De Selma à Montgomery

Un titre d’une ville à l’autre pour un livre qui ne vous montrera pas un long trajet mais un long croisement où se mêle, s’entremêle et se démêle des lignes de vies. Nous sommes en 1965, pendant les manifestations noires pour les civils rights, et ce titre désigne un/des temps partagé(s) plutôt qu’un espace parcouru.

Un jeune couple de blanc middle class en panne d’essence, d’amour, et de travail se retrouve sur le bas coté d’une route qui à l’échelle de la société se nomme Histoire ou rêve américain.
C’est sur cette route, pourtant nouvellement vantée par les Beatniks, qu’ils croisent des manifestants noirs marchant au nom du songe de Martin Luther King. La route prend alors sa dimension historique et ce couple en recherche d’essence sera confronté à l’essentiel ^[1]  : vivre avec l’autre.

Métamorphose d’une société, d’un pays, qui répondra à — et solutionnera — la métamorphose littérale du personnage principal , ce petit époux, petit commerçant et autre à soi-même, que cette crise masque de la gueule d’un insaisissable et gluant poisson, se débattant pour retourner à l’eau d’où il vient, sorti par la force des choses. Niant cette force, niant ces choses, en fuite, il ignore (ou veut ignorer) la leçon héraclitéenne qui dit que l’on ne peut jamais se baigner dans la même eau.
Cette leçon prendra corps, malgré lui, violemment, quand la société w.a.s.p. américaine, à laquelle il appartient, aura révélée sa part fondamentale de haine brutale. Le couple se retrouvera alors sur la route, une bonne route, une autre route où l’on peut avancer sans donner (et avoir) l’impression de fuir.

Igor David se sert avec intelligence du médium, dressant un portrait pénétrant, en multiples échos, d’une époque, d’une société et d’un couple en crise. Il surprend plus d’une fois, jouant finement des registres aussi bien graphiques que scénaristiques.
Tous ses personnages, par exemple, sont anonymes avec pour seule identité l’amalgame subtil de leurs préjugés, de leur classe sociale, leur race, leur âge et, le plus important, de leurs sentiments émotionnels. Des anonymes confrontés à l’effroi de l’innommé (peur) dont l’expérience partagée (connaissance) deviendra le nouveau vocabulaire. Quand les mots sont trouvés, mis, prononcés, le temps linéaire d’une phrase, d’une histoire, d’une route et de la vie même, peut alors se poursuivre.