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Mais pourquoi tant de «n» ? Parce qu’il s’agit d’un «abécédaire» consacré à la quatorzième lettre de l’alphabet.

Tout commence par[1] un beau projet des éditions l’Édune, ayant pour ambition d’éditer une vingtaine de livres, chacun consacrés à une ou deux lettres de l’alphabet. Le cahier des charges est simple : les livres auront pour titre leur(s) lettres(s) respective(s) ; ils contiendront une quarantaine d’images qui illustreront des mots commençant par la/les lettre(s) en titre ; et le tout sera proposé aux dessinateurs/illustrateurs parmi les plus talentueux de la littérature pour la jeunesse.

L’originalité est qu’il ne s’agit pas d’un abécédaire traditionnel où les lettres se font plus figuratives ; voire où des images simples sont généralement associées à une lettre, pour faire comprendre où et comment elle apparaît, dans quel mots, à quel son elle est associée, etc. L’abécédaire des éditions l’Édune n’est pas là pour donner les premiers rudiments d’un apprentissage de l’écriture ou de la lecture. Il offre une lettre pour clef, permettant de décrypter des images complexes et d’y deviner le ou les mots qui s’y cachent. Les images ne sont plus de nature picto-idéographiques, mais des énigmes, allant d’une sorte de rébus pour les plus simples à de véritables lieux où il s’agira de plonger pour trouver ce mot non écrit, ce mot latent prêt à être dit.[2]

Cette démarche donne à de nombreuses images de ces livres un statut qui, mise à part l’absence de séquentialité, les rapprochent de la bande dessinée muette, soit parce que les mots et le langage les charpentent là aussi plus que d’autres de manière sous-jacente ;[3] soit que ces images suscitent facilement l’envie de dire, de raconter.[4]
Ce pas vers la bande dessinée muette est justement franchi par ce douzième livre de la collection, réalisé par Marc Boutavant. Ici, l’auteur n’égraine pas des images sans suite ou au gré des mots cachés, mais s’en sert pour réaliser une histoire, celle de Nounours qui conte à son fils,[5] un jour de Noël, le formidable voyage qui lui a permis de rencontrer l’amour et l’a transformé aujourd’hui en père comblé. Ce récit muet fait une quarantaine de pages, chacune composée d’une case, avec pour contrainte de suggérer sans mot dire ni écrire, un mot commençant par «n». Un principe enfantin pourrait-on dire, quasi oubapien dans son exigence, dont l’auteur d’Ariol se tire avec cette virtuosité qui en fait l’un des dessinateurs les plus influents et copiés de sa génération.

Nous suivons donc cet ours rouge, dans des décors qui multiplient les détails comme autant de chausse-trappes suggérant des mots ne commençant pas que par «n». Son voyage emprunte aux grandes thématiques de l’univers jeunesse (nain, voyage en ballon, naufrage, etc.) pour se retrouver sur une île qui, si elle n’est pas exactement déserte, réduit sa quête inconsciente à un point qui pour n’être pas final, devra s’ouvrir à l’altérité particulière du sentiment amoureux.
Tout se terminera bien, évidement, puisque l’on sait dès le début que Nounours se maria et eut un enfant. Le question était donc surtout de savoir avec qui ?
Si son prénom commence probablement par un «n», nous n’en saurons pas plus que ce que son physique laisse supposer.[6] La onzième consonne étant aussi celle par qui tous les principaux mots de négation commencent, il était logique de finir ainsi, de rester sur cette fin avec beaucoup d’amour (sans haine), suggérant (cette fois-ci sans images) ce qui forge les limites, qu’elles soient intimes ou générales.

Notes

  1. J’aurais pu dire : «Il était une fois…».
  2. Rassurez-vous, si par malheur aucun mot ne survient à la vue de l’image, une page en fin de chaque livre offre toutes les solutions.
  3. Dans le cas de ces abécédaires, c’est le mot qui doit être suggéré qui charpente les images ; dans le cas de la bande dessinée muette, cela peut être un scénario écrit, la volonté de s’abstraire du langage qui informe alors en creux la conception des images, la conception de la planche qui aligne naturellement les images comme les mots, l’usage d’images dans des bulles pour remplacer les mots, etc.
  4. La bande dessinée muette est parfois perçue par les enseignants comme un moyen, par ce mutisme éloquent qui la caractérise, de faire naître le discours, l’expression, qu’elle soit orale ou écrite. Dans le cas des «abécédaires» de l’ Édune, il s’agit de faire dire au moins un mot, puis de le lire dans la page des solutions pour ensuite, si jamais, savoir l’écrire.
  5. Nounours parle avec une bulle contenant une image.
  6. L’auteur s’en amuse d’ailleurs, puisqu’il dédicace son livre par cette phrase : «à mes amours», suivie d’une liste impressionnante de centaines de prénoms commençant par «n».
Site officiel de Editions L'Édune
Chroniqué par en décembre 2008