La racine de l’ombú
La racine de l’ombú fait partie de ces livres qui interrogent leur époque, qu’elle soit celle de leur création ou celle de leur (ré)édition. Il serait comme un arbre justement, qui, filmé image par image au fil de mois ou de semaines, semblerait persister dans un décor en perpétuel mouvement, où l’essentiel apparaît dans les formes qui demeurent.
Symbole de l’Amérique latine, et de l’Argentine en particulier, l’ombú est un paradoxe vivant : bambou devenu chêne[1], arbre toxique mais considéré comme havre de paix par sa taille immense offrant de multiples replis où se cacher et se reposer, qu’amplifie l’immense ombre née de sa feuillée[2].
D’une longévité exceptionnelle, il défie l’éphémère des existences, semble autant les protéger que les voir se consumer, en faire son substrat indirect. En partie pour cette raison, il serait pour certains, un point d’accès possible à l’enfer.
Comme l’explique Mathias de Breyne, l’éditeur et traducteur de ce livre en France, La racine de l’ombú est l’allégorie des dictatures argentines des années 30 au début des années 80, à travers le récit autobiographique d’Alberto Cedrón. S’y mêle son histoire, mais aussi celle de sa famille fuyant l’Italie au tournant du siècle pour se réfugier vers les rivages prospères d’Argentine. D’un exil à l’autre, les auteurs questionnent une part d’ombre autant que les racines d’un mal.
La création et l’édition de ce livre sont en soi une aventure bien détaillée par l’éditeur. Notons seulement que cette bande dessinée est née aussi d’une impossibilité de structurer des images ou séquences d’images créées par Cedrón. Sans mots lui venant, celui-ci demandera à Cortázar l’écrivain de l’aider.
Au sein des particularités de la neuvième chose, cela rappelle un peu la méthode dite «Marvel»[3]. D’autant que, même si les images préexistaient, cette bande dessinée n’a véritablement pu naître qu’à partir du moment où un dialogue entre le peintre et l’écrivain eut lieu, ce qui a ensuite permis à celui-ci de structurer le tout, d’apposer dialogues, narratifs et récitatifs.
Dans une perspective plus actuelle, cela rejoint aussi cette idée de commentaire ou de lecture d’un récit muet en images, déjà évoqué ici par exemple. L’autre caractère très contemporain de cette œuvre serait aussi l’idée de montage ou d’assemblage d’images devenu si courant par les possibilités de la P.A.O. et les facilités du numérique, mais qui ne l’était pas avant où la planche restait la norme.
Enfin, les images d’Alberto Cedrón semblent aussi comme devancer de quelques années celles de Breccia, de son Perramus par exemple, dans leur goût pour le collage et une forme d’expressionnisme. La racine de l’ombú apparait de ce point de vue comme un jalon naturel, une articulation différemment évidente à l’heure du «roman graphique», voire de l’autofiction, dans la riche histoire de la bande dessinée Argentine où s’est longtemps dévoilée plus ou moins filigranée celle, tragique, du pays. Brûlot dénonciateur de la férocité d’un et des pouvoirs, étrangeté d’un peintre et d’un écrivain portant plus loin leurs voyages d’exilés en périphérie de leur monde, ce livre porte aussi en lui une contemporanéité directe avec la neuvième chose actuelle.
Notes
- Sous ses allures d’arbre il n’est pas ligneux mais herbacé.
- «Bel ombrage» serait par ailleurs son étymologie.
- Méthode qui consistait schématiquement par un rapide dialogue servant de synopsis entre le scénariste (Stan Lee) et le dessinateur. Celui-ci dessinait librement ses pages, où intervenait ensuite le scénariste, en écrivant ses dialogues, etc.
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