L’ Antre de l’Horreur

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Adapter est un de ces mots emblèmes de notre époque, dont le sens va de l’ajustement parfait à l’accommodement fait d’expédients.
Du verbe au nom, d’adapter à adaptation, l’éventail va d’une transformation de nature rhétorique pouvant mettre en valeur des qualités intrinsèques, à un aspect darwiniste simpliste, où l’environnement et la loi du plus fort sont les seules conditions nécessaires.
Dans ces jours multi médiatiques, où le langage des images semble une étape évolutive pour le moins supérieure (chronologiquement) à celui de l’écrit, il faut donc adapter ce dernier pour monter ce qu’il a dit et raconté. La démarche n’est pas nouvelle, mais en matière de bande dessinée, elle a pris ces derniers temps une tournure importante en adaptant comme jamais nombre de romans.

La grande majorité de ces adaptations s’intéressent uniquement à la trame narrative, la réduisent à de grandes lignes pour l’enluminer à la mode et aux couleurs du jour. Les titres sont pour la plupart dans le domaine public, et une foule de jeunes dessinateurs techniquement irréprochables (et/mais interchangeables) ayant échoué à travailler dans le domaine des dessins animés voire des jeux vidéo, se prêtent bien volontiers à mettre en mouvement ce qui pour eux est à la fois une opportunité et une facilité.[1] Les éditeurs visent un jeune public, qui n’aime pas lire (forcément), ou (argument pour l’éducation nationale) découvrira la littérature (les classiques) pas ce biais. L’argument adaptatif nivelle donc par le bas une fois de plus, à la manière des télévisions où un film en noir et blanc antérieur aux années 70 ne peut passer en prime time qu’uniquement colorisé.

L’antre de l’horreur ne se distingue pas uniquement de cette démarche par l’absence de couleur. L’intérêt de ce recueil de dix récits adaptés de poèmes et nouvelles d’Edgar Allan Poe, tient à ce qu’il affiche son adaptation de nature rhétorique (au sens positif d’éloquence et de stylistique), en reproduisant les textes qui ont inspirés scénarii (de Rich Margopoulos) et dessins (de Richard Corben).
Il y a donc accès et côtoiement ici, là où d’autres privilégient l’argument d’évitement et les arrangements prothétiques. C’est un processus qui se donne à lire, pas une adaptation que certains oseraient qualifier de fidèle.
Le travail des deux auteurs va même plus loin, puisqu’ils adaptent de la poésie. Ils savent avec intelligence cultiver une ironie et un décalage au détriment de notre époque, tout en gardant la mélodie et le rythme du poème originel, qu’ils transposent dans l’articulation des planches, des cases et de l’histoire.[2]

Les adaptations pourront sembler inégales, mais cela tient moins, à mon sens, à une éventuelle trop grande proximité ou à un trop grand décalage par rapport aux textes, qu’à des thématiques soutenant ce travail qui, malgré leur excellence, témoignent aussi de certains réflexes, voire d’une certaine époque.[3]
C’est peut-être cet aspect d’ailleurs, de décalage multiple, qui aurait incité l’éditeur à publier les textes dans ce recueil. Comme quoi, à s’inquiéter de l’incompréhension des lecteurs, on peut prendre le temps de faire appel à leur intelligence en leur donnant de quoi la satisfaire, plutôt que de vouloir l’éluder systématiquement. Certes, la forme courte des poésies et des nouvelles permet une présence in extenso que ne peut offrir un roman. Mais à jouer sur l’idée d’initiation littéraire, un extrait du texte ne paraîtrait pas moins légitime dans un «48CC», éclairant à la fois sur le pouvoir des différents médiums que sur la valeur du travail des divers auteurs.

Notons pour finir que l’édition en français, offre les textes de Poe bien évidement traduits, dans leurs versions les plus connues, celles de Baudelaire ou Mallarmé. La traduction étant elle aussi une adaptation, on se dit qu’aussi, cette édition aurait été parfaite avec le côtoiement supplémentaire des textes en version originale.[4]

Notes

  1. Pas d’histoire à inventer ; ils peuvent acquérir une visibilité en évitant l’énième série polar/SF/Fantasy saturant le marché, thématiques auxquelles ils auraient naturellement penché ; et sont dans la logique rassurante pour eux d’une bande dessinée comme cinéma de papier, comme ersatz ; etc.
  2. Je pense en particulier à l’adaptation du poème «Eulalie».
  3. Le couple Margopoulos/Corben avait déjà adapté des nouvelles de Poe dans les années 70.
  4. Vous me direz qu’à ce prix, autant ajouter par la même occasion les planches en version originale. Je vous répondrais que non, dans la mesure où la quasi-totalité des récits en bande dessinée reprennent sous formes de narratifs, les textes ou des extraits de textes de Poe.
Site officiel de Rich Margopoulos
Site officiel de Panini
Chroniqué par en novembre 2007