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Il se passe des choses t.1

de

Osmose texte/image, la neuvième chose est sur le fil de ces deux penchants, ou plutôt sur cet étrange minimal commun qu’est le trait, cette jonction mouvante où la successivité de l’écrit peut s’entremêler à la simultanéité du dessiné.
Entre le plein de l’image et le délié de l’écriture, il suffira d’une plume légère, peut-être par le ton ou  la virtuosité d’un talent (voire des deux), pour délinéamenter bien des choses et montrer/dire qu’il s’en passe. Ainsi, dans cette action de passage, dans cette impermanence affirmée, les êtres, faits, ou objets seront vus comme des choses, délimités d’une main dans l’accord mouvant d’un instant qui les aura tracés.

Joindre le geste à la parole, affirmer la geste dans une parole, et montrer celui du disegno confronté à la ligne tracée (dessin à ou sans dessein ?), pourraient résumer d’une certaine manière le livre de Guillaume Chauchat.
Toutes les choses qui s’y passent n’ont certainement pas été vues mais bel et bien entendues. Qu’importe la source, que ce soit ses pensées ou les paroles d’autrui, pour l’auteur, l’essentiel est d’y avoir vu et de le montrer. Logique donc que ce livre en bande dessinée commence justement par un livre trouvé au pied d’un arbre et intitulé «La réponse». Logique aussi qu’il faille être un personnage sans musique, sans amour, sans réflexion et ayant quitté depuis longtemps l’enfance pour le prendre et l’ouvrir. Car en dehors de tout cela, la vie ne serait-elle pas qu’une question informulée, un lent suicide, une longue chute à la vitesse d’un arbre qui pousse ?
Si la possession du livre (du possédé du livre ?) atteint aux extrêmes ce personnage (précisément les pieds puis la tête), il ne sera plus ensuite cette linéature, ce contour, cette délimitation mais bien une sinuosité, une ondulation, une ouverture d’un trait et peut-être une liberté.

Toile de fond en fils de vies, tout cela ne sera pourtant que prologue ou étalon d’un temps narratif lui-même devenu fil voluté, ligature de multiples choses.
Ce qui se projette sur cette trame de drôles de choses ? Et bien plus particulièrement celle-ci, un fils et son père, une histoire de transmission, de lignage à travers une étrange alchimie, passant par une parole sans écriture et conditionnant leur fortune, c’est-à-dire leur destin. Problème : le fiston ne semble créer que de sombres et noirs aplats (caoutchouteux) plutôt que multiplier traits pour traits la transparence solaire d’un Louis d’or.

Guillaume Chauchat semble peut-être prendre malicieusement au mot (mais pas au pied de la lettre) la formule prattienne : «Je dessine mon écriture et j’écris mes dessins».
Il se passe des choses est le premier volume fascinant de ce qui est promis être une trilogie. Un album plein des choses, d’un tas de choses qui sont comme les traits d’esprits, les fulgurances calligraphiés des mécanismes profonds d’une neuvième chose. Finalement, ce serait dans cette inventivité exploratoire et éloquente que l’auteur rejoint le mieux Saul Steinberg[1].
Son livre débordant est passage, tout l’exact contraire du chosifié.

Notes

  1. Auquel on l’associe forcément, à cause des paroles transcrites en volutes de pleins et déliés qui sortent parfois de la bouche de ses personnages. On aurait pu aussi évoquer le Picasso des dessins en un seul trait, ou les sculptures en fil de fer de Calder, puisque Chauchat poursuit aussi son travail dans ce domaine.
Chroniqué par en juillet 2013