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Max et Moritz, avec Claque-du-bec & Cie

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Max et Moritz n’ont eu qu’une vie de sept exploits dont ils payèrent cher l’essence caustique et drolatique. Pourtant, presque 150 ans après leur naissance, les deux sauvageons n’en finissent pas de renaître, de faire descendance et d’orienter les regards sur l’œuvre de leur géniteur.

Ce livre est une réédition (la première publication datant de 1978) à laquelle ont été ajoutées six histoires nouvellement traduites par François Cavanna (Claque-du-bec la terreur, le méchant meunier, les deux filous, le lièvre, la paresse punie, le renard, et le sage hibou). Pourquoi s’y intéresser puisque Wilhelm Busch est disponible en français dans d’autres éditions depuis longtemps ?[1]
Cela pourrait être à cause de la couleur, pour le format, la qualité du papier ou le fait de proposer cela dans le secteur jeunesse ; mais ce sera surtout pour la traduction de Cavanna qui interroge indirectement l’œuvre sur deux aspects qui peuvent apparaître nouveaux, ou pour le moins en rappeler certaines particularités.

Le premier est l’influence de Wilhelm Busch (1832-1908). On sait ce que la série Pim, Pam et Poum (1897) de Rudolf Dirks lui doit. On connait le long succès de cette dernière que ce soit sous la forme de The Captain and the Kids, quand Dirks passa chez Joseph Pulitzer, ou celle de The Katzenjammer Kids, quand Harold Knerr reprit parallèlement la série pour le compte de William Randolph Hearst. Cette influence fut telle que certains ont pu se demander s’il y aurait eu autant d’enfants dans la neuvième chose sans cette réussite et si, par exemple, les Peanuts auraient pu exister.
A cette descendance indirecte voire incertaine, on pourrait ajouter celle de Busch sur Cavanna qui, dessinateur aussi, a été profondément marqué par les qualités graphiques et la liberté de ton de l’auteur allemand. Par ricochet, on pourrait donc tout autant s’interroger sur son impact indirect sur Hara-Kiri et Charlie. Sans Busch l’histoire de la bande dessinée en France aurait pu être tout autre.

Le deuxième aspect est celui de la traduction. Cavanna sait rendre à merveille ce qui était des vers de mirliton. Ce qui partout ailleurs n’est que Le corbeau[2] devient chez lui Claque-du-bec la terreur.[3] Que la traduction soit proche ou non, importe finalement peu dans notre cas. A la lecture de ces six histoires qui par leur énergie graphique sont en soi des histoires muettes et fonctionnent quasi comme telles, tout mot qui les accompagne devient un commentaire. Busch a pratiqué les histoires muettes, on le sait (dans la revue Fliegende Blätter). Ici, dans ces six histoires, les mots deviennent une lecture, un point de vue, font éclater l’éventuelle habilité de celui qui la lit «à voix haut», qui la verbalise sous la case. Busch comme Cavanna en sont des commentateurs

Pour finir, notons que Max und Moritz est aussi un prix en Allemagne qui récompense des auteurs de bande dessinées depuis bientôt trente ans, et que les deux garnements ont fait l’objet d’un film, Max und Moritz Reloaded (2005), transposant leurs «exploits» à notre époque. Une influence qui montre peut-être moins l’importance des deux gamins que la force de l’œuvre de Wilhelm Busch. Claque-du-bec par exemple, a fait l’objet récemment d’un «remake» qui a été édité en français chez Minedition sous le titre Oiseau de malheur ![4] Une renaissance continuelle qui tiendrait peut-être à des images qui parlent d’elles-mêmes, d’une musicalité graphique où la parole vient ensuite, que ce soit sous forme de vers de mirlitons que sous forme de traduction ou de réinterprétations/relectures.

Notes

  1. Chez Pierre Horay, par exemple. Max et Moritz est toujours disponible en poche dans la collection «Mouche» de L’école des loisirs.
  2. Aux éditions Le Cri, en 2003 par exemple.
  3. Quand Cavanna a traduit Pierre l’ébouriffé (Der Struwwelpeter) de Heinrich HOFFMANN (1809-1894), autre grand classique de la littérature jeunesse allemande, il l’a traduit Crasse-tignasse.
  4. Par Géraldine Elschner et Jonas Lauströer, lisible sur le site de l’éditeur ici.
Site officiel de L'Ecole des Loisirs
Chroniqué par en octobre 2012