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Anna et Froga t1 – Tu veux un chwingue ?

de

Deux filles : Anna et Froga, puis deux garçons : René le chat, Bubu le chien. Un groupe de quatre personnages sur fond blanc comme pour matérialiser la clarté intense de l’amitié face aux petits riens qui l’entretiennent malgré tous.

Le vocabulaire en témoigne, c’est celui de la complicité. On offre ce que l’on désigne par un mot raccourci et déformé dans sa prononciation, partagé du groupe, de ceux du même âge sûrement, et peut-être de ceux ayant eu cet âge (nous).
Pourtant on ne se comprend pas toujours où ils ne comprennent rien. «Jeu de nase», «musique pourrie», expressions suivies de rires solitaires et d’anges qui passent. L’amitié affrontera donc la blague/gaffe, n’appréhendant pas la culture du groupe à un instant «t», son évolution, ou constatant in fine la résurgence de l’individualité pulsionnelle (le moi d’abord). Il faut alors se rattraper, s’asseoir à côté, parmi eux tout en étant soi-même, à la lumière de ce grand blanc du décor favorisant la transparence. Chantons, offrons, moquons-nous de nous, réparons, tout s’arrangera dans le rire et le sourire, tout cela fera de bons souvenirs.

Surtout ne rien cacher, l’autre ami(e) vous connaît sans rien dire (les mots manquent encore alors) comme vous le/la connaissez de ce même mutisme agréable à ces âges.
A l’ombre de ce soi narcissique, cela peut-il s’oublier ? Oui, tant mieux, la mémoire y reste encore aussi courte que les vies sont jeunes, cela fera de la gaffe et des situations qui se racontent en cimentant l’amitié. Car ils sont si jeunes. Il leur faut de façon vitale du souvenir, de la matière à raconter.
Ce qui ferait souffrir l’adulte ailleurs est ici distancié. Là, c’est une cerise sur le gâteau de la vie débutante à raconter, à partager. Ils sont enfance, ce sera la différence avec bien des lecteurs/lectrices ainsi que leur créatrice. Et tout cela n’est pas triste, bien au contraire.

Anouk Ricard a été l’une des plus belles révélations de l’extraordinaire aventure Capsule Cosmique. Son sens subtil du dialogue, son économie unique et savante des images, tout cela a doté Anna et Froga d’un charme original emportant rapidement de nombreux lecteurs (de tout âge). Réuni dans cet album[1] le charme est toujours là, intact, entretenu par une édition intelligente où les histoires courtes en bande dessinée sont ponctuées par des illustrations inédites qui, dans un autre rendu graphique et narratif, savent être toutes aussi finement drôles et conniventes.

Plaisir et univers se prolongent donc ici, et l’on pourrait terminer une chronique par une chanson comme dans ces pages où le «non à dire» à la rime pauvre fait si grassement rire. «Allez ! Reviens Bubu !» «Ouais c’est ça !», Bubu se sauve après avoir tant rit des autres. Mais au fait, y’a-t-il une différence marquée entre les filles et les garçons dans cet univers de chamailleurs ? Oui, elle tient à une tâche de peinture marron sur la joue gauche de ce pauvre Bubu. Anna y voit du chocolat et René du caca.

Notes

  1. Gwen de Bonneval, ancien rédacteur en chef de Capsule Cosmique, est le directeur de cette collection d’albums de bandes dessinées chez Sarbacane, éditeur qui dit/espère prolonger l’esprit de ce qui a été la meilleure revue pour enfants de la décennie.
Site officiel de Sarbacane
Chroniqué par en octobre 2007