Claire de nuit (t1)

de & &

On savait que les espagnols aimaient dessiner des putes. De Torpedo à Jaime Martin, les tebeos regorgent de femmes légères, amoureusement mises en trait par des dessinateurs eux-mêmes ravissants de légèreté. Il était fatal qu’un jour ou l’autre certains d’entre eux se lancent dans un album sur ce thème. Claire de nuit se présente donc sous une couverture glacée et racoleuse au lettrage hideux, éditée par Privilège (un nouveau venu ? mmmh … piloté par Semic, plutôt …).
L’album, qui se présente comme un premier volume (aïe …) raconte par gags d’une planche les aventures variées d’une péripatéticienne aux formes sidérantes (une sorte de Betty Page carrossée comme Druuna). Dans un premier temps, on tourne les pages en rentrant la tête dans les épaules, honteux de voir défiler les mises en scène des vannes les plus éculées de nos cours de récré. Décidément, ce n’était donc qu’un produit de consommation, vulgaire et bâclé, sans âme, sans art, sans aucune fibre un peu narrative ?

Ce serait d’autant plus dommage que le trait est agréable : léger, esquissé, toujours juste, toujours expressif, capable de marier dans la même case le réalisme le plus inattendu (décor) avec l’exagération pornographique (Claire) et le gros-nez à la Quino (le client). Certaines expressions sont superbement saisies, avec un art à la fois désinvolte et humain, au point qu’on se prend à espérer un autre contenu à ces planches que la plate succession de fesses pour bidasses.

Et le miracle se produit. Claire a un fils, qui habite dans son studio, et les auteurs construisent autour de cette présence incongrue une série de gags par où peu à peu une épaisseur inattendue se glisse dans les pages. Claire devient humaine, dissimulant une larme devant les questions de son fils, dont l’ingénuité se prête à bien des quiproquos (« – dis, maman, c’est celui-là, mon papa ? » « – Non, mon chéri, c’est pas encore lui »).
Juju, le fils en question, est un Calvin qui serait né dans le barrio chino, entre un boxon à dockers et un bar à tapas. Comme chez Martin, comme chez Marti, comme chez les auteurs porno de la Cupula, le réalisme social n’est jamais très loin du comique-troupier.
Au fil des planches les personnages prennent du volume, gagnent en humanité, et on referme le recueil en se prenant à espérer que le travail continuera dans ce sens : peut-être, après tout, peut-on être léger sans être creux.

Chroniqué par en janvier 2000