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Lou ! t.6 : L’âge de cristal

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Voilà cinq tomes que l’on suit la vie de Lou, de sa famille, de ses amis sous la forme d’une petite chronique sociale amusante. Nous la voyons grandir, traverser son adolescence entre rires et émotions douces. Le ton légèrement décalé participe à l’humour et au charme de la série, tout en lui apportant sa vraie identité. Car c’est au travers de ce décalage, essentiellement représenté par la mère de Lou, que Julien Neel avoue son amour pour la culture geek et le cinéma bis, en particulier les films d’aventure et de science-fiction à la Flash Gordon. Éternelle constante de la série, la mère semble être la seule à ne pas évoluer, traversant les tomes sans surprendre. Même le cinquième volume, concentrant son récit sur sa jeunesse (et notamment comment elle a rencontré le père déserteur de Lou) n’apporte pas grand-chose au personnage, à peine un peu plus d’épaisseur.

A l’image de ce personnage figé, il est probable que Julien Neel avait l’impression que sa série tournait en rond. Peut-être avait-il la sensation de perdre l’inspiration à force de s’enfermer dans des stéréotypes voués à peu d’évolution ? Le principe de série imposant de lui-même — le plus souvent — le maintien d’un certain status quo.
Ce sixième tome a été le plus long à accoucher, sans doute suite à une remise en question de la part de l’auteur, qui se traduit par une re-contextualisation quasi totale : le temps a (bien) passé depuis le tome précédent, et Lou est désormais une jeune adulte qui participe à un mystérieux programme du gouvernement pour lequel elle doit récupérer des informations sur d’étranges cristaux apparus un peu partout dans le monde.
Résumée ainsi, l’intrigue fait plus penser à une aventure de science-fiction teintée d’action débridée, d’épais mystères et de surprenantes découvertes. Pourtant, il n’en est rien — ou presque, puisque Julien Neel persiste à se centrer sur ses personnages, plutôt que sur les rebondissements ou sur son univers. La chronique sociale conserve ainsi sa prédominance, ne modifiant pas radicalement le ton de la série, et ce changement de contexte (temps-univers) excuse de brutales évolutions de certains personnages, et apporte une dimension supplémentaire au récit (celle de la fascination du mystère), permettant dans un même temps à la série de se renouveler.

À l’image de cette démarche, reflet du contenant de l’album lui-même, le titre est particulièrement révélateur : ouvertement référencé[1], il suggère l’idée que la série entamerait sa période de maturité. En effet, dans le film du même nom, les personnages découvrent que l’âge qu’ils pensaient être celui du déclin (lorsque leur cristal devient noir) était en réalité celui de l’épanouissement, de la maturité. En suivant un cheminement inverse au film (les héros du film découvrent le monde «réel», alors que ceux de Lou ! sont passés d’un univers réaliste à un univers fantaisiste), la bande dessinée tente de sortir du domaine de l’enfance, abandonnant certains artifices propre au genre sans pour autant délaisser complètement son originalité de ton et son côté girly qui font son charme.

Astuce artificielle d’un auteur pour entretenir son inspiration, ou petit coup de génie ? Difficile de l’affirmer sur ce tome-ci, seul l’avenir prouvera si ce choix n’est que superficiel, ou si la dimension de science-fiction se trouvera pleinement traitée. Dans tous les cas, c’est un pari osé, tant il est difficile d’apporter de tels changements à une série mainstream, et d’autant plus quand elle connaît le succès. Frustration ou incompréhension des lecteurs qui trouvent là un bouleversement profond de leurs habitudes, et perdent peut-être ce qui les attirait dans la série (un certain réalisme qui facilitait l’identification) au profit d’une nouvelle dynamique.

Il faut saluer aujourd’hui la décision d’un auteur installé de prendre de tels risques, quitte à saborder sa propre place dans le système. Et il est intéressant de constater également que cet album est sorti quelques semaines seulement avant l’ultime numéro du magazine Tchô ! qui avait vu naître la série. Magazine qui n’a pas su, lui, évoluer sensiblement, prendre suffisamment de risques afin de gagner d’autres publics. Le symbole en est d’autant plus frappant.

Notes

  1. L’âge de cristal (Logan’s run) est un film de Michael Anderson sorti en 1976, basé sur un roman de William F. Nolan et George Clayton Johnson datant de 1967, qui en plus d’être un grand classique du cinéma de science-fiction est devenu avec le temps l’un des grands représentants du cinéma ringard et kitsch des années 70. Encore cet amour de la série B.
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Chroniqué par en avril 2013