6 Pieds sous terre, histoire sensible et vraisemblable

de

Les « temps héroïques »

[Pierre Druilhe]

Jean-Philippe Garçon, Jean-Christophe Lopez et Jérôme Sié créent aussitôt une nouvelle association. Le choix du nom n’est pas immédiat, on cherche quelque chose avec un chiffre, qui distingue du tout-venant. L’accord tombe sur « 6 Pieds sous terre », pour la sonorité, le rapport à l’underground et à la bande dessinée populaire genre Lucky Luke. Le nom du fanzine se décide dans une liste de pierres précieuses : ce sera Jade [Jean-Philippe Garçon]. La mascotte enfin : Rhony l’ornithorynque. Caché, précieux, bizarre : le profil du groupe se dessine ainsi de manière indirecte, en l’absence de tout manifeste initial.

Le matériau du dernier Rumeur (déchiré mais non jeté) permet de sortir rapidement une première publication : un nouveau fanzine, au format réduit de moitié, ayant pour titre Satellite. Mais il s’agit d’une solution provisoire, laissant le temps de réfléchir à une formule durable, adaptée aux motivations des auteurs. L’équipe enchaîne en décembre 1991 avec Jade, sur le modèle de Rumeur, mais orienté de manière plus radicale encore vers la nouvelle bande dessinée et le fanzinat. La qualité matérielle du « prozine », qui impressionne les habitués [Olivier Ka, El Chico solo], montre d’abord une volonté de proposer un support solide, sérieux. Les couvertures, des plans resserrés sur des dessins colorés, de styles extrêmement différents, lui donnent un aspect très identifiable [Jean-Noël Lafargue]. Les auteurs fondateurs continuent de publier leurs propres bandes dessinées en multipliant les pseudonymes : Jérôme Sié (Gnâ, Monsieur monsieur, Jean Laciure, Marcel Sturgeon, Jaymz, Branlouille, Marvin Nash), Jean-Philippe Garçon (Buzz, Korbak, Geronimo, JC Bolivar, 6P) et Jean-Christophe Lopez (Jean Kristoff, Jika, JK) assurent, du moins au début, une bonne partie du contenu. Ils recrutent également dans leur entourage : Thomas Azuélos (Thomas) et Pierre Fauré (Tékila Banana, Pr Phoret) entrent ainsi dans l’équipe, pour quelques interventions, ainsi que Thierry Durand (Titi, Joe Cafard, Akim Color, Raoul raoul, Pierre-Henri de Castel Pouille) qui s’intègre de manière beaucoup plus durable. Mais Jade s’ouvre aussi à d’autres personnalités, très diverses et de plus en plus nombreuses. Jean-Christophe Lopez rencontre Pierre Duba à Béziers et lui propose de prépublier Marine Drive, un livre programmé chez Futuropolis : l’auteur, interviewé dans le n°3, reprend le dessin après plusieurs années d’interruption et devient un collaborateur essentiel de 6 Pieds sous terre. Au-delà de ces rencontres de « proximité », le fanzine devient petit à petit un centre vers lequel convergent des courants épars, ce qui constitue sans doute le trait essentiel de sa personnalité, et lui permet de s’attacher la collaboration de nombreux auteurs. Cette capacité à « agréger » du monde tient d’une part aux événements auxquels participe Jade, le festival d’Angoulême en premier lieu, et à la nature même du journal qui se présente comme un outil au service d’une « Internationale des fanzines » [Jérôme Sié] en plein essor.

À Angoulême, l’espace fanzine situé au fond de la bulle New York devient à partir de 1991 sous l’impulsion de Didier Bourgoin un lieu d’une exceptionnelle vitalité, capable de réunir jusqu’à cent vingt titres et six cents auteurs[1]. L’ambiance n’a rien à voir avec celle des bulles peuplées par les éditeurs établis, qui considèrent ce lieu comme un espèce d' »enfer » ayant peu de rapport avec eux : « plus on s’enfonçait dans la bulle, plus le propos s’éloignait de la bande dessinée » écrit la Lettre de Dargaud[2]. En y entrant, on passe « de l’autre côté du miroir » [Thierry Durand] : les productions et les individus les plus dissemblables s’y côtoient [Fifi], de la photocopie de base aux sérigraphies les plus soignées, au milieu d’installations à base de mobylettes et d’expositions bizarres, au rythme des apéros [Besseron]. Jade dispose d’un stand [El Chico Solo], mais beaucoup d’autres trouvent une place où ils le peuvent. Guillaume Bouzard commence à y présenter son fanzine Caca bémol étalé par terre, et des gens se croient autorisés à marcher dessus jugeant que « ce n’est pas de la BD ». Mais cette (dés)organisation favorise la communication, les rencontres, les découvertes. 6 Pieds sous terre construit des liens avec des auteurs qui deviennent des collaborateurs réguliers de Jade, tels Guillaume Bouzard, Joël Lèbre et Stéphane Blanquet. C’est aussi l’occasion d’entrer en contact avec les autres structures d’édition « alternatives ». Les Requins Marteaux entretiennent une proximité avec 6 Pieds sous terre, avec qui ils partagent des auteurs [Pierre Druilhe]. L’Association passe très vite dans un espace intermédiaire dédié aux « éditeurs indépendants » à l’initiative de PLG, au Champ de Mars, mais les liens demeurent, avec Jean-Christophe Menu, plusieurs fois interviewé dans Jade, et Mattt Konture qui, de Montpellier, fait route commune avec eux [Mattt Konture]. D’autres, basés à l’extérieur, viennent sentir là le vent de la nouveauté, à l’image du Psikopat qui ne s’est jamais considéré comme un fanzine mais a toujours gardé un pied dans les marges de la bande dessinée [Olivier Ka].

La capacité de l’espace fanzine à brasser toutes ces productions et ces personnalités se prolonge dans Jade grâce au « Top Vain » qui recense toutes les publications ayant attiré l’attention des rédacteurs [Yvang]. Beaucoup de fanzineux y découvrent avec émotion une chronique les concernant [Fritz Bol, Gilles Rochier, BSK, Isaac Wens], apprennent l’existence des autres et se sentent moins seuls dans ce monde de brutes [Mathias Lehmann]. La rubrique, en gestation à l’époque de Rumeur, s’inspire d’un principe récurrent dans les fanzines, toujours soucieux d’informer leurs lecteurs de ce qui se fait dans cette sphère. Certaines revues établies y consacrent aussi quelques pages, comme Fluide Glacial où Phil Casoar et André Igwal évoquent ces productions marginales : on retrouve dans leur chronique des mentions de Jade, et de régulières évocations de L’Association, Chacal Puant, El Chico Solo, Bouzard, Lomède… Néanmoins, Fluide glacial se limite à un rôle d’information et n’accueille jamais dans ses pages ces nouveaux auteurs : pour y trouver Guillaume Bouzard, il faudra attendre 2002, après qu’il soit passé par Jade, Ferraille et Le Psikopat. Dès l’origine, Jade ne se contente pas d’informer, mais s’efforce d’intégrer des auteurs venus de ces fanzines dont il est question dans le « Top Vain » [BSK], un principe qui demeure tout au long de son existence : Bouzard (Caca bémol) en 1991 ; Blanquet (Chacal puant) dès 1992 ; Lèbre (Enculeur de mouches) et El Chico solo (Kung-fu martien comix) en 1993 ; Laurent Sautet/Ambre (Hard Luck), Alex Baladi (Toujours content), Christelle Ruth/Colonel Moutarde et Emmanuel Plane/MacPlane (Le Goinfre) en 1994 ; « Matyass » Lehmann (I fought the law) en 1995 ; Jean Bourguignon (Fondu) en 1997 ; « l’excellent Winshluss »[3] (Viva la muerte) en 1998 ; Gilles Rochier (En vrac) et « le très talentueux »[4] David Vandermeulen (Triphasé et Agrum comix) en 2000, etc. Le « Top Vain » constitue ainsi le cœur du journal, un espace de circulation et de découverte autour duquel se construit toute sa raison d’être. Jade offre alors, en un temps où l’Internet reste balbutiant [Ronan Lancelot], un moyen de mettre en contact des individus et des réseaux éloignés géographiquement et parfois même artistiquement, de tirer des fils [Nicolas Moog], d’ouvrir un dialogue dans un moment né d’une émulation collective mais toujours marqué par l’éparpillement, la concurrence et la défiance parfois. Des groupes dissemblables se croisent dans ses pages et prennent une certaine importance dans le destin de 6 Pieds sous terre, une structure très perméable. À Lyon, le collectif underground Eux-fécal-Je, « de défonce dure » [Lionel Tran], entre en contact avec les montpelliérains par l’intermédiaire de Ambre, qui publie Hard Luck et se rend dans les festivals pour le diffuser. Lionel Tran et Valérie Berge, qui en font également partie, suivent. Tous trois prennent une place importante dans la structure en tant qu’auteurs et animateurs de Jade, Ambre dessinant, Lionel Tran réalisant entre autres des interviews, Valérie Berge des photographies. Plus au nord, en Belgique, 6 Pieds sous terre s’exporte grâce à Thierry Durand, quand celui-ci s’y installe en 1996 [Jean Bourguignon]. Hébergé par Cizo à son arrivée, il entre en contact avec Jampur Fraize et ses éditions Miel de souris, Fifi, Bourguignon, Parrondo, Pinelli. Les liens se tissent avec David Vandermeulen, chez qui tous vont emballer les « Clandestine Books » à forme de bonbons, et dans son bar le Galactica où s’organisent des projections cinéma animées par Pierre-Henri de Castel Pouille. Naturellement, une bonne partie de l’équipe collabore régulièrement à Jade, qu’elle diffuse en Belgique, et publie des livres chez 6 Pieds sous terre. Au-delà de « pôles » de bande dessinée alternative ainsi captés, une myriade d’individus isolés s’associe au journal. Avec le temps, Jade prend davantage conscience de ce rôle « organisateur » et tente de clarifier le mouvement alternatif, en déclinant dans des interviews réalisées par Lionel Tran les « sept familles de la bande dessinée » incarnées par des structures invitées à s’exprimer sur leurs parcours et leurs choix artistiques[5].

Jade s’attache donc à jouer un rôle d’information et de promotion d’une certaine conception de la bande dessinée [Tom Tirabosco]. Sur ce point, 6 Pieds sous terre se distingue de la plupart des autres structures « alternatives » qui émergent au même moment [Xavier Guilbert]. Alors que chacune possède une forte personnalité et encourage un type de bande dessinée, 6 Pieds sous terre, par le rôle qu’elle s’est assignée avec Jade, s’autorise (ou s’impose) une certaine transversalité. Des limites très claires sont posées dans le champ de ce qui peut mériter l’intérêt : les rédacteurs n’hésitent pas à en exclure assez violemment des revues, des maisons d’édition et des auteurs, considérés comme les valets et les promoteurs d’une vision mercantile de la bande dessinée. Le fanzine Rumeur, qui a été repris par une autre équipe à Sète, se prend un coup de pied en 1992, mis dans le même sac que la Lettre de Dargaud, « mastodonte ranci de la BD », partageant avec elle une « conception hypocrite et bassement publicito-financière de l’édition »[6]. D’importants auteurs « historiques » font plusieurs fois les frais de la mauvaise humeur du journal. Lorsque Uderzo annonce son intention d’arrêter de dessiner, Jade répond « on s’en branle complètement, de toute façon on ne lit pas ses albums »[7]. 6 Pieds sous terre partage donc avec ses semblables « alternatifs » le rejet de la « BD mainstream ». Elle fait néanmoins preuve d’une certaine ouverture : les interviews du n°2, consacrées à Maëster et Menu, donnent une idée du spectre balayé. Cette position, acquise par choix ou par nécessité, ou un peu des deux, ne fait jamais l’objet d’une définition claire de la part des responsables de 6 Pieds sous terre. Elle se retrouve dans l’activité éditoriale qui débute en 1995 avec la publication de deux livres donnant une idée du grand écart dans lequel la maison s’engage : Marine drive de Pierre Duba, que Futuropolis n’a finalement pas pu publier avant sa disparition, et Les Pauvres types de l’espace de Guillaume Bouzard et Pierre Druilhe. Ce flou dans la ligne, au milieu des structures dont les choix sont beaucoup plus lisibles constitue le trait essentiel de la personnalité de 6 Pieds sous terre, un flou qui déborde dans d’autres domaines de son action et qui finit peut-être par constituer un handicap.

« Il n’y a pas de responsables à 6 Pieds sous terre, il n’y a que des irresponsables »

[Miquel Clemente[8]]

L’éclectisme de 6 Pieds sous terre se trouve lié au caractère incontestablement flottant de la structure. Qu’il en soit le produit ou la cause, cela reste difficile à déterminer, mais la question n’a sans doute pas besoin d’être tranchée. Quel que soit l’angle d’observation, le flou revient sans cesse, constituant tour à tour sa force ou sa faiblesse. 6 Pieds sous terre semble être le produit d’une improvisation continue, donc d’une réinvention permanente, avec tous les risques que cela comporte.

L’errance géographique de la structure [Ambre] donne un premier aperçu, symbolique, de son caractère, et accompagne une forme d’errance humaine [Mattt Konture]. Les « bureaux » de l’association, puis de la SARL, se déplacent du domicile d’un des responsables à celui des parents d’un autre, au gré des contraintes de place, des nécessités financières, des aléas de la vie. Quand la situation économique se dégrade, les huissiers débarquent à la maison, et menacent de saisir le matériel. Basée à Pignan d’abord, l’entreprise migre ensuite à Montpellier (dans trois lieux successifs), puis à Frontignan, où le local finit par être abandonné en 2008 pour des raisons budgétaires. Déplacée une nouvelle fois, l’entreprise occupe maintenant un garage dans un quartier résidentiel de Saint-Jean-de-Védas, où ses montagnes de cartons interdisent désormais un usage normal du lieu (loger une voiture) [Marie-France Dewast].

L’incertitude née de la question « où est 6 Pieds sous terre ? » se double de l’angoissante question « qui est 6 Pieds sous terre ? » [Fabcaro, Nicolas Pinet]. Si, à ses débuts, l’association crée un « club des amis de l’ornithorynque » ou « ornithooclub » où chaque membre possède une carte, l’habitude se perd vite de recenser les sympathisants. Celle de désigner les responsables ne s’est jamais imposée. À l’origine, les fondateurs de la structure démarrent sur une ligne relativement commune, bien qu’il existe tout de même une légère hiérarchie chronologique : ce sont tous des auteurs, ils se partagent les tâches au fur et à mesure que les problèmes se posent. Mais avec le temps, les choses bougent. Seul Jérôme Sié continue de dessiner, les autres préférant se consacrer à la rédaction et l’édition, ce qui modifie les rapports internes et initie un nouveau type de relations avec les auteurs extérieurs. Le dernier arrivé, Yves Jaumain, ne dessine pas et entretient un rapport plus marginal à la bande dessinée. Des rôles se déterminent par nécessité, s’apprennent sur le tas. Jean-Christophe Lopez veut bien se charger des questions de gestion, démarcher les annonceurs, organiser les devis. Jean-Philippe Garçon, lui, apprend à maîtriser la technique, de la table lumineuse/ciseaux/ colle au passage à l’informatique. Dans le contenu, Thierry Durand assure la partie cinéma sous le pseudonyme de Pierre Henri de Castel Pouille (« vice-directeur de l’Institut national du son, de l’image et du son »), et Yves Jaumain (Jacob Kreutzfeld, Noisy T., Joe Zee Hand) encadre la partie musique (assurée auparavant par Patrick Conte alias Loup de Foix), avec entre autres Emmanuel Plane (Philippe Dumez), Sébastien Marti (Jacques Colin), Philippe Petit ou Marie-Pierre Bonniol recrutés par la suite. Progressivement, une répartition des tâches se dessine donc, mais pas de hiérarchie : « Regardez bien l’ours légal du numéro 1 du nouveau Jade : ils sont tous chefs de quelque chose, mais aucun n’est le chef des autres. C’est sans doute ça, l’underground »[9]. Le modèle de la bande de jeunes, tous copains malgré leurs caractères différents, conserve un caractère fondateur [Philippe Dumez]. D’autres personnalités apportent leur concours, et peuvent prendre une place importante. Associés aux pages du Top Vain, Olivier Ka vient du Psikopat rédiger des chroniques et Stéphane Blanquet dispose d’une rubrique, « 100 pur sang », où il interviewe des auteurs. Très actif, Emmanuel Plane propose des recensions, dessine des planches, écrit des scénarii, réalise des interviews, mais se tient à l’écart des fonctions de décision. Lionel Tran rédige une part de plus en plus grande de Jade à la fin de la décennie, et pose la question de la ligne commune, des responsabilités, mais entretient des rapports très différents avec les membres de 6 Pieds sous terre. Au sein de l’équipe, pour assurer l’organisation et la bonne marche du tout, des nouveaux entrent par la petite porte, en stagiaires, accueillis avec une légère réticence [Vincent Seveau], parce qu’on manque de moyens [Juliette Salique], parce qu’il faut proposer une place qui ait sa raison d’être. Pour la plupart, ces « huile-decoudistes » restent, mais conservent une position intermédiaire, préfèrent s’occuper des cacahuètes dans les apéros que des choix éditoriaux si telle a été leur mission initiale [Julie Jourdan], ou changent carrément de statut [Émilie Plateau]. Pourtant, le rôle des « pièces rapportées » et des « bénévoles à temps partiel » [Ganaëlle Maury] se révèle indispensable à la survie et à l’animation de la structure. Dans les dernières années, le rôle organisateur de Julie Jourdan pour les festivals, et donc les relations avec les auteurs et les responsables de manifestations, apparaît essentiel, et s’appuie de plus en plus sur les initiatives d’autres « stagiaires » dépassant ainsi leur statut initial, comme Vincent Seveau et Juliette Salique. D’autres recrues peuvent être amenées à jouer un rôle essentiel dans la structure, sans pour autant que celui-ci soit clairement identifié par tous [Maël Rannou]. Lorsqu’il vient renflouer l’entreprise en perdition en 2007, Miquel Clemente dispose d’une certaine légitimité pour prétendre à faire partie des responsables, mais il évite les décisions éditoriales et préfère se présenter comme « co-gestionnaire », aux côtés des « pères fondateurs » toujours en place, et qui ont consacré une très grande part de leur vie à 6 Pieds sous terre[10]. La question reste donc, après vingt années, toujours délicate. Selon une règle tacite, toutes les bonnes volontés sont bienvenues, et 6 Pieds sous terre doit se comprendre comme leur somme. Mais la question des prises de décision n’en demeure pas moins tranchée. La collégialité s’impose au départ, quand les fondateurs, jeunes étudiants ayant relégué leurs études au placard, conçoivent le fanzine dix heures par jour dans l’enthousiasme. Elle se trouve ensuite mise à mal par la vie, comme dans la plupart des structures de même nature, pour des raisons professionnelles, familiales, par usure aussi. Thierry Durand s’éloigne d’abord, « immigré jadien »[11] sur le territoire belge en 1996, puis se dégage de ses responsabilités en 1999, quand la nécessité de gagner sa vie l’emporte. Yves Jaumain se détache à partir de 2007. Pour tous les deux, les contacts demeurent, mais il n’y a plus d’implication effective. D’autres ruptures sont plus douloureuses. Les tensions au sujet de la rédaction de Jade entraînent la disparition du journal et le départ de Jérôme Sié. Restent au bout de vingt ans deux des fondateurs, Jean-Philippe Garçon et Jean-Christophe Lopez, dont les prises de décision ne sont pas toujours convergentes et qui peuvent avoir tendance à se séparer sur des projets portés plutôt par l’un ou par l’autre. Tous les auteurs n’ont donc pas nécessairement affaire au même interlocuteur, et restent généralement assez à l’écart du mode de fonctionnement des prises de décision. Vue de l’extérieur, l’entité 6 Pieds sous terre reste donc humainement assez vague, et chacun y associe généralement les personnalités avec lesquelles il a eu affaire, fondateurs, stagiaires ou même auteurs [Sergueï Dounovetz], à défaut de jamais pouvoir se présenter dans un gigantesque bureau de verre et d’acier, au sommet d’une tour de la Défense, pour un rendez-vous avec le PDG et les directeurs de département.

Notes

  1. Jade magazine, n°13, janvier-février 1998, p. 46.
  2. Jade fanzine, n°6, été 1993, p. 22.
  3. Jade magazine, n°12, novembre-décembre 1997, p. 17.
  4. Jade magazine, n°10, avril-mai 1997, p. 16.
  5. La parole est successivement donnée à L’Association (Jade n°16, février 1999), Le Dernier Cri (Jade n°17, mai 1999), Fréon (Jade n°18, octobre 1999), Les Requins Marteaux (Jade n°19, février 2000), Cornélius (Jade n°20, été 2000), Ego comme X (Jade n°21, hiver 2000), Amok (Jade n°22, été 2001).
  6. Jade fanzine, n°4, octobre 1992, p. 20.
  7. Jade fanzine, n°9, septembre 1994, p. 38.
  8. France Inter, le 5/7 par Agathe André, 12 août 2011.
  9. Midi Libre, 14 septembre 1995.
  10. France Inter, le 5/7 par Agathe André, 12 août 2011.
  11. Jade magazine, n°17, mai 1999, p. 12.
Dossier de en juillet 2018