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C’était Calais

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Paradoxalement, la bande dessinée de reportage s’est imposée loin de la presse, quand la neuvième chose est devenue quasi exclusivement un phénomène de librairie et non de kiosque. Le livre/l’album a ainsi, peut-être, isolé et su rendre visible cette bande dessinée d’enquête alors uniquement présente dans des journaux ou des  magazines, où sa place était congrue, trop exceptionnelle pour devenir un  genre, trop proche du dessin de presse en ayant souvent des auteurs commun. Il l’a soustrait d’une économie de la une, d’une attention à la toute puissance événementielle.

Le travail de Coco et Foolz rappelle ces écarts éditoriaux en les réduisant et en les soulignant en même temps.
Il les réduit car l’événement est programmé et qu’il s’agit d’en témoigner. Les auteurs montrent/dévoilent non pas ce qui est caché, mais ce qui va d’une certaine manière l’être pour diverses raisons, allant d’évidences humanitaires à celles beaucoup plus ambigües d’enjeux politiques à la veille d’échéances électorales nationales.
La dessinatrice et le dessinateur décrivent à quatre mains cette fameuse « jungle » et le processus de son démantèlement. Ils vont sur place à plusieurs reprises, rencontrent différents protagonistes pour expliquer l’apparition et la disparition d’un lieu devenu emblématique. Tout deux croquent l’événement de cette fin, ils en saisissent  les structures et détails essentiels, pour y accrocher leurs narratifs oscillant entre analyses, précisions voire parfois opinions, ces dernières étant le plus souvent sous la forme de boutades humoristiques.
Tout cela fait que C’était Calais s’inscrit traditionnellement dans une économie liée à la presse, à son désir de proximité avec l’événement pour en offrir un point de vue sur le vif.

Pourtant, ce travail souligne aussi, en même temps, ce « devoir faire livre » de la bande dessinée de reportage pour exister, en étant un numéro hors-série de Charlie Hebdo. Un aspect renforcé par la préface de Riss qui insiste sur l’importance de cette publication comme témoignage d’un événement, d’une volonté d’en faire trace pour « les archéologues des siècles futurs ».
Peut-être la neuvième chose n’a-t-elle plus aujourd’hui d’autres choix que de témoigner uniquement par le livre ? Pas assez immédiate par rapport à l’écrit, la vidéo ou la photographie, elle semble ne pouvoir exister que là où, par exemple, cette dernière est interdite (les procès), ou bien où la faculté de dessiner rend sympathique une profession de journaliste que de multiples sondages montrent par ailleurs largement décriée.
Au-delà de son sujet, c’est peut-être finalement sur ce dernier point que l’une des  forces de ce travail s’affirme : rappeler l’attrait du dessin, de sa valeur de langage universel, du rapport inédit aux autres qu’il induit en montrant le lien entre un regard et une main, d’une faculté qui restant rare peut être perçue virtuose, mais aussi ce temps visible d’élaboration et de surgissement sur la feuille blanche pour celui ou celle qui en devient le sujet. Entre le sur-le-vif et la trace, ce livre qui s’inscrit aussi dans une économie de la presse sinistrée et une volonté d’en montrer la pertinence actuelle malgré tout,  insuffle un rapport de proximité à l’événement devenue rare en bande dessinée, pour rappeler un potentiel du dessiné ayant aujourd’hui des qualités de témoignage semblant lointaines ou perdues par la plume et l’objectif.

Chroniqué par en janvier 2017