La Fête des Mères

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Bien sûr, l’adolescence ce sont les corps qui changent, la possibilité physique presque atteinte de franchir ce seuil d’un adultat plus ou moins désiré où l’espace social et géographique se déploiera en un chemin labyrinthique singulier.
Mais c’est aussi le constat plus ou moins conscient d’une filiation, d’un écheveau de vies qui aboutit à vous en cet instant «T», vous qui devenez alors une mémoire étalonnée d’une décennie et qui constatez qu’elle ne remonte qu’aux parents, où aux parents de ceux-ci. Pourtant une foule anonyme immense vous précède, une généalogie arborescente qui se ramifie de vous debout comme un tronc, et dont vous ne voyez que les premières branches au dessus de vous, le reste se perdant dans l’indénombrable et l’indistinct du feuillage et du clair obscur.
Johannes, adolescent, constate au pied d’un arbre en fleur qu’il peut voyager dans le temps et le remonter. Dans ce printemps, il déteste son père, vit sur une île du nord de l’Europe, a pour amie complice une jeune fille de son âge au père absent.

Est-ce le jour de la mère[1] ou la fête des mères ? Ce qui est certain c’est qu’il y a un pas à franchir et que ce jour approche. Se présentant au hasard d’une fête et d’une étape de vie, il synthétiserait alors, dans cette coïncidence, le fait qu’il y aurait un devenir mère mieux accepté qu’un devenir père, sur une île qui réduit l’espace et la société[2] à ce qu’ils sont vraiment.
Johannes est le seul prénommé de ce livre et c’est à cause de lui qu’il y a histoire, par cette peur de devenir comme son père.

A l’aide d’une télécommande volée au père,[3] les jeunes gens vont remonter ensemble — «rewind» — loin dans le temps, peut-être bien avant la naissance du Christ.[4] Ils y verront un jeune berger responsable, ils y verront le même avec son père[5] construisant un de ces labyrinthes déambulatoires très ancien dont les traces perdures jusqu’à nos jours.
Johannes et son amie se baigneront dans ces eaux froides et lointaines, y nageront, puis reviendront à notre époque en appuyant sur «play»[6] au bon moment du rembobinage inverse — «forward» –, celui du présent qu’il avait quittés.

Mais le temps n’est pas l’espace. Johannes perçoit que cette télécommande fait voir, comprendre peut-être, mais qu’elle ne le fera pas quitter l’île comme il le désirerait. Elle déroule le temps dans un sens voulu. Les distances qu’elle abolit sont d’un autre ordre, ancrant l’île dans des dimensions temporelles qui deviennent des perspectives plus vastes que des continents pour qui sait les voir. Johannes finira pas le réaliser à sa manière, toujours avec son amie, et marchera enfin dans ce labyrinthe multiséculaire dont il a vu/perçu la genèse.[7]

La fête de mères, ouvrage paré d’une ambiguïté fertile aussi nuancée que ces couleurs, est peut-être moins sur l’adolescence ou la fin de l’enfance, qu’une réflexion pas forcément liée à cet âge sur une prise de conscience de la vie et du scénario qu’elle impose. Une prise de conscience qui varierait dans sa précocité suivant que l’on soit homme ou femme.
Le titre, la maturité de la jeune fille,[8] sont autant d’éléments qui inclineraient vers cette lecture où le masculin semble alors avoir deux destins : celui de s’épuiser dans l’idéal (comme le père de Johannes), ou celui d’accepter véritablement une paternité (comme le jeune berger et son «père»).[9]
La jeunesse des personnages devient alors un peu secondaire, un peu comme se demander si la télécommande permet vraiment de voyager dans le temps.[10]

Notes

  1. «Mother’s day». Cette histoire d’Amanda Vähämäki a été publiée une première fois sans titre dans la revue Drawn & Quarterly Showcase n°5, fin 2008. L’auteure en signait aussi la couverture et le quatrième de couverture.
  2. L’adultat donc.
  3. Pour être exact, échangée par la jeune fille avec une vraie télécommande de même aspect.
  4. Propos de la jeune fille. Christ qui est un fils. Celui de Dieu dont le père de Johannes et le serviteur puisqu’il a l’habit d’un clergyman.
  5. Rien n’indique vraiment cette filiation, c’est un pur ressenti de ma part.
  6. Comme jouer ?, Comme pièce de théâtre ?
  7. Une construction père/fils.
  8. Qui sait aider sa mère, s’occuper de son petit frère, sans parler de sa relation avec Johannes, etc…
  9. Une réflexion de l’auteure qui tient peut-être plus ou moins consciemment à une étape bien plus personnelle de sa vie, puisque quelque mois après elle devint mère.
  10. Le fait que cette idée de voyage dans le temps avec une télécommande soit un jeu souvent pratiqué par les enfants pourrait peut-être même justifier l’âge de personnages.
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Chroniqué par en janvier 2010