La cantine de minuit
S’il y avait des recettes en bande dessinée, celles-ci l’étaient surtout dans l’usage qui était fait de stéréotypes à cause (ou pour cause) d’objectifs pécuniaires conséquents et ostensibles.
Et puis les goûts sont devenus plus subtils, moins enfantins, et la recette devint moindrement un processus assurant contrôle et valeurs, qu’une manière de recevoir et de constater. Un retour en quelque sorte vers ce « lieu où l’on se retire » qui en serait l’étymologie d’après le Grand Bob, où s’apprécierait l’inestimable d’étapes fondamentales qui, pourtant détaillées, décrites le plus précisément possible dans leur accomplissement et leur succession, existeraient d’autant mieux que leur réalisation apparaît toujours singulière, à jamais dépendante des circonstances et des acteurs, ou, pourrait-on dire, des interprètes.
La cantine de minuit répondrait donc parfaitement à cette logique de maturité dans une neuvième chose peut-être là-bas plus stéréotypée qu’ailleurs, avec son lot de nostalgie, d’analyse ou le hasard et la variation sont les vrais condiments ou épices, dont la force des saveurs dépendent moins de l’écart que du décalage, même infime. Ici, ce dernier se traduit par des horaires d’ouverture (entre minuit et 7h du matin) et des fonctions sociales marginalisés ou interlopes (l’implantation du restaurant à Shinjuku). La cantine devient l’écran où le sommeil de la société du soleil levé projette des ombres n’engendrant surtout pas des monstres crépusculaires. Bien au contraire, une petite communauté synecdoque se dessine, rieuse, attachante et très vivante.
Le chef, comme un auteur, fait avec les moyens du bord, le dit, en fait la qualité de son commerce. Son ellipse, son arc, est un comptoir en U qui l’entoure et où se disposent les plats qui attirent les clients, leurs échanges et leurs histoires. Tout cela ultimement assemblé fait une recette inaugurant et déterminant chaque chapitre, et c’est ainsi que Abe Yarô cuisine et sait nous régaler.
Si les mangas ont popularisé les thématiques gastronomiques et œnologiques en bande dessinée, La cantine de minuit se situerait dans un registre moins directement culinaire. Un peu comme le regardeur de Duchamp fait le tableau, ces goûteurs au/de hasard, entre couchant et levant, déterminent (et parfois littéralement) ce qui fera la saveur des plats. Leurs éventuelles querelles d’assaisonnement, aussi risibles paraîtront-elles à certains, disent pourtant l’essentiel à toute recette. D’abord par leur relativité, ensuite par leur inscription dans un temps de réalisation, un temps personnel qui par le goût n’est plus perdu, voire mieux se maintient et évolue.
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