du9 in english

Fraise et Chocolat 2

de

Quelques références adroitement distillées dans le dossier de presse, un petit côté «chronique pipole» de la bande dessinée, des ébats sexuels à toutes les pages, le tout écrit par une femme — il n’en fallait pas plus pour faire un mini-événement de la sortie de Fraise et Chocolat. Et si cela ne suffisait pas, il y avait pour convaincre les plus récalcitrants la préface de Joann Sfar, le pape médiatique de la nouvelle bande dessinée, qui décernait sans hésiter un label de qualité.
Des récalcitrants, on n’en a pas vu beaucoup. Quelques grincheux par-ci par-là, des peine-à-jouir pourrait-on dire. Parce qu’une femme décomplexée qui parle de sexe comme un mec, ça plaît, forcément. C’est plus simple à gérer qu’une Roberta Gregory ou une Julie Doucet, qui viennent nous parler de leurs problèmes féminins, du sexe au féminin, et surtout de l’absence de sexe au féminin — ici, pas d’orgasme simulé, pas de migraine diplomatique, la jeune femme aime ça et elle en redemande. A la fois fantasme et libératrice, en quelque sorte.

Sans surprise, voici donc «Fraise et Chocolat, le 2». L’éditeur s’est encore appliqué à mâcher le travail aux journalistes, mais fait montre de moins d’efficacité. Les lecteurs du premier volume noteront avec un demi-sourire la délicatesse affichée par l’éditeur, qui présente ce second opus en ces termes : « »Chocolat » (Chenda) aime toujours « Fraise » (Frédéric), et en est toujours aimée, mais aux ébats se mêle le doute, l’enthousiasme se teinte de peur.»[1] Ou comment ne pas assumer jusqu’au bout le côté sulfureux (et pourtant si vendeur) de l’ouvrage.

Le premier Fraise et Chocolat parlait longuement de relations sexuelles, et beaucoup moins de relations tout court ; le second voit ses personnages sortir du lit et s’articule en petites séquences, correspondant soit à une géographie, soit à un sujet précis. Et de suivre ainsi Frédéric-et-Chenda en train de prendre l’avion pour la France, Chenda-et-Frédéric vont à Bruxelles, Frédéric-et-Chenda sont au restaurant… Ce qui manquait au premier volume, à savoir une vie de couple au delà des accouplements, est ici montré, démontré presque.
Aurélia/Chenda vit les choses au premier degré, en direct, et les retranscrit telles quelles — que ce soit les choses du sexe, qu’elle embrasse et explore avec enthousiasme, ou les hauts et les bas de sa relation.[2] C’est un peu naïf et puéril, c’est surtout très appuyé et démontré. Quand Chenda est jalouse, elle se montre jalouse, en précisant bien qu’elle est jalouse, afin de s’assurer que le lecteur a bien saisi qu’elle était jalouse.
Si l’on pouvait prendre le procédé pour de la fraîcheur quand il s’agissait d’évoquer l’enthousiasme amoureux et les moments de complicité, il ressemble plus ici à de la maladresse et de l’immaturité.[3]

Sinon — puisqu’il faut bien en parler aussi — après les 120 pages d’ébats divers et variés du premier volume, les scènes sexuelles de ce second font un peu redite. Alors oui, ils sont toujours insatiables, ils explorent et expérimentent, mais tout cela reste un peu vain. On se demanderait presque si ce second opus ne tomberait pas dans les travers des suites — la surenchère, en essayant d’aller plus loin encore, que ce soit dans la répétition (six fois de suite ! qui dit mieux ?) ou dans les pratiques (légumes divers ou jeux de mains).

Il y a bien quelques moments de réalisation, quelques passages où l’on sent qu’Aurélia Aurita pourrait toucher à quelque chose de moins appuyé, de plus intime aussi — comme lorsque, face au miroir, elle se rend compte que «Nous ne vieillirons pas ensemble, cela me terrifie.» Alors que les pages précédentes ont longuement/lourdement montré, exprimé et souligné sa peur de l’abandon, ce n’est que dans cette phrase, dans cette confession fugace que l’on découvre cette inquiétude.
Mais ces quelques moments de fulgurance émergent à peine d’un récit manquant de finesse et de non-dit, et l’on reste sur une impression de confession de midinette.

Notes

  1. Au passage, le chroniqueur de Livres Hebdo a repris avec beaucoup d’application cette interprétation du titre mot pour mot. On pourrait se demander si ce monsieur a lu ce premier volume qu’il encense par ailleurs, mais ce serait sans doute penser à mal.
  2. L’abandon du nom de plume au fil du récit est d’ailleurs un signe de plus de cette narration sans recul.
  3. Reconnaissons-lui néanmoins une sincérité teintée d’innocence, comme on peut le découvrir sur le bandeau qui entoure ce livre : à côté de la citation tirée de Libération, étalée en gros caractères («La BD d’Aurélia Aurita est un bonheur»), on trouve la même Aurélia qui se dessine, ravie de se voir qualifiée d’«événement» par Le Monde … et au dos, avoue avec candeur son incompréhension devant Chronic’Art qui (sous la plume de Julien Bastide) profite de l’occasion pour fustiger la nullité de la critique de bande dessinée.
Site officiel de Aurélia Aurita
Site officiel de Les Impressions Nouvelles
Chroniqué par en novembre 2007