Bleu Blanc Rouge

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On le sait, en neuvième chose, la légende dorée veut que tout commence par une graphomanie enfantine. Il y a ceux qui dessinent dans les marges de leur cahier en rêvant de faire des histoires. Et puis, il y a ceux qui dessinent eux aussi dans les marges mais qui s’y trouvent bien. Ils ne rêvent pas de faire des histoires mais d’explorer cette marge, de l’étendre, d’en faire un mode de vie, un rapport au monde, une vie en soi.
Peut-être que le « graphzinat » viendrait de là, d’une autonomie de la marge des cahiers, de stylos qui ne raconteraient pas des histoires mais leur parcours sur une feuille et ce qui en surgirait d’inconscient ou d’instinctif. Cela ferait image à la fin d’un voyage tracé, ce serait la sismographie d’un regard toujours en élaboration, tourné sans distinction de valeur vers l’intérieur et/ou l’extérieur.

Bleu blanc rouge en serait-il l’étendard ?
Pourquoi pas. Jacques Pyon, compagnon des aventures graphiques de Schlingo, quasi chaînon manquant entre Bazooka et Doury, pourrait en avoir l’aura, celle des pionniers ou légendes de l’underground français.
Certes, ces trois couleurs sont surtout celles de deux pointes bic et d’un support. Le piquant du froid et du chaud dans l’abstraction d’un geste, d’une main occupée à inventer ce qui se trouve au-delà de l’éclat de la surface.
Si étendard il y a, ce serait de garder ce souci de la perte dans une page, de s’y oublier, de se laisser guider par la main. Certains pourraient y voir une fascination narcissique, une contemplation de soi et de ses tréfonds miroitants. Ce serait vrai s’il n’y avait le temps de l’exécution, s’il n’y avait cette introspection manuelle creusant la surface et/ou l’apparence qui pourrait s’y refléter.

Pourquoi dans des cahiers et non sur des carnets ?
Parce que dans les premiers l’on y parle par l’image, qu’on utilise les outils et le support de l’écriture pour faire langage, celui qui s’apprend et se découvre. Cet album serait simplement un journal de ces/cette geste(s). Pyon s’y raconte entre les bleus et les rougeurs. L’abstrait serait de même nature qu’une langue mathématiques, mettant à jour et modélisant des topographies compliquées de l’inconscient, emboîtées en de multiples dimensions, où çà et là comme Léonard devant son vieux mur, des visages surgissent au gré de hasards perceptifs, comme pour donner fugacement les timbres de sentiments.

Dans ces méandres et de page en page, surgissent pourtant deux images figuratives, quasi au milieu du livre (à une page près), représentant deux mains, gauche et droite, dressant respectivement l’une le majeur, l’autre l’index. Leurs allures propagandistes « pop »[1] revendiqueraient et une passion, et un idéal. Elles seraient à la fois les clés et l’origine, la motivation et l’exécution, la revendication au nom d’une rébellion et d’une absoluité inaccessible, le tout entre ces mains transformées en poings combattants pour tenir les pointes bicolores.

Enfin, toujours entre celles du lecteur, les pages défilent et l’abstrait un temps revenu fait place à de multiples images figuratives, d’abord quatre par page puis six entre lesquelles le titre apparaît discrètement[2]. Elles représentent majoritairement les extrêmes et le milieu de corps : des visages des deux sexes, des pieds féminins hautement chaussés, et des hanches féminines mises en valeur par des shorts ajustés ou des sous-vêtements diaphanes. Entre les têtes et les jambes une motivation, une origine faisant figure de fin, faisant sourire, faisant marcher. Figures allégoriques en quelques sortes, le livre s’y préciserait tout à une dynamique d’intrication des extrêmes, pour trouver une forme d’équilibre concret — le temps d’un livre ou d’un cahier peut-être — informant un regard et un rapport au monde, ramenant ultimement à la distinction de la marge par le centre.

Notes

  1. Propagandiste au sens où un index peut aussi évoquer celui de l’Oncle Sam invitant à l’engagement, et rejoindre par là ce tricolore, dont on fait une majorité d’étendards. Même si, ici, l’index pointe le ciel et non celui qui regarde l’affiche.
  2. La seule mention, avec celle de l’éditeur, est la date de publication. Le nom de l’auteur n’y est mentionné nulle part. Mais il est vrai que son style et le livre lui-même l’identifient mieux que l’écriture de son nom et prénom.
Site officiel de United Dead Artists
Chroniqué par en mars 2015