upian et soutenu par des dessins d’Hugues Micol qui revient avec nous sur cette collaboration.
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Gregg : Tu n’es pas très numérique, pourquoi avoir accepté ce projet ?
Hugues Micol : Justement parce que je ne suis pas très numérique. Ça me change des livres et des dessins que je fais par ailleurs. Et puis c’était le projet en lui-même, qu’il soit numérique ou pas, ça ne changeait pas grand-chose. Ce qui était intéressant aussi, c’était de se confronter à une équipe, à un directeur artistique, à des choses différentes que je n’ai pas du tout dans la BD, ni même dans l’édition en général où il n’y a pas ce rapport-là d’une construction commune. Là, il y avait beaucoup de personnes impliquées dans le projet, donc ça changeait beaucoup de chose. J’aime bien faire mes choses tout seul, mais j’aime bien collaborer aussi.
Xavier Guilbert : C’était radicalement différent de l’expérience que tu as pu avoir en collaborant avec des scénaristes ?
Hugues Micol : Oui, c’était à la fois très dirigé et très libre. C’est ce qui était intéressant, d’ailleurs.
Gregg : Pour te présenter le projet, les auteurs t’ont raconté l’histoire et montré quelques photos. Ce fut l’affaire d’une petite heure. Une semaine plus tard, tu es revenu avec un dessin qui résumait toute cette discussion, comment s’est construit ce dessin ?
Hugues Micol : J’avais écouté, c’était assez dense. Je ne dirais pas simple, mais c’était très évident. Je ne connaissais pas le Guatemala, mais j’avais été au Pérou. J’avais déjà une vision de l’Amérique latine, d’une ambiance assez particulière, qui m’a peut être aidé aussi. Et puis après, les gangs, la violence, tout ça, c’était assez clair. C’est une histoire très triste, mais assez simple. Le plus dur, c’était de trouver le bon ton. Il fallait une écriture qui ne soit pas dans le graveleux. Ça m’a beaucoup aidé ce petit dessin préparatoire, de faire une chose qui recentre les impressions diverses et variées que j’avais, des personnages, de l’univers, avec ce côté un peu chargé.
Xavier Guilbert : Ce n’est donc pas d’investir l’espace visuel spécifique au Guatemala qui était difficile pour toi, mais de trouver le ton juste ?
Hugues Micol : La contrainte, et en même temps le challenge, c’était les photos de Miquel. Il ne fallait pas que je les parasite, il fallait que je trouve un dessin qui s’accorde avec ses photos. Elles sont super fortes, je ne peux pas rivaliser. Elles sont à la fois très violentes, et en même temps, elles ont une certaine forme de beauté. Cela m’a aussi guidé et aiguillé. C’est pour cela que la réflexion a été assez simple pour moi. Je savais où il ne fallait pas que j’aille. J’ai donc essayé d’être un peu abstrait, de ne pas tomber dans le côté reportage, parce qu’il y avait les photos. J’essaye de ne pas avoir un côté complaisant dans mes dessins. Je n’aime pas du tout ça. Quand je dessine une scène de viol, je ne vais pas faire du laid, mais je ne veux pas non plus tomber dans la belle image. J’ai forcé le trait des mareros, ce sont plutôt des gamins malingres, j’en ai fait des brutes. Même si mon dessin est réaliste, c’est plus une impression.
Gregg : Tu as travaillé sur des sujets très durs, des viols, des meurtres, des femmes battues, comment se concentre-t-on sur ce type de dessins ?
Hugues Micol : Par moment, c’est dur. Surtout avant, au moment d’y réfléchir. Tu te dis “comment est-ce que je vais y arriver, c’est quand même atroce”. Après le dessin, ça reste du dessin. En dessinant, il n’y plus aucun problème.
Gregg : Dans tes dessins, il y a ces têtes et ces corps disproportionnés, il y a beaucoup de mélange, les personnages ne sont pas forcément en harmonie les uns avec les autres, comment te vient ce type de construction ?
Hugues Micol : J’ai une méthode de travail qui est globalement assez instinctive. Je cogite beaucoup, sans rien faire. Je prépare assez peu, mais j’y pense beaucoup, parce que je crois à la vertu de la motivation et de la concentration. La base, c’est ça. J’étais très motivé par le projet, dans le sens où il ne fallait pas que je me plante, c’était un truc qui allait être vu. Une fois que j’ai réfléchi à ce que je veux faire, une fois que je m’y mets, j’oublie tout. Et ça ressort. Souvent, il y a une part d’impro. À part pour ce premier dessin, je n’ai pas fait de travail préparatoire. Je peux recommencer parce que je me suis planté, ça arrive de temps en temps. Il y a une part d’abstrait à la base, ce sont des formes, et ces formes deviennent des personnages, tandis que d’autres formes deviennent des bouts de mur… J’ai une image en tête que j’essaye de mettre au point. Je pars d’un flou cérébral pour obtenir un résultat tangible, faire le point au niveau de l’image. Par exemple, il y a une scène où il y a des personnages avec la tête entre les jambes, ça m’est venu complètement par hasard. Ou peut être qu’il n’y a pas de hasard, comme je suis très concentré quand je dessine, je ne me souviens pas toujours du processus, mais je pense qu’il y a une part qui vient en faisant le dessin, et en le reprenant.
Gregg : Tu as eu une approche très particulière de la couleur. On imagine qu’un dessinateur commence par les personnages et fait ensuite sa mise en couleur, alors que tu as fait l’inverse.
Hugues Micol : Comme c’est de l’aquarelle, à la base, je peux faire beaucoup de couches. Les formes, je les ai vaguement en tête, mais vraiment vaguement. Je pars sur un canevas complètement abstrait. J’ai quand même une idée, mais très floue, je dessine une forme, qui ne va pas me plaire, qui va être recouverte par une autre et puis là je vais voir ce que ça peut donner comme situation, je la pousse, je la rechange s’il faut et puis ça devient une image. Il y a une grosse part d’improvisation qui est possible dans cette technique, parce que c’est de l’aquarelle très légère, et après s’il faut que je couvre, je peux couvrir avec de la gouache et refaire. Ça crée des matières que j’aime bien.
Xavier Guilbert : Tu parlais tout à l’heure de raté. C’est quoi, quand la sauce ne prend pas ?
Hugues Micol : Des fois, on monte la sauce, c’est comme une mayonnaise, tu t’échines, tu fouettes de plus en plus, et ça devient dégueu. Dans cette technique, ce que je trouve intéressant c’est le mélange entre la luminosité de l’aquarelle et l’opacité de la gouache. Il y a un équilibre un peu précaire, et de temps en temps c’est foiré. Ça arrive. Là, il y a eu toute une scène, ou je suis parti trop vite, ou c’est mal tombé, je ne sais pas… Je peux retravailler le truc, mais y’a un moment, faut se dire que c’est foutu.
Gregg : Tu as aussi fait beaucoup de dessins en noir et blanc. Certains très détaillés, d’autres plus abstraits, certains très composés comme la fresque du couple qui danse et se bat, comment as-tu construit cette boucle ?
Hugues Micol : Pour celui-là, j’ai fait plein de petits crobards, d’un couple qui danse, qui se bat. Ces crayonnés, ce sont surtout des taches, des mouvements, des silhouettes. Puis j’ai récupéré toutes ces petites notes, et je les ai dessiné en plus ou moins grand. Et à la table lumineuse, je les positionne, je vois ce qui est harmonieux, je les redessine, jusqu’à ce que ça donne un méli-mélo. En le faisant, j’ai trouvé intéressant d’en faire une boucle.
Gregg : Pour ce travail de surimpression, on imaginerait un travail fait avec Photoshop et pourtant tout est fait sur le papier.
Hugues Micol : Vous les jeunes, vous ne jurez que par vos machines (rires). Moi, j’aime le papier, le typex, la table lumineuse, ça suffit à mon bonheur. J’aime mes outils, j’ai besoin d’un côté manuel, de bricolage, d’encres, de tâches… J’aime les accidents qui n’arrivent pas avec une machine. Et puis après il y a le boulot du directeur artistique qui va coller un décor derrière. Je faisais des bases noir et blanc qui étaient mises en scène par l’équipe d’Upian. Pareil pour la couleur.
Gregg : Comment se positionne-t-on en tant qu’auteur, qui a l’habitude de tout maitriser, alors que là, tu as affaire à une commande, qui est mise en couleur et animée par quelqu’un d’autre ?
Hugues Micol : Une fois que t’as confiance…c’est facile. Là, la confiance était totale. Dès qu’on a commencé ça s’est bien passé, c’était une équipe très agréable, talentueuse et tout. Au contraire, c’était amusant de découvrir les animations qu’ils ont faites, auxquelles je n’aurais pensé.
Xavier Guilbert : Est-ce que cette transformation de tes dessins t’a influencé ? Est-ce que tu t’es dit que tu allais te lâcher un peu plus, faire des choses que tu ne pourrais pas faire dans un livre ?
Hugues Micol : J’avais dit que j’étais partant pour faire des animations, mais je n’ai aucune expérience de ça. J’avais fait une jeune femme qui marche, mais ça ne fonctionnait pas. Ils sont revenus vers moi avec un déroulé que j’ai pu reprendre. C’est difficile de savoir ce qu’ils peuvent faire. Je pouvais leur fournir des éléments séparés, des personnages par exemple. Il y a des dessins, je ne pensais pas qu’ils pouvaient les animer comme ça. C’était beaucoup plus intéressant d’être surpris que d’arriver en disant “je veux que ça se fasse comme ça.”
Gregg : Tu as pu voir le programme en avant-première, et le tester sur tablette, quelles ont été tes impressions?
Hugues Micol : J’avais suivi le processus, mais ça a été une découverte de le voir achevé. Ce que j’ai beaucoup aimé, c’est que c’est une interaction très simple, mais très fine. Tu pourrais rester scotché sur Alma, ou sur la partie documentaire du haut, mais de temps en temps, le programme te guide. Même s’il y a une liberté totale, on te guide pour que tu découvres l’ensemble. J’ai hâte de voir la version télé parce que du coup je me demande ce que ça va donner. Ce sera forcément différent.
Gregg : Pour conclure, est-ce que tu aurais envie de recommencer ce type d’expériences ? Est-ce que tu le recommanderais à tes camarades dessinateurs ?
Hugues Micol : Je ne connaissais pas tout cet aspect webdocumentaire et tout ce que ça amène comme questionnement, notamment sur la diffusion, mais non, je ne le recommanderais pas, je les garde pour moi !
Vous pouvez consulter le webdocumentaire ci-dessous ou sur http://alma.arte.tv
Le documentaire TV est disponible sur ARTE+7
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Super contenu ! Continuez votre bon travail!