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Histoire d’un couple

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Le titre du livre est à la fois trompeur et précis. Trompeur, parce qu’il s’agit moins de l’histoire d’un homme et d’une femme que de l’histoire d’un lien qui lie les hommes. Précis, parce que ce lien qui fait marcher ensemble, voire l’ensemble, est de nature total mais qu’il est toujours perçu par une de ses parties, de manière sentimentale ou émotionnelle. C’est le couple, mais c’est un couple parce que l’on ne perçoit ce lien qu’ainsi, à hauteur d’homme.

S’il y a «histoire» c’est parce qu’il y a un avant, un après et ce que l’on pourrait appeler une révélation. Cela fait suite à l’envie de quitter la ville et son centre, puis d’avoir eu la possibilité un peu inattendue de vivre en lisière de forêt et de montagne, en bordure d’une immense zone naturelle protégée.
Ce qui se révélera à l’auteur passera par une perte de dominance. Il vivait au dernier étage, il se retrouve dans une maison au pied d’une montagne. Auteur professionnel croyant dominer son art, son éditrice ne cesse de lui faire refaire et reprendre moult détails de son travail. Professeur occasionnel, sa femme fut son élève avant de convoler avec lui, elle est en passe de le surpasser par ses premiers succès professionnels allant à contresens de ce qu’il lui enseignait. Enfin, lui qui dominait son environnement de citadin, se retrouve dominé par celui naturel, par la force des impératifs climatiques qui structurent ce milieu et la difficulté à comprendre les nouvelles possibilités généreuses qu’il peut offrir. En soi, cela ne semble certes pas indomptable, sauf si, justement, en soi on ne se domine plus, si l’esprit et le corps semblent ne plus faire unité, comme un premier couplage qui lâche.
Après cette chute, ces liens défaits, cette longue glissade d’un hiver, il s’agira de remonter la pente, mais cette fois non pour dominer d’une hauteur, mais bien plutôt pour prendre de la hauteur, voir loin, comprendre sa position minuscule, sa place dans le grand tout, la chance de n’y être pas seul et percevoir enfin la métonymie restrictive qui déterminait son propre langage et sa propre  compréhension. Couplé par amour, couplé par bien d’autres émotions, sentiments mais aussi raisons, couplé aux êtres et aux choses l’auteur se sent alors revivre, voire renaître au monde.

Aux frontières de la civilisation, voire des civilités aussi, Hong raconte ce retour à la terre mère, comme une épopée d’où l‘on sort grandi, où l’expérience semble faire sens. Tout cela sans envolées, sans mysticisme, juste dans la quotidienneté et le jardinage. L’aventure n’est plus au coin de la rue, elle a quitté la ville pour la campagne pour inviter à une forme d’autonomie loin des crédos dominants.

Récit sur quasi deux années, l’auteur finira par quitter cette maison. De sa nouvelle hauteur il voit l’endroit changé en accéléré. Par des clôtures nouvelles, les citadins s’en emparent. Polluer, c’est s’approprier, a expliqué Michel Serre, et Hong voyait déjà les prémisses de cette volonté maladive au début de son aventure.

Enfin, ajoutons qu’Histoire d’un couple, véritable épopée héroïque aussi surprenante et enthousiasmante que sans artifice et sans fuite, est aussi l’histoire d’un regard, de yeux faits de cercles parfaits et de pupilles centrées, qui distillent à la lecture une richesse de l’instant, une perception de vivre la totalité du présent, contribuant à faire de ce livre un véritable parcours vers une forme de sagesse.

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Chroniqué par en mai 2014