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La Face Karchée de Sarkozy

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Un fond blanc, un dessin caricatural et grimacier composé à la Cabu, où se reconnaissent les figures de personnalités politiques françaises, Fayard comme co-éditeur, un prix assez élevé, une accroche un peu vulgaire («la première bd-enquête» — nous y reviendrons) : la couverture nous annonce d’emblée que ce livre ne s’adresse pas aux publics habituels (le pluriel est voulu) de la bande dessinée mais bien au public des recueils de dessins de presse ou de livres consacrés à l’actualité politique, ces ouvrages que l’on retrouve quelques années après leur sortie sur tous les stands des vide-greniers et qui nous rappellent qu’untel s’est une fois cru présidentiable, qu’un autre a été premier ministre ou qu’un autre encore a été pour ou contre ci ou ça, avant de changer d’avis. Des livres qui nous rappellent que le temps passe, et dont les sujets choc et les titres alarmistes ou farçis de promesses de changements radicaux nous semblent rétrospectivement exagérés et même ridicules. L’actualité brûlante, une fois les braises consumées, nous conforte dans l’idée qu’il ne se passe jamais grand chose d’important en démocratie — sentiment qui, si je peux me permettre cette digression, est évidemment pernicieux, car l’indifférenciation mène naturellement à l’indifférence et finit par rendre impossible tout débat un peu technique et non spectaculaire.

Donc ce livre atterrira sur les vide-greniers. L’introduction, vaguement science-fictionnesque, nous prédit pourtant que dans près de cent ans on se penchera avec intérêt et curiosité sur le Sarkozisme : en 2098, un étudiant soutient une thèse sur le sujet en Sorbone. Il n’est pas certain que les auteurs se soient donnés la peine d’assister à une soutenance de thèse, mais passons, ce n’est pas le sujet — disons juste que ça n’est pas très bien vu : le jury n’a pas lu le mémoire et la soutenance se fait à huis-clos dans un amphithéatre vide. Les membres du jury sont, «conformément à la loi», les représentants d’au moins quatre minorités. Ouille : le livre nous annonce-t-il carrément une victoire de Nicolas Sarkozy, chantre du communautarisme ? La conclusion de l’ouvrage sera un peu plus ouverte.

La suite du livre nous présente le parcours d’un homme politique aux dents longues, qui a su utiliser le parti gauliste (UDR, RPR, UMP) comme tremplin pour sa personne. Il apparaît vite que Nicolas Sarkozy n’est fidèle ni aux idées ni aux personnes, qu’il a su trahir tout et tout le monde chaque fois que ça lui a permis d’avancer ses pions. Mais cela, qui l’ignorait ?
Le livre nous rappelle divers épisodes oubliés ou méconnus sur l’irrésistible ascension du présidentiable. Ce n’est bien sûr pas inutile, mais les auteurs, accumulant pourtant les informations, peinent à construire un Nicolas Sarkozy cohérent dans son incohérence, et peinent à expliquer de manière crédible comment les amis trahis ont pu se laisser trahir encore et encore, ou comment il semble aujourd’hui si évident, si facile, de qualifier dans les médias des centaines de personnes sans rapport les unes avec les autres de «proches de Nicolas Sarkozy». L’album nous apprend un peu (il semble même qu’il contienne quelques informations inédites), mais ne nous aide pas à comprendre grand-chose. Il rappelle l’habileté de Nicolas Sarkozy à dévoyer les médias (petits cadeaux, intimidations), à utiliser toutes les armes possibles pour gagner (assomer ses ennemis politiques de contrôles fiscaux lorsqu’il était ministre du budget). Bref, un Rastignac, ou plutôt, un second Jacques Chirac (sous pseudonyme, dans «les échos», Nicolas Sarkozy aurait fait comprendre à Jacques Chirac qu’il lui rendait hommage, en quelque sorte, en étant constament un traitre et en n’ayant pas d’autre convictions que sa foi en lui-même et en sa réussite).
En cherchant à ne dire que ce qui est connu ou qui peut être prouvé, et en cherchant à ne jamais dépasser le cadre de ce que la loi autorise à dire, les auteurs (un journaliste, un avocat et dessinateur de presse) n’ont pas réussi à raconter une histoire, ni à faire une bande dessinée digne de ce nom. Le scénario, didactique et un brin feignant, est aussi vivant qu’une «histoire de France en Bande dessinée» des années 1970 ou qu’une «belle histoire de l’oncle Paul». En couleurs, le dessin de Riss passe plutôt mal.

Malgré toute la sympathie que m’inspire le projet, j’avoue que je me vois mal conseiller la lecture ou en tout cas l’acquisition d’un tel album.
Ce livre reste cependant une intéressante démonstration du fait que la bande dessinée n’est pas un métier qui s’improvise si facilement. Écrire une histoire qui tient debout, construire des personnages et permettre au lecteur un minimum d’empathie avec eux (j’oserai avancer que pour aimer et surtout détester un personnage, on a besoin de cette empathie), rien de tout cela n’est facultatif lorsque l’on crée un album de bande dessinée, fut-il basé sur des faits rigoureusement vérifiables.
La promesse d’une «première bd-enquête» n’est pas tenue parce que ce n’est pas la première (on peut parler d’Art Spiegelman, de Joe Sacco, de Will Eisner ou même de Guy Delisle, mais aussi, pourquoi pas, de tous les auteurs plus traditionnels et pourtant passionnés d’exactitude, comme Hergé, Charlier ou Morris), mais aussi parce que ça n’est pas vraiment une bande dessinée non plus, nous sommes face à une suite de vignettes où jamais n’intervient l’inter-case : le lecteur ne comble pas les manques, on lui donne de nombreuses raisons de détester Nicolas Sarkozy — mais s’il a acheté l’album, c’est qu’il le détestait déjà — aucune clé pour le comprendre ou pour comprendre son succès.

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Chroniqué par en décembre 2006