Black Candy
Alors que paraît Black Candy, son premier ouvrage publié par Black Eye Books, Matt Madden s’est déjà fait un nom. Depuis quelque temps déjà ses mini-comics (dont notamment ses Terrifying Steamboat Stories) dénotaient d’un talent bien particulier, d’une personnalité que l’on espérait pouvoir jauger sur la longueur d’un album conséquent.
Certains l’auront peut-être découvert dans les pages de Dirty Stories, ouvrage collectif où de (plus ou moins) grands noms de la scène indépendante abordaient qui de la sexualité, qui de l’érotisme, qui de l’histoire salée. Au milieu de récits plus ou moins crus, on découvrait quelques pages étranges, désolées, qui exsudaient la solitude et dégagaient, par elles-même, mais aussi par rapport au reste de l’ouvrage, un sentiment d’intense malaise.
Ces quelques pages suffiraient à présenter l’approche de Matt Madden, une approche plus intéressée par les ambiances et les sensations, que par une direction narrative bien définie. En cela, il évoque les nouvelles de J.D.Salinger, nouvelles fortes où de multiples questions restent en suspend, et où le lecteur doit se forger sa propre conclusion.
On pourrait aussi parler d’Enchanted Rock, l’histoire d’un groupe de jeunes qui part profiter d’un dimanche après-midi en s’offrant une virée en montagne. Le récit montre une succession d’événements presque banals, mais qui contribuent tous à l’ambiance désoeuvrée, profondément triste qui se dégage de cette journée, une journée comme on pourrait en vivre, et comme on en a déjà vécu.
Comme dans la vie, Matt Madden préfère laisser les choses inachevées, incertaines. Amères sans être désespérées, ses histoires nous renvoient souvent à notre impuissance à changer les choses.
Carl, le « héros » de Black Candy a beau être un donneur de sperme, un « branleur professionnel » comme il aime à dire, c’est encore d’impuissance qu’il est question. Carl a du mal à agir ou à réagir, il est témoin de sa vie, mais se refuse à en être acteur. Il est représentatif, d’une certaine manière, d’une certaine apathie qu’on a dénoncée dans la jeunesse des années 80/90. (La bof-génération, ou why-bover generation). Il se contente de ce job de cobaye médical, acceptant d’avaler régulièrement de petites pilules noires (les black candy) sans se préoccuper de ce qu’elles lui font. Comme il dira : « J’essaye de me convaincre qu’il y a une différence entre la paresse et l’apathie, mais … » Il ne terminera pas sa phrase, ce qui est aussi représentatif de sa façon d’être.
A nouveau, c’est par la collision de plusieurs instants, de plusieurs événements distincts que Matt Madden va créer une ambiance particulière que l’on retrouve dès la première scène. En effet, s’ouvrant sur une scène de masturbation (crue et sans érotisme, clinique, presque), l’ensemble du récit se teinte d’un malaise qui va aller en s’amplifiant, à l’instar de la maladie que Carl se découvre sans oser l’avouer. Il se doute bien que cela découle de l’expérience médicale pour laquelle il est payé, et dont on saura peu de chose, mais il est littéralement incapable de réactions.
Il y aura bien quelques rayons de soleil dans cette histoire sombre et sans espoir, comme la rencontre de Carl avec une jeune fille pleine de vie, mais cela évoluera vers une de ces occasions manquées qu’il nous arrive de rencontrer.
Ce n’est qu’un concours de circonstance qui le forcera à sortir de sa léthargie.
« Do something ». Fais quelque chose, se dira-t’il.
Avec cette oeuvre, il est indéniable que Matt Madden a atteint une pleine maturité. Jouant habilement sur ce qu’il montre et ce qu’il décide de dissimuler, il mène par petites touches le récit jusqu’à sa conclusion.
Une conclusion qui arrive abruptement, mais Madden sait qu’il n’a pas besoin d’en dire plus.
Une conclusion sans espoir, et Madden sait qu’on ne voudrait pas en savoir plus.
Super contenu ! Continuez votre bon travail!