Le King

de

«Le King» est un chanteur masqué qui se produit chaque soir depuis six mois dans un hôtel de Las Vegas. La rumeur prétend qu’il est Elvis Presley ressuscité. Il accepte pour la première fois d’être interviewé, par le prestigieux Time, mais il pose une condition : l’article doit être écrit par Paul Erfurt, un journaliste autrefois spécialisé dans les reportages de tabloïds consacrés aux apparitions d’Elvis Presley. Sans avoir rien demandé, le vieux journaliste reprend du service et mène consciencieusement son enquête. Le sujet a depuis longtemps cessé de le passionner.
Le personnage du King est troublant : derrière le casque métallique qui dissimule une partie de son visage, on devine qu’il ressemble à Elvis. Et puis il chante comme Elvis, il parle comme Elvis et il aime les femmes comme Elvis. Logé dans une suite de l’hôtel où il se produit gratuitement, le King est entouré d’une bande d’hommes au passé suspect. Peu à peu, le journaliste prend la mesure du culte religieux qui est rendu à cet homme qui se présente, en toute simplicité, comme une divinité («pas Dieu, un dieu[1] […] je ne lis pas dans les pensées et je ne fais pas le déluge ») — le dieu de la musique.
Histoires d’argent, rapports avec la mafia et intimidations alternent avec de belles histoires morales, de grandes paroles métaphysiques et des coïncidences troublantes.

Le King est-il vraiment Elvis ? La question posée par le livre est celle de la foi et de l’espoir : si les gens ont besoin que «Le King» soit Elvis, pourquoi ne le serait-il pas ? La foi, c’est croire en ce en quoi l’on veut croire.[2]

Il était déjà arrivé qu’Elvis serve de prétexte à parler de la foi, et cela arrivera sans doute encore, c’est même tout un pan de la culture américaine.[3] Ce petit pavé (250 pages) constitue donc la énième exploitation d’un mythe de l’Amérique profonde et n’a donc rien de fondamentalement original. Le récit n’est pas malhabile sans être complètement surprenant et sans être totalement dénué de lourdeurs — le recours systématiques aux citations sur/de Elvis, en ouverture des chapitres, est un brin scolaire, par exemple.
Le dessin n’a rien de renversant — il a même quelque chose d’un peu vieillot, d’ennuyeux. Il faut dire que Rich Koslowski travaille depuis quinze ans pour Archie Comics, dont les productions n’ont rien d’avant-gardistes. Mais puisque Le King, publié originellement par Top Shelf, est vendu comme un «Graphic Novel», son auteur semble chercher à se démarquer de la niaiserie réjouissante des Archie Comics : détails «adultes» (des mafieux, des filles peu habillées qui vont par deux…), cadrages cinématographiques — plongées, contre-plongées — séquences d’images immobiles, grands effets théâtraux,… rien de tout cela ne prend véritablement. L’auteur a lu Daniel Clowes, Will Eisner, Frank Miller, et bien d’autres auteurs de talent dont il nous restitue juste quelques tics de mise-en-scène, sans trop sembler être capable de choisir quel genre de bande dessinée il produit. Le lecteur n’est pas transporté à Las Vegas et il n’a pas le sentiment d’écouter des chansons d’Elvis Presley.

Dans une interview, Rich Koslowski (qui a obtenu dans son pays un succès critique non négligeable avec ce livre[4] ) expliquait que le personnage d’Elvis Presley l’intéressait infiniment moins que les fans d’Elvis Presley. C’est peut-être là que cela coince : l’auteur se moque de la folie des fans d’Elvis Presley, mais il n’est pas capable, même par jeu, de l’éprouver lui-même, son regard reste extérieur et abstrait. Ses personnages — secondaires ou principaux — ne provoquent ni sympathie, ni empathie, ni même antipathie : aucun d’eux ne parvient véritablement à «vivre», à exister pour le lecteur.

Notes

  1. Citation empruntée à Bill Murray dans Groundhog day (Un jour sans fin).
  2. Quand on a la foi, on peut se passer de la vérité, écrit Nietzche
  3. Lire à ce sujet : Dead Elvis : Chronique d’une obsession culturelle, par le sociologue-romancier-spécialiste de la culture populaire américaine Greil Marcus
  4. Et surtout avec son précédent roman graphique, intitulé Three Fingers, une biographie de Mickey Mouse.
Site officiel de Rich Koslowski
Chroniqué par en avril 2007