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Au bonheur des fans

de

Qui aurait dit qu’un jour on reverrait les vieilles planches de Jano avec l’œil nostalgique et la mémoire embuée ? Ses loubards improbables et ses embrouilles vaseuses, ses losers magnifiques, ses champions poivrots serviront un jour à prouver à nos gosses que le monde que décrivent les chansons de Renaud a vraiment existé. On en tournera précautionneusement les pages, devant les yeux dubitatifs d’enfants ennuyés par la conversation de papy. On ne pourra pas leur en vouloir, ils n’auront jamais vu de R12 de leur vie.

Pourtant, ces histoires qui s’étendent de 1983 à 2006 sont jouissives. On revient à Gazoline, la punkette de l’espace, série Z incroyablement attachante, petite soeur frenchy de Tank Girl. On revient à Kébra, à Stef le p’tit le SCF, aux zonards dépenaillés, à l’éloge de la débrouille. Au bonheur des fans parcourt toute la palette, de la banlieue craignos à l’Afrique des poussières et du kif sous les étoiles.
L’Afrique de Jano, peut-être plus que sa zone, ou que ses pin-ups incroyables, occupe parmi les planches collectées dans ce recueil une place spéciale. Dans la route et dans la brousse, dans les détails et les rencontres, on retrouve la richesse de la banlieue de Kebra, mais parée des fascinations du grand ailleurs. Jano n’a pas fait son Rimbaud, son bateau est ivre mais d’un bon vin, franc, joyeux, et même gaillard.
Cette gaillardise se retrouve dans le rythme même des scènes de banlieue ou de space-opera, saisies à la hussarde, racontées dans la bousculade et l’excès, dans le pur plaisir de l’histoire. Chaque planche est comme une chanson, saisissant au vif un caractère, jouissant de la profusion du trait pour peindre un dépôtoir, une jolie fille, un souk, une plage, une astéroïde, en le nimbant d’un glamour un peu écaillé.

Le dessin de Jano est puissant : il s’empare de tout, dans le plaisir transparent de la représentation. Chaque décor nouveau est un plaisir sensible, un cadre nourri de détails, saturé de sensations, rempli de bulles, d »interjections, de cris. Ça grouille, sur les relais spatiaux comme dans les gourbis. Tout semble simple, chaque forme est évidente, juste un tout petit peu accélérée, rendue rock, vibrante.[1] Plénitude des seins de Gazoline, mais plénitude aussi des arbres, des bagnoles, des gnons, des injures. Les images vont vite, le récit suit comme il peut, ici dans les dialogues, là dans une voix off, plus loin dans un récitatif encadré qui vient se surimprimer sur les paysages d’Afrique. Jano ose tous les rythmes, du plus saccadé au plus lent, animé par une fringale d’histoires, d’images et de situations.

Bref, le titre tient ses promesses : Au bonheur des fans est une douceur de fin de soirée pour les vrais amateurs de Jano. Pour les autres, ah, ce n’est peut-être pas par là qu’il faut commencer. Voyez Gazoline, Wallaye, Sur la piste du bongo, La Santa Sardinha, ou même Paname. Trouvez chez les bouquinistes ce qui n’est plus édité. Léchez-vous les doigts dans cette vigoureuse confiture. Puis revenez à ce petit recueil joliment mis en paquet par Automne 67, et dégustez-le comme un rappel d’un très bon concert de rock.

Notes

  1. C’est la «ligne crade qui sait rester claire» dont parle Olivier Josso dans sa préface.
Site officiel de Automne 67
Chroniqué par en avril 2008