Matt Madden

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Cela faisait trois jours que j’errais, sous un soleil impitoyable, en plein milieu de la Sierra Madre. La température était telle que le soir, je mangeais d’une omelette préparée sur une pierre encore chaude. J’avais déjà épuisé deux guides, et le troisième ne durerait plus longtemps.

Mais l’information avant tout. Gregg m’avait demandé de rencontrer Matt Madden, jeune auteur exilé au Mexique qu’il avait découvert dans une bibliothèque poussiéreuse de San Jose, et je ne voulais reculer devant aucun sacrifice pour rapporter un entretien de qualité…

Finalement, c’est quand on pense à ce genre de choses qu’on se dit qu’Internet, c’est pas si mal. En fait, c’est dans le confort de son appartement parisien que Gregg, entouré de ses chats, m’a fait découvrir Matt Madden. Et puis, c’est par e-mail que Matt Madden et moi avons fait cet entretien, entre Mexico et Tôkyô. Une limonade à la main.

Mais bon, c’est vrai que c’est beaucoup moins impressionnant…

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Tout d’abord, une question pas très originale : comment es-tu venu à la bande dessinée ?

Je n’ai commencé à faire des bandes dessinées qu’en arrivant à l’université. Je n’ai pas eu de véritable formation en dessin, et jusqu’à 20 ans, je n’avais fait que des petits bonshommes dans les marges de mes cahiers. C’est en découvrant Heavy Metal au Lycée et la compilation des Read Yourself Raw vers la fin de l’université que j’ai eu envie de me lancer dans la bande dessinée.

En 1989, alors que j’habitais à Ann Arbor dans le Michigan, j’ai rencontré Terry Laban (Cud, Eno and Plum) et nous avons commencé à nous retrouver autour d’un café toutes les semaines avec Matt Feazell (Cynicalman), pour discuter de comics et comparer nos carnets de croquis. Je me demande parfois ce que j’aurais fait dans la bande dessinée sans leurs conseils et leur exemple. Matt et moi-même avons alors commencé à co-éditer 5 O’Clock Shadow, une anthologie de mini-comics que Terry et lui avaient crée, et c’est là que furent publiées mes premières pages. (5OS continue à paraître irrégulièrement, sous la férule de Matt et Sean Bieri.) Au même moment, je me suis lancé dans mon premier mini-comic solo – que je refuse de voir réédité !

J’ai quelques amis américains, et j’ai plusieurs fois essayé de leur faire lire des comics. Je n’y suis pas arrivé, tant ils avaient une mauvaise image du comics (basée sur les publications mainstream, j’imagine). Alors comment as-tu découvert et décidé de faire de la bande dessinée ?

Très jeune, j’ai réalisé que la bande dessinée n’était pas limitée aux super-héros. Curieusement, la seule fois où j’ai lu les aventures de super-héros fut quand j’habitais à Paris, et que j’avais entre 3 et 8 ans. J’y lisais les recueils de Marvel publiés sous le titre de Strange. Mais au même moment, je découvrais Tintin, Astérix et Lucky Luke. A mon retour aux US en 1976, je n’ai plus lu de bande dessinée jusqu’à ce que je découvre Heavy Metal.

Par ailleurs, tu viens de publier Black Candy chez Black Eye, après plusieurs années de « self-publishing ». Quel a été ton parcours jusque-là ?

Même si j’ai l’intention de continuer à faire de temps en temps des mini-comics, après quatre numéros de Terrifying Steamboat Stories, la logistique qu’impliquait l’auto-édition commençait à me peser passablement. J’étais aussi beaucoup plus confiant en mon travail, et je me sentais près à m’aventurer en dehors de la sphère de l’auto-édition.

J’avais commencé à travailler sur Black Candy depuis plusieurs années. J’avais envoyé mon dossier pour la Xeric Grant, un prix pour l’auto-édition aux US fondé par Peter Laird décerné deux fois par an, et m’était vu « renvoyé » à la prochaine édition. Plutôt que d’attendre, j’ai alors décidé de finir le livre et de l’envoyer aux quelques éditeurs qui pourraient être intéressés. Vers cette époque, j’ai participé à une table ronde pour le Comics Journal (#192, décembre 1996) avec d’autres dessinateurs à Austin, au Texas, où j’habitais alors. Les extraits de mon travail qui ont paru dans l’article ont plu à Michel Vrána, de Black Eye, qui m’a contacté pour savoir sur quoi j’étais en train de travailler. Je lui ai envoyé Black Candy, et un mois plus tard il avait décidé de le publier.

Penses-tu qu’il soit aujourd’hui difficile ou facile de débuter pour un jeune auteur comme toi ?

Ce n’est jamais facile de débuter pour un jeune auteur, et particulièrement dans le monde des comics indépendants. Ceci dit, je pense que la situation actuelle est plutôt bonne aux US. Même si Fantagraphics, Drawn & Quarterly et Black Eye recrutent rarement de nouveaux auteurs, il existe aussi un groupe d’éditeurs qui se spécialisent dans la découverte des nouveaux talents, plus particulièrement Top Shelf Productions, Alternative Press et le petit dernier, Highwater Books. Également, la bourse Xeric est une chance qui n’existait pas auparavant, et qui a fait découvrir de grands auteurs : Jason Lutes, Tom Hart, Jessica Abel, et plus récemment Jason Little (Jack’s Luck Runs Out). De fait, la situation semble identique en Europe, du moins vue de l’autre côté de l’Atlantique : il semble que beaucoup de nouveaux petits éditeurs publient de nombreux nouveaux auteurs.

Quel est ton avis sur l’état du marché de la bande dessinée indépendante ?

Ma connaissance du marché de la bande dessinée – et des affaires en particulier ! – est assez nébuleuse, mais je suis plutôt optimiste en ce moment – surtout d’un point de vie international. Aux US, je partage l’opinion de beaucoup que les comics indépendants – et plus particulièrement les recueils – doivent faire leur place dans les librairies et ne plus être distribués uniquement par les boutiques spécialisées. Ce n’est pas nouveau : des éditeurs comme Fantagraphics essayent cela depuis des années, avec des résultats mitigés. Bien que le Comics Journal se soit récemment moqué de l’idée (« Viva la Comix », #206), je pense que les ventes par l’Internet ont aussi du potentiel. A un niveau plus terre à terre, il y a aussi de petits distributeurs qui font du bon travail et qui réussissent à vivre, sinon à survivre, comme Spit and a Half (USA), Bries (Belgique), Slab-o-Concrete (UK).

Beaucoup de gens évoquent la « génération précédente » des auteurs indépendants (Peter Bagge, Chester Brown, Seth, Joe Matt, Daniel Clowes, etc.) et ne voient pas de « nouvelle génération » intéressante. Qu’en penses-tu ?

Je suis fatigué d’entendre cette rengaine, et à mon avis il s’agit plus d’une vue que d’une opinion critique fondée. Il y a dix ans, la plupart des artistes dont tu parles faisaient du bon travail, mais étaient loin d’être considéré comme une « génération » cohérente, et encore moins comme l’élite de la bande dessinée. Il y a dix ans, je trouvais les Lloyd Llewelyn, Jim, et Neat Stuff dans les bacs soldés : tous ces titres me plaisaient beaucoup, et me plaisent encore, mais je n’avais pas l’impression de vivre dans un quelconque Age d’Or. Ce n’est que récemment, quand ces auteurs sont devenu plus connus (comme Jim Woodring) et/ou ont progressé comme dessinateurs (comme Dan Clowes), que le consensus s’est installé, comme quoi la fin des années 80 et le début des années 90 avait été un grand moment pour les comics indépendants américains. Aujourd’hui, je trouve qu’il y a le même potentiel – sinon plus – que lorsque cette « génération précédente » était à ses débuts. Je suis vraiment exité de faire partie du groupe indistinct de dessinateurs qui forment ma « génération » aux US mais aussi internationnalement.

Pour parler plus particulièrement de ton travail… Comment définis-tu ton approche ?

C’est une question difficile à aborder. Voyons, en partant de l’intérieur, comme beaucoup de dessinateurs/scénaristes, j’ai à la fois un carnet de croquis et un carnet de notes, et je suis constamment en train d’accumuler des dessins et des notes, qui finissent parfois par être regroupés et organisés pour former une histoire. Quand j’écris une bande dessinée, je fonctionne avec des vignettes ; c’est-à-dire que j’essaie de travailler à la fois sur les dialogues et la mise en scène, ce qui permet plus d’interaction entre les deux. Je trouve que cette méthode autorise des moyens d’expression qui ne seraient pas possibles en rédigeant le script comme un scénario de film, pour le découper ensuite en images. Pour ce qui est du style de dessin et de dialogues, j’ai sans doute mes influences, mais je laisse les deux se développer le plus naturellement possible, et je les adapte ensuite en fonction de l’histoire sur laquelle je travaille. La seule caractéristique générale que je puisse y voir, c’est que j’aime garder les choses simples et économe, que ce soit dans le dessin ou le texte, afin de laisser le plus de place possible pour les interprétations du lecteur.

De quels auteurs (bande dessinée, mais littérature, cinéma, aussi) te sens-tu proche dans ton travail ?

D’un point de vue très général, je me sens proche d’artistes qui sont expérimentaux mais joueurs : en littérature, les grands Sud-Américains comme Borges et Cortázar, l’OuLiPo (et particulièrement Queneau, dont les Exercices de Styles m’ont inspiré un projet similaire en bande dessinée), et des Américains comme Pynchon, William Gaddis et John Kennedy Toole ; au cinéma, la Nouvelle Vague Française, les premiers Wim Wenders, Cronenberg, Atom Egoyan ; en bande dessinée, parmi mes favoris on trouve Herriman, Gary Panter, Chester Brown, Carol Swain, Baudoin, Muñoz et Sampayo … la liste est longue. Les artistes dont je me sens proche et ceux qui m’influencent ne sont pas toujours les mêmes. Par exemple, je n’ai pas été influencé par Fred, ne l’ayant découvert que récemment, mais je peux voir des similitudes avec son travail, surtout sur le jeu formel ; par contre, Gary Panter et Robert Crumb sont de grandes influences, mais je ne vois pas vraiment de connection entre mon travail et le leur, à mon grand regret.

Te sens-tu partie d’une sorte de mouvement (un peu comme Chester Brown, Seth et Joe Matt se sont tournés vers une même sorte de récit autobiographique), ou as-tu l’impression d’être … «isolé» ?

Et bien, en ce qui concerne la bande dessinée, je ne me sens pas vraiment comme faisant partie d’un mouvement, vu que je ne suis pas encore sûr de la direction ou du l’objet de mon travail. Ceci dit, il existe un grand sentiment de camaraderie parmi les dessinateurs de mon âge : je suis en contact avec la plupart d’entre eux et avec quelques autres plus âgés aux US, et je cherche constamment à rencontrer de nouveaux auteurs dans le monde. Il y a beaucoup de solidarité et de soutient entre les autres – nous sommes si peu reconnus en dehors de notre petit monde que cela semble essentiel !

Jusqu’à maintenant, tu n’avais fait que de courtes histoires, que ce soit dans tes mini-comics ou dans les pages publiées dans des magazines. Comment t’es-tu adapté au changement de longueur ?

Depuis le début je voulais faire des récits plus longs, mais globalement j’attendais d’être plus sûr de mon dessin avant de m’y essayer. Il a fallu du temps au départ, et c’était difficile de réussir à gérer une histoire relativement longue (Black Candy fait un peu plus de 50 pages). C’était aussi difficile parce que l’histoire n’était pré-publiée nulle part ; je travaillais dessus durant mon temps libre et j’essayais de me donner des délais à tenir pour les différentes étapes.

Tu dis que tu travaillais depuis plusieurs années sur Black Candy. Comment as-tu géré la cohérence du livre (histoire et dessin) ?

Même si je prenais des notes et faisait des croquis depuis des années, la rédaction finale a pris une durée d’un an, après beaucoup de travail sur des esquisses préparatoires, afin de déterminer autant que je le pouvais le style de dessin. Cependant, je pense que mon dessin a changé – en mieux, j’espère – au fil du livre. J’ai du redessiner un certain nombre de cases au dernier moment, et il y a encore quelques planches dont je ne suis pas très content.

As-tu l’intention de recommencer l’expérience d’un livre de cette ampleur ?

Je suis en train de travailler sur mon prochain livre et j’en suis déjà à plus de 70 pages, sous forme de vignettes. A l’avenir, j’ai l’intention de continuer les deux genres de travaux : des récits longs comme des histoires courtes pour des anthologies, qui pourraient être éventuellement publiées en recueil par la suite. Dans un entretien pour le magazine Destroy All Comics, Ben Katchor (Julius Knipl, Real Estate Photographer) se demandait si les bandes dessinées étaient bien adaptées aux récits les plus longs, et déclarait qu’il ne pensait pas que les lecteurs étaient intéressés par une histoire qui durerait plus d’une ou deux pages (il parlait particulièrement des prépublications dans les journaux). Je suis totalement en désaccord avec ce point de vue, et je prendrais Katchor lui-même comme contre-exemple : même si ses strips d’une demi-page de Julius Knipl sont très bien, il y a une richesse et une complexité thématique qui ne ressort que dans ses histoires plus longues. A ce sujet, nous Occidentaux avons beaucoup à apprendre des Japonais : je viens juste de lire et d’apprécier énormément Adolf, d’Osamu Tezuka, qui n’est qu’une histoire relativement courte pour une manga … et qui compte près de 1300 pages !

Au moins une fois, tu as travaillé à partir d’un scénario écrit par quelqu’un d’autre. Vu comment tu décris ta manière de travailler, n’était-ce pas contradictoire avec ta vision du médium ? Comment s’est passée la collaboration ?

L’idée d’une collaboration ne me semble pas du tout contradictoire avec ma conception du medium. Je pense par contre qu’il est très difficile de la mener à bien, et qu’il y a peu d’exemples de collaborations fructueuses, mais c’est tout à fait possible : Muñoz et Sampayo, Dupuy-Berbérian, ou le travail d’Avril avec Petit-Roulet ou Götting. Je trouve qu’il y a un différence entre ce genre de collaboration et la production industrielle et anonyme que l’on trouve dans les comics de superhéros et autres publications commerciales. La seule collaboration que j’ai faite était pour Duplex Planet Illustrated (Fantagraphics).

Ce qui s’est passé, c’est que l’auteur/éditeur David Greenberger m’a envoyé quelques-uns des fanzines Duplex Planet (pour ceux qui l’ignorent, il s’agit d’un fanzine qui chronique depuis très longtemps les vies de personnes âgées et d’un certain nombre de maisons de repos dans la région de Boston, et qui est constitué principalement de poésie et de transcriptions d’entretiens ; il y a quelques années, David a commencé une bande dessinée basée sur les textes publiés dans le fanzine) et m’a demandé si j’aimerais faire quelque chose pour la revue. Il choisit généralement un texte à adapter en fonction de l’auteur, mais j’avais beaucoup apprécié une transcription de conversations décousues dans un réfectoire, et je lui ai demandé si je pouvais l’utiliser. Même si David est mentionné comme le scénariste, c’est moins une collaboration qu’une *adaptation*, David jouant le rôle d’un directeur de publication et d’un founisseur de matière brute textuelle.

Il me semble que les auteurs américains aiment bien les «performances». Tu as fait toi-même un «24-hours comic». Qu’as-tu tiré de cette expérience ? Est-ce quelque chose que tu recommencerais ?

L’expérience du 24-hours comics est vraiment amusante et instructive, surtout quand on la fait avec d’autres personnes. J’ai réalisé le mien un week-end avec Tom Hart (The Sands), Josue Menjivar (Broken Fender) et Warren Craghead (Speedy). C’était intéressant de comparer nos vitesses et nos méthodes de travail. Tom griffonnait comme un fou et n’arrêtait pas de découper des cases ou des dessins pour les assembler à nouveau jusqu’à ce qu’il obtienne une histoire. Warren était le plus appliqué, planifiant les choses à l’avance avec beaucoup de soin, et le résultat final fut très proche de ses comics habituels. Pour ma part, j’ai fait des croquis et écrit quelques bouts de dialogues, puis j’ai fait des vignettes avant de passer directement au dessin final (d’habitude, je passe par les étapes vignettes – crayonné – crayonné fini – encrage). Josue avait écrit son histoire durant les trois premières heures, mais il lui a fallu le reste du temps, et même un peu plus, pour dessiner le tout, alors que Tom passait 15 heures à écrire, dessiner, découper, coller, pour dessiner la version finale en quelques heures à peine.

Les résultats des 24-hours comics sont bien sûr très variables, bien qu’il y en ait de très bons, comme tous ceux de Tom Hart et le récent Minutiae de Dave Lasky. Ceci dit, cela a été pour moi une expérience enrichissante que je conseille à tous les dessinateurs. J’ai beaucoup appris sur les différentes méthodes de travail, et d’avoir à travailler vite m’a aidé à libérer mon trait dans mes autres livres. Je n’ai pas prévu d’en faire un autre dans un avenir proche, mais je suis toujours ouvert à ce genre de projet nouveaux. Par exemple, je viens de terminer la quatrième de couverture de Triple Dare (Alternative Press), un titre qui regroupe Tom Hart, James Kochalka et Jon Lewis dans lequel chaque artiste doit respecter trois règles ou contraintes dans son histoire. Le concept n’est pas directement inspiré par l’OuBaPo, mais il en partage l’intérêt dans l’aspect ludique et les contraintes créatives – quelque chose qui m’intéresse beaucoup, moi aussi.

Dans le même style, il y a eu ce collectif, Dirty Stories, qui pourrait être vu comme un «exercice de genre». Quel était le «brief» ? Et comment as-tu réagi (et travaillé) sur ce sujet ?

Les instructions du directeur de publication, Eric Reynolds, étaient très simples : fait une bande dessinée érotique. L’aspect intéressant n’était pas autant dans ce qu’il demandait que dans les personnes à qui il l’avait demandé, c’est-à-dire des auteurs qui ne font pas habituellement d’histoires érotiques et qui parfois même n’évoquent jamais le sexe dans leur oeuvres. Dans mon cas, je ne voulais pas essayer à dessiner des scènes de sexe, non pas par pudibonderie (cf. Black Candy) mais parce qu’íl est presque impossible de le faire bien. La plupart des comics érotiques publiés par Eros ne valent rien, et je ne vois pas d’artiste qui puisse vraiment en tirer quelque chose de bien, sauf peut-être Manara. Egalement, la pornography est plutôt dénigré comme genre : en gros, on a le choix entre Histoire d’O et Debbie Does Dallas. Je ne voulais pas faire une parodie facile ou une « histoire d’amour » avec une scène de sexe, alors j’ai essayé de trouver une autre manière d’approcher une «dirty story», quelque chose de plus stimulant mais qui soit quand même — en fonction du lecteur, bien sûr — sexy.

En France, il y a eu le lancement de l’OuBaPo («Ouvroir de Bande dessinée Potentielle») par l’Association, dont ont découlé des travaux comme Moins d’un quart de seconde pour vivre (JC Menu/Lewis Trondheim. Histoire réalisée en (ré)utilisant les mêmes huit dessins) ou La Mouche (Lewis Trondheim. Histoire muette, mise en page 3 x 3 cases). Es-tu intéressé par ce genre de contrainte ?

Je suis très intéressé par l’OuBaPo. Quand le livre est sorti, j’en ai parlé à tout le monde ; j’ai même rédigé une sorte de résumé de la liste de contraintes de Thierry Groensteen. J’étais depuis longtmeps intéressé par l’OuLiPo et les autres groupes expérimentaux, et comment ces idées pouvaient être appliquées à la bande dessinée. J’ai déjà fait quelques expérimentations formelles dans mon travail, et j’ai l’intention d’en faire beaucoup plus. Le 24-hours comics (24 pages en 24 heures) et Triple Dare (3 auteurs, 3 histoires, 3 règles) peuvent être rapprochés des expériences OuBaPiennes, même si ils n’ont pas été conçus à la base comme tels. L’un de mes derniers projets – inspiré en partie par l’OuBaPo – est une version en bande dessinée des Exercices de Style de Raymond Queneau : à partir d’un scénario banal d’une seul page, j’ai commencé à faire autant de variations que possible.

Certains pensent que cette approche se concentrant sur l’aspect formel de la bande dessinée est stérile car trop théorique. Qu’en penses-tu ?

Il y a toujours le danger d’utiliser le formalisme comme fin en soi, et d’ignorer complètement le contenu. Je pense que si l’expérience est suffisamment sérieuse, elle peut se justifier par ce qu’elle est. Par exemple, beaucoup des planches de l’OuPus 1 de l’OuBaPo ne peuvent vraiment exister hors du contexte du «laboratoire», mais elles ont une valeur importante dans ce cadre. La chose est plus difficile lorsque l’on se tourne dans des publications indépendantes, et surtout dans un album. Je tolère très bien l’expérimentation et le formalisme, mais je peux citer un grand nombre d’ouvrages sur des supports divers qui sont complètement creux, car ils favorisent le formalisme au dépens d’un quelconque intérêt. Je ne vois aucun problème à faire des expériences formelles dans mes histoires courtes, mais dans les récits plus long j’essaie d’intégrer mes tendances formalistes dans le cadre plus vaste des histoires que j’ai envie de raconter, des personnages que je crée, etc.

Et maintenant, concernant l’avenir… Quels sont tes projets en cours ? Quels sont les artistes avec qui tu voudrais travailler ?

En ce moment, je travaille principalement sur deux projets, que j’ai déjà mentionné : l’un deux est mon nouveau long récit (qui, tout à fait par hasard, a un titre de travail en Français : L’Amour Foutu – titre que je n’utiliserai pas aux US, car personne n’est capable de comprendre ou même prononcer « foutu » !), que j’espère terminer durant l’année prochaine (99, NdT) ; l’autre est mon projet inspiré des Exercices de Style, sur lequel j’ai commencé à travailler et que j’aimerais publier sur le Web, en Anglais, en Espagnol, et peut-être en Français. J’espère arriver au final à une centaine de variations, et les publier en recueil. Une partie du projet est basée sur des collaborations : j’ai proposé à un groupe d’autres auteurs de créer une histoire d’une page en se basant sur mon scénario de base.

Sinon, j’ai plusieurs histoires courtes qui vont être publiées en 1999 : dans Stereoscomic #1, un nouveau collectif basé à Paris, dans Coober Skeber #3 publié par Highwater Books aux US (une histoire de 16 pages en bichromie), dans Spoutnik #2, un autre collectif édité par un nouvel éditeur de Montréal, les Editions de la Pastèque, l’histoire de quatrième de couverture de Triple Dare qui s’intitulera Una Ballata de Malo Cortese… Ici à Mexico, mon amie Jessica Abel et moi avons discuté avec quelques auteurs locaux (principalement de El Gallito Comics) pour faire une série de petits formats, à la manière des Pattes de Mouches de L’Asso. La première livraison devrait avoir lieu au printemps. En plus de tout cela, je cherche à développer les bandes dessinées pour enfants pour des magazines américains, et je fait beaucoup d’illustration, ce qui me permet de gagner un peu d’argent !

Pour ce qui est de travailler avec d’autres auteurs, je n’ai pas de projet de collaboration artistique (même si je suis ouvert à l’idée), mais j’apprécie beaucoup de travailler sur des projets comme les Exercices de Style et la série de minicomics Mexicains.

PS : Les premiers Exercices de Style de Matt Madden sont visible en anglais dans Indy Magazine, et en français dans du9.

Bibliographie :

Comics
Una Ballata de Malo Cortese, Triple Dare #2, Alternative Press (pour 1999).
Seis Pesos, Stereoscomic #1 (France, 1999).
Aranda’s Coat, Spoutnik #2, Editions de la Pastèque (Montreal, pour 1999).
Night of the Grossinator, Coober Skeber #3, Highwater Books, Tom Devlin, Ed., (pour Avril 1999).
Así Pasan los Días (Spanish version) on WWW :
Así Pasan los Días, 16 pp flip-minicomic, b/w Escuadrón Rescate by Jessica Abel, 1998.
Black Candy, Black Eye Books,1998.
Friends and Family and front and back cover design, Top Shelf #6, Brett Warnock, Ed.,1998.
Fuck Me, Dirty Stories, Fantagraphics Books, 1997.
Moho #13 (Mexico) 1998.
Untitled (bracelet), SPX ’97, 1997.
First Warning, a 24-hour comic book, 24 pp., digest, 1996.
Enchanted Rock, Top Shelf # 4, 1996.
Essentially a Large Variety, Duplex Planet Illustrated #15, Fantagraphics Books, texte de David Greenberger.
This Place Sucks (color), Pulse ! magazine, 1996.
House Music, Pulse ! magazine, 1995.
Retirement Plan, plus couverture, One Eye Open One Eye Closed #2, comic book, Chiasmus Comics, Fall 1994.
Terrifying Steamboat Stories, 4 issues, A4, 1991-1995.
Histoires courtes dans 5 O’Clock Shadow #2-14.

Ecrits
De nombreuses critiques pour The Comics Journal, 1994-à nos jours. Les plus récentes :
Sans Sens de Matticchio & Le Petit Monde du Golem de Joann Sfar, The Comics Journal #209, 1998.
The Ballad of the Salt Sea by Hugo Pratt, The Comics Journal #209, 1998.
Des extraits de son journal Mexicain dans Worm vol 2 #s 2 & 3 (Belgium), en français dans KAOSmag webpage (Montreal).

Illustration
Hermenaut
Business Mexico
The New York Times Book Review
Pulse ! Magazines
Austin Chronicle

Pour obtenir ses comics :
BRIES, Kammenstraat 41 ; B-2000 Antwerp Belgium.
Slab-o-Concrete,PO Box 148, Hove, BN3 3DQ, UK.
Les mini-comics et Coober Skeber sont disponibles chez Highwater Books, PO Box 1956, Cambridge MA 02238 USA (tom@highwaterbooks.com).
Black Candy : Last Gasp, Cold Cut & FM Distributors, Fantagraphics Ultimate Comics Catalog, and Red Route (UK).
Contactez Matt Madden at : matt@blackeye.com

Site officiel de Matt Madden
Entretien par en janvier 1999