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Osamu Tezuka – Biographie

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Décédé en 1989, Tezuka Osamu laisse en héritage plusieurs dizaines de milliers de pages de manga, mais aussi une empreinte forte sur le monde de l’animation. Innovante, ingénieuse, intelligente, remplie d’humanité, c’est ainsi que l’on décrit souvent l’œuvre de Tezuka. Souvent considéré comme «le Pape du manga moderne» de par les apports cinématographiques qu’il a su intégrer dynamiquement, mais aussi un des principaux initiateur du story manga, qui étale une histoire sur des milliers de pages, la vie de Tezuka Osamu est impressionnante et l’importance de son œuvre influence encore aujourd’hui, vingt ans après sa mort.
La biographie que nous présente ici la collection «Ecritures» de Casterman offre un récit au dynamisme et à la naïveté proche de ce qu’aurait pu faire le maître lui-même. Il n’est donc pas étonnant de constater que c’est la Tezuka Production, un studio créé par le dessinateur, qui a réalisé cette biographie dans un ton typiquement Tezukien.[1] N’évitant pas l’écueil trop didactique de la présence d’un narrateur, la biographie dessinée parvient pourtant à séduire par un aspect particulièrement divertissant, n’hésitant pas à accumuler les anecdotes qui ont jonché la vie de l’auteur. Ainsi, les éditeurs dormaient chez lui pendant deux à trois semaine pour l’obliger à finir ses planches à temps ; il changeait régulièrement d’hôtel pour justement leur échapper ; espiègle, il filait par la porte opposée du taxi lorsque l’un de ses éditeurs voulait le dérober à ses concurrents en l’emmenant dans un lieu isolé ; il a vu Bambi 51 fois ; Leiji Matsumoto a été son assistant pendant une semaine… Bref, tout un tas de choses amusantes et croustillantes pour égayer cette vie de légende…

Mais le nom des «Tezuka Productions» apporte aussi son lot d’inquiétude quant à leur objectivité. Et effectivement, s’il est vrai que Tezuka Osamu est souvent considéré comme le «Dieu du manga», il faut bien avouer que cette biographie enfonce le clou. Lorsqu’on lit ces pages, tout porte à croire que l’homme n’en était pas un. Il dessinait à une vitesse folle, travaillait tout le temps, ne dormait presque jamais (en tout et pour tout une à deux heures par nuit et par tranches d’à peine un quart d’heure), il est arrivé à poursuivre ses études de médecine en parallèle à la publication d’une dizaine de séries en même temps réalisées au rythme effréné que l’on sait, puis à réussir son concours de médecine et passa même un doctorat, monta un studio d’animation avec tout se que celà entraîne comme investissement de temps… Rajoutons à ça qu’il ambitionnait de voir 364 films au cinéma par an, soit un film par jour, ce qu’il arrivait parfois à réaliser !
Si l’on en croit cette biographie dessinée, Tezuka Osamu était de plus drôle, candide, malicieux, vif, il produisait avec une facilité déconcertante, son engagement personnel envers son art et ses lecteurs était inouï, ses œuvres sont formidables. Bref, Tezuka était génial et fascine encore. Mais non content de nous présenter l’artiste comme un surhomme sur le plan du travail, Tezuka Productions en remet une couche : toujours souriant et plein d’entrain, rempli de bonté et d’humanisme, écolo dans l’âme, il ne se serait disputé avec sa femme qu’une seule fois…

Si les qualités humaines du maître sont certainement établies, chacun sait que personne n’est parfait. Et en cela, le portrait de Tezuka frôle quelque peu le ridicule. Tezuka Osamu est porté sur un piédestal par son studio,[2] et ce respect s’étend jusqu’au dessin, tellement Tezukien dans le style, que l’on pourrait croire en feuilletant ces livres qu’il s’agit d’une autobiographie.
Rajoutons encore que les échecs de Tezuka sont tout juste esquissés, ne semblant pas atteindre le maître, qui parvient toujours à rebondir et à se servir de ses échecs. Tezuka est largué pendant l’âge d’or du gekiga ? Son studio d’animation dans lequel il avait mis toutes ses économies fait faillite ? Aucune importance, le maître garde le sourire, produit à tout va et finit par remonter la pente ! Pas l’ombre de ses questionnements ou de ses doutes sur l’évolution de son travail, sur sa relation avec les autres (assistants, éditeurs, famille…) qui aurait pu se détériorer ou au contraire se préciser pendant cette période difficile. Non, Tezuka Osamu ne semble savoir faire que deux choses : sourire, et travailler. Avec génie, en plus.

Avec un regard de néophite Tezukien tel que le mien,[3] on peut véritablement se demander finalement, l’appellation de «Dieu du manga» ne tient pas plutôt de l’autoproclamation, ou plutôt de proclamation faite par ses disciples ? Perpétuer, consacrer, alimenter le mythe, tel semble être le rôle des studios fondés par Tezuka, comme si en son absence les disciples ne pouvaient se détacher du passé et se devaient d’en proposer une sorte de relecture qui idéalise l’image de leur maître.
Au final, on peut sérieusement se questionner sur le choix de Casterman de publier une telle hagiographie. Casterman, qui ne s’est vraiment intéressé au manga qu’assez tardivement, et qui plus-est ne connaît dans son catalogue qu’un nombre infime d’œuvres de Tezuka,[4] en publierait la biographie ? Cela peut déjà étonner. Mais le plus étrange est cette volonté de la proposer dans la «prestigieuse» collection «Ecritures», qui se veut gage de qualité, d’œuvre d’auteur, de poésie, de sensibilité, alors que nous avons au final tout son contraire. Une nouvelle preuve que l’exploitation d’un nom a plus d’intérêt pour certains éditeurs que de publier des œuvres de qualité, ou du moins d’une plus grande honnêteté ?

Notes

  1. Notons que le nom du superviseur du projet a été mystérieusement oublié dans les trois premiers volumes publiés par Casterman, n’apparaissant que dans le dernier tome, en tout petit, bien évidemment. Il s’agit de Ban Toshio, assistant principal de Tezuka de 1978 à sa mort pour la production manga destiné aux magazines de prépublication.
  2. Dont la soumission à l’image de son créateur atteint ici des sommets rarement atteints, même chez Disney.
  3. J’ai très peu lu d’œuvres du maître, ayant généralement du mal à finir ses livres, qu’ils soient grand public ou plus «matures».
  4. I.L. et La femme insecte, tous deux chez Sakka.
Site officiel de Casterman (Ecritures)
Chroniqué par en décembre 2009