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La maison circulaire

de

Le rêve en bande dessinée a longtemps été un territoire de l’irréalité où l’on s’endort pour entrer, et où l’on se réveille (plus ou moins brusquement) pour en sortir. L’archétype fabuleux en aura été Little Nemo, petite personne au pays du sommeil, à 20 000 lieux quelque part en dessous ou par-dessus, dans un ailleurs pouvant bousculer toutes les règles qui établissent la réalité.
Le lecteur en général reproduit aussi ce schéma à un degré moindre. Il met son incrédulité en sommeil au profit d’un sens du merveilleux[1] dont il s’éveille par une fin, fermant une couverture qu’il n’a plus à défaire d’un lit pour pouvoir se lever.
Comme d’autres arts, la bande dessinée s’affirme ainsi comme un lieu du désir plus ou moins en liberté, se confondant avec l’imaginaire, pouvant s’explorer comme une contrée possiblement sans limites.

Ces dernières ont longtemps été, dans le cas de la  neuvième chose, le fait que le public était lui-même borné par l’âge (les plus jeunes) ou des raisons socio-économiques (un art populaire, de masse, etc.).
Depuis que ces frontières ont éclaté, que les auteur(e)s de bande dessinée sont désormais de grandes personnes, le voyage est devenu éventuellement moins intéressant que le retour pour témoigner ou se raconter. Plutôt que de s’évader illusoirement, il s’agit de s’essayer à briser un carcan, voire d’analyser un sentiment d’enfermement en universalisant la singularité d’une expérience. La réalité est le sujet, elle s’évoque directement ou en creux, que ce soit pour ce dernier cas, par la périphérie ou l’intérieur de soi.
La retranscription de rêves en bande dessinée inaugurée en France par David B. est aujourd’hui poursuivie par Rachel Deville. Ainsi, La maison circulaire recueille quatorze de ses rêves. Leur point commun serait une sorte de mise à l’épreuve semblant exorciser ou mettre à jour certaines angoisses dont se joue à merveille le dessin de l’auteure. Chez elle, l’activité onirique serait aussi plus souvent perçue comme un symptôme, là où chez David B. elle semblait d’avantage s’offrir comme possibilité surréelle, au sens littéraire et artistique du terme. Mais peut-être est-ce dû aussi à la volonté de n’illustrer que certains rêves pour l’auteur de L’ascension du haut-mal.
Reste que dans les deux cas ces songes s’affirment non comme des fantasmes ou des fuites, mais bien comme une interrogation face à leur retranscription en bande dessinée, au langage qu’elle suscite. Mécanismes qui, à ma connaissance, ne semblent pas avoir été véritablement étudiés, et qui posent de nombreuses questions comme par exemple le fait de se dessiner, de se représenter, de faire vivre un « il » qui dit « je » de cases en cases. S’ajoute à cela la lenteur de la réalisation, les limites de la figuration, l’importance du style, de l’expressivité propre à chaque artiste, etc.

La maison circulaire est un album des nuits. Tout y est éclairé par autre chose qu’un soleil, d’une lumière intérieure qui met en coupe les architectures, élabore des pièces auxquelles il manque une paroi et les transforme en scènes de théâtre. Peut-être l’artifice de cet éclairage est-il celui d’un langage qui se traduit ici en dessin ou en technique, et qui semble le faire naître d’une feuille blanche endoderme ? Les cases sont aussi sans cadre. Foyer fovéal de rêves dessinés suggérant le flou alentour ou le cotonneux des songes où même le temps perd prise. A moins que chaque case ne projette un regard, celui de l’auteure sur elle-même portraiturée. Un miroir se reflétant dans un miroir, une mise en abîme puisque l’angoisse principale de la dessinée est l’exposition d’elle-même, de son intimité intérieure, chose que tout dans le livre tel que le conçoit la dessinatrice cherche justement à dévoiler, à la montrer dans sa crainte de se montrer, de prendre plaisir à ce qui lui fait peur. Une dialectique créature/créatrice où la retranscription d’expériences oniriques en bande dessinée trouverait en partie sa justification, voire son efficacité, tant on ne sait plus qui est l’une qui est l’autre[2].

Notes

  1. Car ici il a un sens, celui volitif de l’auteur(e).
  2. Lire aussi à propos de la relation rêves et bande dessinée, l’article « Le rêve « , de Thierry Groensteen, sur le site Neuvième art.
Site officiel de Actes Sud BD
Chroniqué par en novembre 2015