Frank
Frank habite un univers charmant, se relaxe dans des meubles douillets, vaque à ses paisibles occupations dans une petite maison originale coiffée d’un bulbe oriental et tout irait gentiment pour lui si ne rodait dans cet idyllique monde cartoonesque le curieux homme-porc (seul personnage visiblement sexué de l’album), empêcheur de tourner en rond à la ruse grossière, agissant par soubressauts compulsifs et travaillé par des désirs primaires.
Donc, tout semble bien organisé : Frank, gentil ahuri lisse et rond aux innocentes occupations se fait régulièrement rouler dans la farine par le sinistre quadrupède envieux, coléreux, brutal, machiavélique et goinfre. Allons-nous assiter à l’éternel combat des forces du mal s’acharnant sur l’ingénuité et la gentillesse, une intolérable fois de plus ?
Presque mais non ; oui, un peu, mais pas seulement. Car l’homme-porc bien que synthétisant désagréablement toute la vilenie du monde n’est pas un personnage manichéen : la caricature ambulante souffre, pleure et gémit aussi.
Donc Frank se coltine des rencontres bizarroïdes avec un diable pointu, un chien-niche, des entités merveilleuses ou angoissantes, des têtes de morts, des créatures célestes, un poulet … et fait ainsi, bon gré mal gré, l’apprentissage de la mort, de la sérénité, de la colère, de la brutalité et de la cruauté.
J’ai un moment pensé à Mattioli en lisant Woodring ; Mattioli avait lui aussi utilisé l’univers cartoonesque pour le triturer, le dénaturer et le détourner dans une jubilatoire explosion gore et drôle de sexe et de violence.
Bien que le procédé de jeter un innocent dans des situations étranges ou sauvages soit analogue, le résultat n’a rien à voir. Mattioli dans Squeak the Mouse faisait littéralement exploser ses personnages et leur univers faussement gentil ; il y en avait partout sur les murs. Woodring, lui procède par glissements, de manière sinueuse. C’est par infiltration, peu à peu, que le malaise s’installe.
En s’appuyant sur l’onirisme de son graphisme et du récit, sans rien élucider, Woodring entretient et prolonge le mystère et l’inquiétude dans un style achevé, équilibré. Son univers visuel plein de charme, ludique et étrange est le théâtre où l’on voit les jeux de Frank innocent tout d’abord, virer au tragique, soulignant la perte irrévocable de son innocence alors que tout, dans le paysage qui l’entoure, demeure paradisiaque.
→ Aussi chroniqué par Patrick Sels (L'Indispensable) & Nicolas Warsztacki (L'Indispensable) en juin 1998 lire leur chronique
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