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Le Bois des Mystères (t1) Les enfants-hiboux

de &

Un club d’enfants [1] dans une cabane au fond d’un bois et en haut d’un arbre, miment la vie adulte idéale en réinventant le téléphone avec fils (et pots de yaourts). L’orage vient interrompre la communication téléphonique, il faut fuir. Et dans cette perte des repères, chacun rencontrera un hibou géant léthargique, prêtant son plumage pour des envoles nocturnes.
S’en suit une rocambolesque aventure où les trois enfants — aidé de Kwartz, mais aussi de crapauds, d’un feu follet et d’un papillon de nuit — déjoueront les plans démoniaques d’une abominable sorcière, soutenue par une armée de hiboux et de taupes !

Cette aventure en forêt est certes nocturne, mais pas noire. Elle est plutôt rousse et habillée d’automne (beau travail des couleurs). Il y a aussi un beau bestiaire digne de Macherot, paré pour de multiples aventures. Les auteurs prévoient — ou prévoyaient ? — vraisemblablement des suites à ce livre, mais savent échapper impeccablement aux mises en place laborieuses des premiers albums de séries.
Se jouant de tout comme des enfants dans la construction narrative de leurs jeux, Deth & Corcal mélangent allégrement contes de fées, codes de la littérature enfantine avec des mythologies propres à la bande dessinée.

Ici, les monstres ne sont donc pas des monstres, et les diables que l’on pouvait attendre derrière la porte dantesque des souterrains vers lesquels la sorcière condamne les enfants, ne sont que des taupes, à lunettes, et en costume de mineurs.
Les enfants (en «majorité») se révoltent contre la perspective d’une vie souterraine de labeurs obscurs, aux lumières artificielles, et où les taupes font semblant d’avoir les yeux ouverts quand elles dorment. Et pourquoi font-elles cela ? Pas uniquement pour faire croire aux enfants qu’ils sont surveillés, mais parce que l’ennemi c’est le sommeil, le fameux lieu d’autres portes que l’on peut ouvrir facilement pour s’échapper !
Deth (pseudo, qui prononcé, dévoile la présence absente d’un « a ») dessine des petites croix pour signifier les yeux clos par le sommeil ou l’évanouissement. Mais habituellement, dans la sécularité de la tradition ennéalogique occidentale, ces deux petits signes sont utilisés pour signifier la mort des personnages.
Le raccourci est-il alors que le sommeil et son domaine sont celui de la mort ? du mortel ? ou assimilé pour le moins à une sorte de « petite mort » ? une mort « pour de faux » ? Est-ce étrange dans une bande dessinée pour enfant ?
Plutôt qu’un public visé voyons le public viseur : une bande dessinée est pour enfant si le lecteur en a l’âge (autorisé ou encouragé à y accéder), une bande dessinée sera sur l’enfance si le lecteur ne l’a plus. A l’un on lui parle, à l’autre on fait parler.

Mais mine de rien, chemins tortueux faisant, non balisés par des cailloux blancs, Corcal & Deth vont loin dans cette forêt aux racines profondes, à la canopée flamboyante et lumineuses des inconsciences enfantines (ou d’enfance). Comme le conclut Filardo « … je crois qu’on est devenu des nocturnes ».
Quelle chance ! Etre diurne n’est pas une insulte mais c’est nier en adulte que l’on passe un tiers de sa vie, limbé de sommeil. Le plus insultant c’est de l’oublier, voire pire d’y remédier. Car on s’agite alors pour essayer de donner « corps » aux rêves, mais ce n’est jamais que prolonger le jour sur les territoires du sommeil. On prend des médocs pour dormir ce qui revient à défricher, élaguer, exploiter. Et au souffle (étymologie d’esprit) de la moindre tempête, la forêt « diurne » se couche avec le peu de mystère qui pouvait lui rester.
N’hésitez donc pas, suivez le vol des enfants-hiboux et celui de leurs auteurs, deux futur grands n’en doutez pas.

Notes

  1. Un club composé de deux garçons (Bouture et Filardo), d’une fille (Quenouille) et d’un corbeau (Kwartz, grand ami de Bouture).
Site officiel de Casterman
Chroniqué par en février 2003