Numérologie, édition 2011

de

Meilleures ventes 2011

Sans aucun doute, au vu du tableau des meilleures ventes, 2011 apparaît comme une annus horribilis, avec un top 5 s’inscrivant juste en dessous des 540 000 exemplaires – soit moitié moins que son niveau moyen sur la période 2006-2010 à 1,15 millions d’exemplaires cumulés.
Pour la première fois également depuis 2000, les ventes cumulées des titres du top 50 s’établissent en-dessous de la barre des trois millions d’exemplaires (à 2,77 millions), très en-deçà de la « norme » de quatre millions en vigueur sur la période 2006-2010.

De fait, la présence de pas moins de trois volumes de Naruto dans ce top 5 s’explique plus par une défection des grandes séries franco-belges que par une montée en puissance de la série de Kishimoto Masashi[1]. En effet, lorsque l’on considère les « habitués du top 5 » sur la période 2005-2010, 2011 apparaît comme bien pauvre, devant se reposer sur le seul XIII au sein des « valeurs sûres ».
Une impression confirmée du côté des gros tirages, faisant de 2011 une année en demi-teinte : hors manga, comme en 2010, on compte seulement un titre à plus de 500 000 exemplaires (le XIII, justement), mais tout juste cinq autres au-dessus de la barre des 200 000 exemplaires (soit les derniers volumes des séries Kid Paddle, Boule et Bill, Thorgal, XIII Mystery et le nouveau Kid Lucky) – à titre de comparaison, ils étaient onze en 2010[2].

 Parmi les grands héros classiques, on pourrait dire que Spirou est l’« absent de marque » de ce top 50 : malgré un changement d’équipe opéré en 2010 (avec l’arrivée de Fabien Vehlmann et Yoann) et une nouvelle direction salué par la critique, les deux derniers tomes de Spirou et Fantasio (Alerte aux Zorkons et La Face Cachée du Z, tirés respectivement à 110 000 et 116 000 exemplaires) n’apparaissent pas dans les meilleures ventes. Cette déception s’étend sans doute à l’ensemble de la série, qui ne figure pas dans le top 20 dont nous disposons, indiquant des ventes annuelles en-deçà de la barre des 180 000 exemplaires…

C’est peut-être Dupuis qui, avec Le Petit Spirou, avait inauguré l’approche, mais c’est vraiment avec le lancement de la collection « parallèle » des XIII Mystery que le concept des séries dérivées s’est invité au sein des grandes séries franco-belges[3]. Depuis on a pu assister à une multiplication de ces initiatives, qu’il s’agisse de Cixy de Troy ou des Mondes de Thorgal, en attendant le Alix Senator prévu pour la fin 2012.
Si ces initiatives cherchent à capitaliser sur une notoriété déjà établie, il faut bien reconnaître qu’elles n’arrivent à séduire qu’une partie du lectorat des séries principales, réalisant en moyenne des ventes diminuées de moitié. L’intérêt (et la qualité de réalisation) de ces initiatives est d’ailleurs souvent discutable. Plus encore, on constate que ces séries dérivées sont régies par les mêmes modèles d’érosion que nous avons mis en évidence plus haut. Ainsi, en l’espace de quatre volumes en autant d’années, la série XIII Mystery a vu ses ventes à la nouveauté diminuer de 30 %.

Dans un contexte de difficultés durables pour une certaine bande dessinée jeunesse, on peut s’étonner de l’engouement dont ont fait preuve les éditeurs pour les versions jeunes de leurs héros (Kid Lucky, Gastoon, P’tit Boule et Bill). La forte dégringolade du Petit Spirou, dont les ventes à la nouveauté ont été divisées par cinq en l’espace de dix ans, est pourtant un exemple emblématique. Ainsi, Kid Lucky malgré un tirage à 220 000 exemplaires (et une sortie calée le 25 novembre, en bonne position pour les fêtes), n’apparaît pas au sein des 50 meilleures ventes de l’année. On observe une meilleure performance pour le très contesté Gastoon, avec un peu plus de 42 000 exemplaires vendus, mais qui reste en net retrait par rapport aux ouvrages estampillés Gaston (pourtant seulement des recueils thématiques) publiés par Marsu Production les années précédentes. Ici encore, la règle des séries dérivées observées précédemment reste en vigueur.

Succès presque inattendu en 2010, le Quai d’Orsay de Christophe Blain et Abel Lanzac (Dargaud) confirme cette année sa belle performance, puisque l’on retrouve les deux tomes du diptyque dans les meilleures ventes (à la 7e et 13e place). Il est très probable que l’approche des échéances présidentielles a constitué un contexte favorable à ce titre (dont le second volume est paru le 3 décembre 2011), un peu comme cela avait été le cas en 2006 pour La face karchée de Sarkozy de Cohen, Malka et Riss (Vents d’Ouest). Les deux tomes enregistrent au final des ventes cumulées de près de 120 000 exemplaires.
Autre performance à souligner, celle de La planète des sages de Jul et Charles Pépin (Dargaud), qui, porté par l’argument pédagogique de « la philosophie en s’amusant », confirme après les deux volumes de Silex and the City (Dargaud) parus en 2009 et 2010.

Le succès au cinéma de Tintin – Le Secret de la Licorne (5,3 millions d’entrées[4]), accompagné d’une campagne médiatique retentissante, n’a eu qu’une influence relative sur les ventes de la série. Même si elle s’octroie la première place des séries (hors manga) en 2011 avec plus de 720 000 exemplaires écoulés, ses ventes n’augmentent « que » de 50 % sous l’effet de la sortie du film – soit un gain de l’ordre de 250 000 exemplaires sur l’année, avec le seul album Le Secret de la Licorne présent dans le Top 50 des meilleures ventes pour 2011 (à la 50e place avec 38 600 exemplaires vendus). Absent des meilleures ventes, le diptyque lié au film, réédité en un seul volume pour l’occasion et tiré à 180 000 exemplaires aura donc été un relatif échec et témoin d’une certaine saturation du marché à l’égard de la série.
Notons que cette situation s’était déjà produite en 2008 à l’occasion de la sortie du film Astérix aux Jeux Olympiques (6,8 millions d’entrées), avec une performance très modeste de l’album du même titre sorti pour l’occasion, avec 50 600 exemplaires, ce qui le plaçait à la 37e position des meilleures ventes de l’année. De plus, les ventes de la série marquaient un recul assez net de 16 % par rapport à l’année précédente[5].
Enfin, soulignons que la sortie du deuxième film tiré de Largo Winch, à la performance beaucoup plus modeste (1,35 million d’entrées en 2011, contre 1,77 million d’entrées pour le premier en 2008), n’a pas eu d’impact notable sur les ventes de la série[6], qui (en l’absence d’une nouvelle sortie) enregistre un recul de 42 % du nombre d’exemplaires vendus dans l’année.

A l’inverse, on note que Les Simpson continuent à s’appuyer sur leur notoriété télévisuelle pour placer deux volumes dans le top 50.
Alors que les grands éditeurs développent leur mix-média afin d’adapter leurs marques sur des supports multimédias (séries télévisées, jeux vidéo ou autres), le succès des bandes dessinées tirées de la série créée par Matt Groening rappelle la spécificité de ce modèle. Ainsi, l’adaptation sur un autre média se nourrit de la popularité de l’œuvre initiale, l’inverse étant rarement vérifié.

La situation du côté des séries les plus vendues reste inchangée par rapport à 2010 : sur les huit premières places (qui contrôlent autour de 15 % du marché global, albums et manga confondus), on relève quatre séries japonaises (Naruto, One Piece, Fairy Tail et Bleach), trois séries franco-belges (Tintin, Astérix et Les Légendaires) et l’adaptation en bande dessinée des Simpson, qui voit ses ventes reculer de 13 % en un an. Notons néanmoins l’écrasante domination du duo Naruto-One Piece, qui en 2011 comme en 2010 représente à lui seul 7 % des ventes totales.

Contrairement aux productions asiatiques, la bande dessinée américaine (le « comics ») ne bénéficie pas de la même attention des instituts de collecte de données. Ainsi, il n’existe pas de catégorie spécifique qui lui soit consacrée, signe d’une importance économique toute relative. De cette indifférence globale émerge cependant le « phénomène » Walking Dead (Robert Kirkman et Charlie Adlard, Delcourt), qui figure à la neuvième place des séries en 2011 avec plus de 300 000 exemplaires vendus dans l’année.
Reste à savoir si l’investissement de Média Participations sur le segment du comics via son label « Urban Comics » (diffusé par Média Diffusion à partir de janvier 2012) parviendra à inverser la tendance et installer de manière plus visible les productions de l’éditeur DC Comics en France.

Meilleures ventes 2011 avec leur tirage initial

Notes

  1. On notera d’ailleurs que le volume 52 de Naruto, deuxième meilleure vente en 2011, affiche des ventes en recul de 4 % par rapport aux ventes du volume 47 (sorti à la même période de l’année) en 2010.
  2. Données pour les dernières années, hors manga : 2011 (1 titre à tirage supérieur à 500 000 exemplaires / 5 entre 200 000 et 500 000), 2010 (1/11), 2009 (2/11), 2008 (3/8), 2007 (2/11), 2006 (2/5), 2005 (5/7). Source : Gilles Ratier/ACBD.
  3. En réalité, la première série dérivée franco-belge est sans doute Les Schtroumpfs, aperçus pour la première fois dans les pages d’un album de Johan et Pirlouit (La Flûte à Six Schtroumpfs). On pourrait également citer Ran Tan Plan (évadé de Lucky Luke) ou le Marsupilami (découvert chez Spirou et Fantasio). Ce n’est que plus récemment et sous l’influence d’une certaine industrialisation du marché que les séries dérivées ont adopté des titres faisant ouvertement référence à la série principale.
  4. Soit la quatrième performance de l’année 2011, derrière Intouchables (19,3 millions d’entrées), Rien à déclarer (8,2 millions) et Harry Potter et les Reliques de la Mort – 2eme partie (6,5 millions).
  5. L’année 2007 n’avait pourtant rien d’exceptionnel, et n’avait bénéficié que de la sortie du livre-hommage Astérix et ses amis dont la performance modeste (120 000 exemplaires) s’inscrivait très en-deçà des sommets atteints par les « vrais » albums de la série.
  6. Sur ce sujet, on se reportera plus haut à la partie consacrée aux évolutions des ventes du fonds.
Dossier de en avril 2012