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L’ Amateur (t1)

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Dans un monde de professionnels le mot amateur est une insulte. Rassurés dans une pensée animale au présent, la curiosité au vestiaire, ceux de la ou des profession(s) n’ont pourtant que l’habitude de gestes ou de pensées laborieusement copiés pour qualification qualifiante. «Amateur», lui, porte le mot aimer dans son étymologie. Il est, à l’aune du Grand Bob, celui «qui aime, cultive, recherche» pour «son seul plaisir». L’insultant pour le pro étant justement ce plaisir désintéressé que lui-même a oublié dans l’intérêt exclusif d’une médiation pécuniaire. Heureusement pour lui, le professionnalisme se multiplie en même temps que les objets. Rassuré, dilué dans cette foule costumée d’un carnaval à la joie obligatoire, «amateur» devient ce mot facile que l’on se lance entre collègues de la profession, entre rires gras et colères sèches, bornant en creux un monde sursitaire ne pouvant s’avouer sans plaisir.

Got, tout au plaisir, le cul entre deux chaises, deux âges, deux ères et deux hémisphères cérébraux, s’affiche comme l’amateur monadique envoyant aux uns ce qu’il a signifié et aux mêmes, peut-être à d’autres, ce qu’il a de signifiant.
Un peu de la profession certes,[1] il montre en ce livre ce qui fait de lui beaucoup plus. Quinze années sans publier un album et en voici un, enfin, qui montre autrement ce temps écoulé, à flot d’encre sur du papier. La couverture dans ses beaux aplats de couleur vous y prépare justement. Il s’agit d’aller aux sources d’un plaisir oscillant entre un sein et dessin s’incarnant dans un «petit mickey» autonome, croquant le téton à pleines dents pour en porter le rouge à l’aréole. Il s’y confond ce qui l’a fait grandir et ce qui lui a donné du plaisir, en une définition graphique parfaite du mot «amateur».

Pour les professionnels, Got mériterait un bonnet d’âne pour ses longs silences. Pour ses amateurs sachant attendre, Got affuble ses avatars de bonnets de Mickey, les transformant en «Mic Kay», joli jeu de mot où se décèle l’hommage à un autre grand rêveur du neuvième art, à une enfance où l’on ne disait pas «bande dessinée» et à une volonté de ne plus en faire un plaisir coupable quand l’adultat s’impose.
Démystifier d’un œil de pervers polymorphe, montrer à la source les sources de plaisirs, admirer et s’effrayer de ses origines du monde semblant d’une autre échelle, voici ce que nous montre le coauteur du Baron noir. En voyant ce «Kay» attractif, la proximité d’une voyelle de la traduction du mot «clef» en anglais vient aussi à l’esprit car il s’agit, là encore, de déverrouiller, de montrer ce qui était caché (dans un tiroir, au fond de soi où dans la société) et/ou ce qui était cachant (surmonter la main malhabile, l’encre hasardeuse où les mots vides).

Les victoires de Got se font d’un trait souple s’épaississant aux limites de la forme, introduisant un flux de surface sachant avec finesse se faire aussi bien âpre qu’humoristique.
Chaînon manquant entre la génération symbolisée par Reiser et celle contemporaine de l’école dite «indé», il travaille ses pages d’une culture connaissant les impératifs de la presse quotidienne et ceux de l’illustration pour enfants.[2] Une démarche périodique du concis et de l’affleurement hors mesure impliquant un biotope fragile que n’offre plus ni la presse, ni l’édition et que la confidentialité de revues aux périodicités extensives ne sait pas rendre viable et visible. Got a donc un jardin secret parce que le monde est ainsi, ouvrir ces pages vous fera l’apercevoir.[3]

Notes

  1. Got est l’auteur avec Pétillon (scénariste) du Baron Noir, strips plein de génie publiés dans le quotidien Le Matin à la fin des années 70, réunis en un album par Glénat. En une trentaine d’années, Got n’aura publié que deux autres albums de bande dessinée : Image en cage (chez Futuropolis en 1980) et L’arène noire (chez Flammarion en 1990).
  2. Got est l’auteur de Didou, série pour enfants d’une trentaine de volumes chez Albin Michel.
  3. Note qu’en ces pages de L’amateur, ami lecteur, lectrice mon amour, tu trouveras la série de strips Multitamtam commis sur un scénario de Lewis Trondheim à la fin des années 90.
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Chroniqué par en février 2006