HLM

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Existe-t-il encore aujourd’hui une culture underground ? Oui, et Moolinex en est un des plus beaux exemples. L’artiste polymorphe vient de publier HLM, un carnet d’images de haute voltige.

Moolinex, Moolinex… Une marque d’électroménager ? Non. Même s’il y a quelques années, la société française a fait connaître son mécontentement quant au détournement de son nom. Moolinex, c’est donc du détournement, par le biais de la parodie, naïve parfois, souvent acérée. L’artiste vient de publier chez L’Association un gros album qui déborde d’illustrations, véritable carnet de dessin (le quatorzième) intime, libre, fou. Ce petit bijou graphique porte trois lettres : HLM. Titre de l’ouvrage, mais endroit, tout simplement, où a été conçu l’objet : le HLM de Moolinex, dans tous les sens du terme.
Mais qui est Moolinex ? Un plasticien qui a fait ses premières armes chez Les Requins Marteaux avec notamment, de 1995 à 1998, les histoires de Flip & Flopi, deux gamins bien mal sous tous rapports qui préfèrent la castagne aux gentils câlins. A l’époque, il gardait encore le «U» de Moulinex. Mais l’artiste fait surtout partie des fondateurs de Ferraille, la revue mi-fanzine mi-magazine qui a vu le jour en 1996 et qui accompagne, depuis, les publications des Requins Marteaux.

Dès les débuts, la bande dessinée de Moolinex sent fort la provoc, un coup de fouet bien senti aux détracteurs d’une supposée morale bienséante. Dans ses dessins, tout est permis. Aucune restriction de matières, de couleurs, de format. Enfin presque. L’artiste évolue dans l’univers, certes riche, de l’édition indépendante. Encore faut-il pouvoir se payer les matériaux pour développer son univers. Le dessinateur fait du coup de la récup’. Il retourne surtout aux carnets de dessin, ses Art pute carnet publiés chez Le Dernier cri, l’éditeur de bande dessinée pur underground en mode sérigraphie.
Mais Moolinex c’est surtout un artiste polymorphe, un gros mangeur qui ne se limite pas à une forme graphique seule. Il développe son art en grand format, s’éloignant peu à peu du principe séquentiel propre à la bande dessinée. Il travaille sur canevas, il fait du collage, il peint et dessine, bien sûr, mais brode également… Ses toilettes recouvertes de broderies sont en ce moment exposées à la Halle Saint-Pierre pour l’expo Hey ! modern art & pop culture (Part II). Ailleurs, on tombera sur ses performances ou on le verra sur scène lors de concerts avec le groupe Magnetix ou en solo. Sur le site de La mauvaise réputation, librairie-galerie bordelaise, Florence Beaugier parle de lui comme d’«un « dégueuleur » d’images, publicité, mode, musique, arts populaires.» Et c’est plutôt bien vu.

HLM est une sorte de condensé de cet univers libre, inspiré de la culture populaire mais très, très éloigné du pop art. De l’art brut ? Oui, on en trouve, mais pas seulement. La liberté graphique, qui suit et prend sa source dans une revendication politique, ou sociale, ou plutôt anar, se définit par l’artiste lui-même comme «l’art pute». Pas vraiment un mouvement, plutôt un mode de pensée qui prône un art résolument décomplexé.
A l’image de l’œuvre de l’artiste, ce recueil de dessins réalisés en 2001 est un méli-mélo graphique, souvent saturé de couleurs, modelé au feutre, à la peinture, au collage. On y trouve de tout : des usines, des machines, une série de freaks, créatures improbables venus d’on ne sait où. On y trouve aussi beaucoup de planches représentant des cohortes de militaires bodybuildés, plus ou moins directement associés à la figure d’Hitler. Pas mal de texte aussi, au sens parfois sombre, comme des manifestes tirés d’un subconscient monstrueux. Comme c’est quand même de l’underground, du sexe, il y en a forcément, mais très peu, à peine suggéré dans ces planches en noir et blanc qui rappellent certains dessins sérigraphiés.
Il y a bien une structure dans cet ouvrage, qui se décompose de manière plus ou moins évidente en fonction des thèmes et des messages, des matériaux ou des dessins. Et, tiens, ce mystérieux Moolinex, c’est bien lui que le lecteur admire, dans les premières pages, assis devant sa table, soutenu par un ange à la tête de squelette. Ange de la mort ? Peut-être bien. Ou peut-être pas. Inutile de chercher un sens profond à chacune de ces images. Le mieux est encore de plonger dedans sans se poser de question : un plongeon libre et jouissif vers l’inattendu.

Site officiel de Moolinex
Site officiel de L'Association
Chroniqué par en septembre 2013