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Les Editeurs de Bandes Dessinées

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Longtemps les éditeurs de bandes dessinées ne furent que des maisons d’édition, cachées dans un premier temps par le succès des revues et magazines et, ensuite, par celui de leurs auteurs vendant massivement des albums.
Il y eu bien (Jacques) Glénat et (Guy) Delcourt pour donner corps à leur métier dans cette période d’il y a un peu plus de deux décennies, mais n’étant ni auteurs, ni rédacteurs en chefs de revues à succès, ils restèrent confondus avec leur maison d’édition, fondateurs plutôt qu’éditeurs.

Puis vinrent ceux qui furent dénommés «les indés» où pour la première fois auteurs et éditeurs s’amalgamèrent,[1] suivant principalement les leçons d’un libraire-éditeur qui par la qualité et l’exigence de ses livres en était auteur à part entière.[2] D’abord réduit à de petites structures, à l’identité affiché des livres publiés, le mot éditeur fit petit à petit son chemin à mesure que le public des «indés» augmentait, que les revues survivantes disparaissaient, que les ventes d’albums caracolaient. La mort de Guy Vidal en fut le triste aboutissement symbolique, où l’on comprit par le vide laissé que dans «les maisons d’éditions» il y a bien des êtres humains, qui en plus se revendiquent éditeurs.

Le livre de Thierry Bellefroid vient faire cette heureuse mise au point sur 15 ans d’édition, avec une série d’entretiens passionnants.
Les premiers s’intéressent aux fondateurs (J.-C. Menu (L’Association), J.-L. Gauthey (Cornélius), G. Delcourt, T. Van Hasselt & Y. Alagbé (Frémok), J. Glénat, et M. Boudjellal (Soleil)), et les suivants à ceux travaillant, ou ayant travaillés, dans des structures déjà en place à leur arrivée (B. Peeters (Casterman), C. de Saint-Vincent (Dargaud), Y. Schlirf (Dargaud-Kana Bénélux) et F. Giger (Les Humanoïdes Associés)).
Tous vont à l’essentiel, fournissent de nombreuses informations et brossent un paysage de l’édition de bandes dessinées francophones très complet, allant de la relation avec les auteurs aux stratégies éditoriales plus générales.
La présence simultanée de plusieurs entretiens permet aussi le jeu des comparaisons où tu t’apercevras, ami lecteur, lectrice mon amour, que des éditeurs semblant antinomiques (Menu et Boudjellal par exemple) ont plus de points commun que n’a pu le laisser paraître leur récente et médiatisée «dispute».[3]

Pour compléter sa démarche, Thierry Bellefroid termine son livre par un long article sur le rachat de Dupuis par Dargaud. Raconté comme une aventure économique à suspens, cela reste la partie la moins intéressante du livre, semblant brouillée par la forme adoptée.
A contrario, l’idée de contrepointer tout l’ouvrage par des dessins, strips ou planches inédit(e)s signés d’auteurs tels que Baru, Berberian, Blain, Guibert, Sattouf, Schuiten ou Trondheim, enrichit l’information d’humour et d’autres formes de témoignage. Mais que l’on ne se trompe pas, la relation éditeur/auteur n’est pas au centre de ces entretiens (comme pourrait le laisser penser la couverture de Blain par exemple), elle est un à-côté, une conséquence. C’est bien le métier d’éditeur en général qui fait l’objet et l’intérêt de ce livre.

Notes

  1. Il y eu certes le cas Métal Hurlant, mais pour Dionnet, Moebius et Druillet il s’agissait d’abord d’être rédacteurs en chefs d’une revue et de réussir là où ne voulait pas aller Goscinny. Idem pour L’écho des savanes de Gotlib, Mandryka et Bretécher. L’édition ne fut qu’une conséquence de leurs succès, pas un but en soi. D’où aussi les problèmes qui suivirent…
  2. Etienne Robial.
  3. Tout les deux partagent, par exemple, la même passion pour la bande dessinée. Pour l’un elle est d’abord une littérature, pour l’autre elle est avant tout un divertissement populaire. Quand les deux champs se croisent, cela se passe mal. Ce qui est certain, c’est que les deux excellent en leur domaine respectif.
Chroniqué par en décembre 2005