Antipodistes

de

Aller vers de nouveaux territoires pour y faire la même chose, c’est un peu le synopsis non dit et le projet affirmé de ce «pavé» que bien des commentateurs abordent toujours en premier lieu par l’aspect et/ou la performance qu’il représente : 500 pages, 2kg, 5 ans de travail et de recherches, etc. Matériellement il en impose donc, et c’est vrai que c’est du lourd, au propre comme au figuré.

Glénat, une fesse sur Titeuf, une autre sur One Piece, s’était fait un peu oublier ces dernières années comme éditeur de bande dessinée sur fond historique qui avait longtemps fait son identité, que ce soit dans sa période «Vécu» ou bien celle de «la loge noire».
Terra Australis serait un peu son retour en la matière. Il y vient sur un marché différent, celui d’après le succès du nouveau Futuropolis-Gallimard, de celui médiatique des éditeurs alternatifs dit «indés», et de la notion plus commerciale que pertinente de Roman graphique, que les désormais innombrables mandarins du marketing nomment pompeusement «Graphic novel», dans leur basic English habituel, nasillard, suiviste et sans nuances.

L’intérêt de ce livre serait principalement celui d’un symptôme éditorial et des nouvelles normes qui s’y affirment. Le noir et blanc s’impose comme celui de certains succès (de Persépolis aux Ignorants par exemple) dont on peut ainsi éventuellement revendiquer l’inspiration ou la descendance[1] tout en s’évitant une mise en couleur forcément plus coûteuse[2]. Plutôt que dix volumes sur plusieurs années, on en publiera un seul. Une attitude qui prend en compte un lecteur lassé d’attendre des suites qui se révèlent parfois hypothétiques par insuccès commercial, mais aussi de plus en plus habitué à ces nombreuses intégrales qui, chez Glénat, regroupent actuellement les séries parmi les plus connues de la collection «Vécu».

Ces nouvelles normes touchent-elles le fond, les structures narratives, etc. de cette histoire ? Non, dans le sens où ce type de bande dessinée a pour principale référent le cinéma populaire. Oui, dans le sens ou ce référent s’étend désormais à celui des séries TV, et prend aussi en compte de nouvelles façons de filmer ou de raconter ayant émergées ces quinze dernières années.
Le début de Terra Australis est particulièrement exemplaire à ce titre. La présentation des personnages ou les moyens d’asseoir les arguments historiques véridiques[3], est aussi représentatif de ces formes régurgitées, au point que le scénario semble souvent celui d’un bon élève d’un atelier d’écriture de scénarii. C’est bien, rigoureux mais fait avec une seule idée délayée.

L’album sera un véritable pensum pour qui cherche un peu d’originalité et plus d’une idée sur 500 pages. Les autres se gargariseront d’une complexité qui naît avant tout de circonvolutions narratives créant l’illusion d’abondance tout en étant des conventions rassurantes ; le format inhabituel achevant leur saturation cognitive généralisée.
Si Terra Australis rencontre le succès[4], elle pourrait offrir à Glénat une manière de se renouveler sur ce qui avait fait sa prime identité. D’autant que, avec un Zep désormais débauché pour préparer un album chez le prochain label bande dessinée de L’école des loisirs, et un marché francophone des mangas dont les éditeurs japonais semblent bien, à plus ou moins moyen termes, vouloir reprendre directement les rênes, l’éditeur grenoblois se retrouve dans une position où l’avenir s’annonce beaucoup plus morose que pour ses principaux concurrents.
La recherche de nouveaux territoires aux antipodes est alors louable. Mais y faire la même chose avec ses pieds plutôt qu’avec ses mains, ne témoigne-t-il pas seulement d’une forme de virtuosité conventionnelle acrobatiques ?[5] Avec un tel album, Glénat repousse-t-il ses limites ou au contraire les rencontre-t-il de plein front et échoue-t-il à les dépasser ?

Notes

  1. Sur le site de l’éditeur, cet album n’est rien moins désigné que comme le From Hell de leurs auteurs !
  2. L’album vaut tout de même 45€. Comme le dessin fait une grand part au lavis, il est peu probable qu’il puisse être mis en couleur ultérieurement.
  3. L’éditeur insiste sur le côté «histoire vraie», donc… vécue.
  4. Nous lui souhaitons sincèrement, ainsi qu’une adaptation télévisuelle sur France Télévision en coproduction européenne.
  5. Antipodiste : «Acrobate qui exécute des tours d’adresse avec ses pieds en étant couché sur le dos.» Source le Grand Bob.
Humeur de en avril 2013