Ma vie de réac

de

Morgan Navarro anime un blog du Monde. La concurrence est forte dans le registre de l’auto-mise en scène en bandes dessinées, mais ce créneau de la réaction revendiquée restait inoccupé depuis la mort de Lauzier. Peu importe que Navarro soit vraiment réac ou pas, ou dans quelles proportions — on s’en fout — l’important est ce qu’il nous donne à lire. Ses pages sont présumées humoristiques et rentre-dedans. L’effet tient à la confrontation systématique de trois paramètres : la mauvaise foi de l’auteur qui laisse mollement planer le doute quant à ses convictions réelles, un hypothétique « bon sens » censé interpeller le lecteur, ce « bon sens » s’opposant à une modernité subie, incarnée par des urbains bobos-vegans ou assimilés car la perspective de Navarro ne s’étend pas au delà de son territoire et des gens qui y évoluent.

Autre point essentiel pour que la sauce prenne, il voudrait nous convaincre que ce qu’il dit est inaudible — dans le sens où on n’a pas souvent l’occasion de l’entendre — car non « politiquement correct » : hurler avec les loups n’est jamais très vendeur, mieux vaut jouer la transgression. Ainsi, dans la construction de ses histoires, il est toujours seul à exprimer une voix discordante contre l’avis de ses interlocuteurs et interlocutrices (au mieux, contre l’indifférence des autres). C’est sans doute là où le bât blesse le plus, car son discours reste d’une banalité confondante, page après page, ne faisant qu’accompagner les thèses dispensées dans les médias dominants, voire celles de pamphlétaires ayant pignon sur rue (on ne peut pas dire qu’Alain Finkielkraut, par exemple, manque de tribunes pour cuisiner sa daube).

Il ne s’agit pas là d’éclairer le fonctionnement du monde en ouvrant de nouvelles pistes, ni de prendre une tangente poétique, ce qu’on attend en général d’une œuvre artistique ou littéraire, ni même de divertir ou de documenter, il s’agit seulement d’ânonner les idées les plus fréquentées en simulant l’originalité. L’époque est réac et la production de Morgan Navarro colle tout à fait à l’époque. Pour échapper à l’ennui, allons voir ailleurs.

[Texte initialement publié sur le site de l’excellente librairie Contrebandes, à Toulon]

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Chroniqué par en décembre 2016