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Batman : Year 100

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Les super-héros, et particulièrement les plus connus, sont bien souvent des personnages quasiment mythiques, coincés dans une jeunesse constamment mise à jour. Les auteurs sont alors généralement limités à ajouter leur petite pierre personnelle à une chronologie déjà bien remplie, quitte à pouvoir parfois re-recréer le personnage, en respectant le canon originel et en le réactualisant (cf. les Ultimate de Marvel ou les diverses adaptations cinématographiques, Batman Begins par exemple).
Pour sa mini-série Batman : Year 100, Paul Pope a choisi une autre voie puisque son Batman vit en 2039. Mais à la différence de Miller qui dans son Dark Knight imagine l’avenir du personnage pour en quelque sorte en raconter la fin, Paul Pope lui se contente de transporter le héros 100 ans dans un de ses futurs.

Il ne s’embarrasse donc absolument pas de (re-)raconter les origines traumatiques de Batman ou d’évoquer l’évolution qui l’a amené jusqu’à ce «Year 100» en 2039.[1] Dès la première page, on le découvre en pleine course sur les toits de Gotham, tentant désespérément d’échapper à des agents fédéraux et à leurs chiens d’attaque, malgré une balle dans le corps. Car avant d’essayer de comprendre pourquoi il vient de soudainement devenir l’ennemi n°1 de l’état policier américain, il est bien décidé à sauver sa liberté, voire sa vie. Et il va y consacrer les quarante-huit planches du premier tome (sur quatre).
Il ne faut donc pas s’étonner que la série laisse de nombreuses zones d’ombre sur le Batman de 2039 : elle ne montre que deux jours intenses de la vie de ce Batman limité à son identité costumée. Cela pourra bien sûr être frustrant mais permet de concentrer la série sur l’investigation et surtout l’action. Car Batman : Year 100 est définitivement une aventure de Batman. On y verra donc un Batman, quasiment invincible et capable des prouesses physiques les plus incroyables, enchaîner sans temps mort les scènes de bravoure sorties d’un thriller d’action — fuite par les toits, effraction d’un building fédéral, poursuite à moto, confrontation finale…. Et d’encore trouver le temps de résoudre son enquête, déjouer un complot et gagner la confiance de Jim Gordon.
La série ne peut ainsi pas prétendre être une re-création de Batman.[2] Il s’agit plutôt d’une transposition, Paul Pope s’appropriant le personnage classique et l’insérant dans un de ses univers d’anticipation à court terme. Ce background SF bien qu’un rien gratuit, permet à Pope, comme dans 100 % ou Heavy Liquid, de donner son cachet à la série et de laisser court à son imagination débridée, notamment pour le design ou les gadgets. Son Batman oscille ainsi entre figures imposées (ou clins d’œil) — Arkham, Gordon, Robin, le très classique costume noir et gris…, et innovations anecdotiques — Batman a été oublié, il a une équipe, la Batmobile est une moto, la fausse dentition de monstre…

Batman : Year 100 avait initialement été annoncée comme une re-création du personnage dans le futur dystopique d’une Amérique devenue un état policier. Et même comme
«la réponse américaine à V for Vendetta»… Las, on ne trouvera aucune dimension politique dans la série. Si le Big Brother fédéral est bien présent, il fait surtout office de super-vilain d’une classique histoire de complot dans lequel Batman se trouve mêlé.
Sans être donc réellement originale, Batman : Year 100 reste d’une efficacité remarquable, particulièrement lue par épisode. Elle est de plus servie par le style si particulier, fluide et musclé, de Paul Pope, ici rehaussé par l’efficace colorisation de José Villarrubia.
C’est surtout une parfaite (et facile) porte d’entrée vers l’univers graphique et narratif de Paul Pope. Ses amateurs seront intéressés par son «intrusion» dans le monde de Batman (en attendant qu’il revienne vers des publications plus personnelles et libérées) et les néophytes pourront avoir un aperçu du travail de cet auteur qui mérite d’être découvert.[3]
Bref, comme dans le cas des films de Tim Burton, autant ne pas bouder son plaisir devant cette aventure du Justicier de Gotham pas si classique que ça.

Notes

  1. Batman a été créé en 1939. 1939 + 100 = 2039. CQFD.
  2. La seule véritable re-création de la série est celle de la relation entre Batman et Gordon, ici re-liée avec le petit-fils du Jim Gordon de 1939.
  3. Et j’en reste persuadé, bien que n’étant finalement pas complètement en désaccord avec le jouissif démontage en règle qu’inflige Matt Broersma à Paul Pope dans L’éprouvette n°2.
Site officiel de Paul Pope
Chroniqué par en octobre 2006